Il y a deux semaines, l’agence spatiale européenne (ESA) a donné son feu vert pour la poursuite du programme Ariane 6. La prochaine étape correspond logiquement à la production du lanceur pour un premier vol prévu en 2020 et une exploitation commerciale à partir de 2021. Avec ce nouveau lanceur développé sur une durée courte (depuis 2014), l’Europe espère s’appuyer sur des technologies éprouvées, une organisation laissant plus de libertés aux industriels et de nouvelles méthodes de production pour concurrencer Space X et ses fusées Falcon.
Si d’un point de vue technique, la production d’Ariane 6 se passe correctement et dans les temps, le succès commercial de son exploitation reste incertain. En effet, à l’heure actuelle, seule la commission de Bruxelles a engagé une commande pour deux tirs d’Ariane 6 afin de tirer des satellites Galileo (le GPS européen). Dans le contexte d’un marché des satellites commerciaux en panne avec très peu de commandes des opérateurs privés, l’Europe spatiale n’est pas assurée de recevoir suffisamment de commandes privées pour financer convenablement la production du nouveau lanceur. Bien sûr, l’Europe tire toujours son épingle du jeu mais uniquement pour ses lanceurs actuels (Ariane V, Vega, Soyouz). Dans un marché qui peine à repartir, on est bien loin des 7 lancements espérés sur la période 2020-2022 alors que les carnets de commandes de Space X sont pleins.
Pour garantir la production des premières Ariane 6, 7 lancements institutionnels suffiraient d’après le PDG d’ArianeGroupe Alain Charmeau, laissant le temps à Arianespace pour capter assez de commandes privées.
Malheureusement, l’Europe est une fois encore incapable de défendre son industrie stratégique ! Alors que des milliards d’euros ont été investis pour que les nations européennes soient des puissances spatiales, ces mêmes nations préfèrent acheter américain qu’européen ! Ainsi en 2016, l’Allemagne a même commandé des lanceurs américains Falcon 9 pour trois satellites gouvernementaux ! Seul 25% des tirs d’Ariane sont commandés par les états membres de l’Agence Spatiale Européenne ou de l’Union Européenne ! Aux Etats-Unis, cette proportion est de 60%, 80% en Russie et 90% en Chine !
Cette absence de patriotisme économique, et même en l’occurrence de simple bon sens, est suicidaire ! Pour atteindre l’équilibre, l’Europe spatiale doit chercher un complément d’activités auprès des opérateurs privés, qui cherchent des prix plus bas. Or, ceux-ci leur sont proposés pour Space X, largement subventionnés par le Pentagone et la NASA qui octroient à la compagnie d’Elon Musk de très généreuses marges lorsqu’elles font appel à la fusée Falcon.
Si l’Europe spatiale veut s’assurer du succès de l’exploitation d’Ariane 6 et poursuivre 30 ans de succès, il est temps de mettre en place un dispositif qui oblige les Etats qui participent à l’Europe spatial de se fournir auprès de ses partenaires européens et non auprès de la concurrence étrangère pour tous leurs lancements institutionnels afin de remplir les carnets de commandes d’Ariane 6. L’Europe spatiale n’aura de place dans le XXIème siècle que si elle est capable d’investir et de défendre ses propres innovations stratégiques !