Après la mort, il y a deux ans, dans l’indifférence générale, de Maurice Allais, notre dernier Prix Nobel français, voici l’Université française honorée par le Prix Nobel attribué à Jean Tirole (de l’Ecole d’économie, de Toulouse),.
Allais avait stigmatisé le rôle des banques qui, lorsqu’elles ne sont pas contrôlées, fabriquent de la fausse monnaie par émission de crédits excédant leurs ratios prudentiels, la titrisation de ces crédits accentuant ce mouvement qui a inondé la planète d’une centaines de milliers de milliards de dollars artefactuels. Allais avait aussi dénoncé une mondialisation tout aussi incontrôlée. Il gênait et a donc été « placardisé » jusqu’à sa mort.
Jean Tirole, lui, se penche sur des questions aussi diverses que « les ententes entre les entreprises, les ‘regroupements de brevets’, le modèle économique de Goo-gle…», (Sciences Humaines 2013). Comme son prédécesseur, le Nobel américain J.E Stiglitz, il estime (et nous avec lui) que « …la concurrence ne doit pas être une religion ».Or elle est érigée comme telle par les traités de l’OMC et le Traité de l’Union européenne…. « Bénéfique lorsqu’elle permet l’innovation ou la baisse des prix, mais, mal conçue, elle peut tout aussi bien avoir des effets néfastes ».
Jean Tirole essaie de concilier, à juste titre, dans une approche « holiste», les stratégies d’entreprises avec (influencé par le Français Walras, et son disciple franco italien Pareto) le « social welfare », que Allais appelait la « maximation du rendement social » :
« D’un côté, nous analysons la stratégie des entreprises : quelles sont les meilleures décisions de leur point de vue…De l’autre, nous menons une analyse en termes de ‘bien-être social’ : à quelles conditions les décisions des firmes conduisent-elles à un résultat satisfaisant pour les consommateurs. Quelles règles les pouvoirs publics doivent-ils mettre en œuvre pour atteindre cet objectif ? » (Sciences humaines 2013) C’est donc un classique partisan de l’économie politique, plus que de l’économétrie.
Ses recherches portent sur l'économie industrielle, la régulation des industries de réseau et du système bancaire, la finance d’entreprise, l’économie internationale, et les liens entre l’économie et la psychologie. Elles ont un thème unificateur : la méthodologie de la « théorie des jeux » et de la « théorie de l’information ».
Jean Tirole est membre du Conseil d’Analyse Économique depuis 1999, et à ce titre a écrit plusieurs rapports sur l’économie industrielle et la grande distribution. En 2003, il propose :
– « d’instituer une taxe sur les licenciements consistant à moduler les contribu-tions des entreprises à l'assurance chômage en fonction du taux de licencie-ments afin de responsabiliser les entreprises »,
– supprimer le CDD et le CDI pour les remplacer par un contrat de travail unique avec une augmentation progressive des droits des salariés en fonction de l'ancienneté
En 2009 il écrit un rapport sur le réchauffement climatique, où il exprime ses craintes et préconise un cadre pour les négociations futures.
Depuis 2008, il écrit régulièrement sur la crise financière et la régulation des banques.
Une satisfaction: comme Stiglitz, mais aussi, dès les origines comme Adam Smith, Tirole met le consommateur au centre du jeu économique ; et, comme Keynes il y ajoute le travailleur.
Un seul regret : 90% de ses publications sont en anglais, passage désormais obligé pour la reconnaissance internationale.
Une fierté : la pensée universitaire française n’est pas morte.
Par Henri Temple, universitaire, spécialiste du droit économique
Délégué national à l'Indépendance de la France