Tribune de Nicolas Dupont-Aignan publiée dans Ouest-France – Jeudi 2 avril 2015
Depuis hier, les quotas laitiers européens n'existent plus.
Cette décision, résultat d'une complicité de la Commission européenne et de l'ensemble des ministres de l'Agriculture successifs, va précipiter encore davantage le déclin agricole de la France.
Ainsi donc, il est mis fin à l'armature d'un marché laitier voulu par la Politique agricole commune (Pac), qui a largement prouvé son efficacité lorsqu'elle était cohérente et respectée. Les quotas, en garantissant des prix plancher, participaient de la vision française d'une agriculture de haute qualité. Leur disparition constitue un revers majeur pour toute notre agriculture.
Cette décision annonce la disparition pure et simple des producteurs laitiers indépendants qui, avec les autres métiers agricoles eux aussi menacés, assurent la vitalité économique et territoriale de nos campagnes.
L'élevage en France est intégré à notre territoire particulier et divers, ce qui n'est pas le cas aux Pays-Bas ou au nord de l'Allemagne, pays qui ont peu de surfaces agricoles et concentrent leurs élevages dans des « fermes usines » dont les vaches ne sortent pas de l'étable.
Avec la fin des quotas, ces pays, qui bénéficient de coûts de production moins élevés, vont augmenter leur production et exporter en France. Notre pays ne pourra pas lutter à armes égales, sauf à concentrer lui aussi sa production, ce qui aboutirait à la disparition de notre élevage qui fait vivre nos campagnes.
Avec la libéralisation totale du marché laitier, les éleveurs seront désormais livrés à la tyrannie du marché mondial du lait, où les gros opérateurs, tels de nouveaux féodaux, auront les coudées franches pour imposer tout et n'importe quoi en termes de prix. Les excédents des pays à bas coûts vont déséquilibrer les marchés et faire chuter les prix en dessous des coûts de production.
Quant aux consommateurs français, ils seront bientôt obligés de consommer des produits laitiers à la qualité douteuse, importés de pays européens bien moins regardants que nous sur la qualité.
Pourtant, nécessaires à l'organisation d'un marché raisonnable du lait, les quotas sont parfaitement viables économiquement et compatibles avec une nécessaire modernisation de notre agriculture, ainsi que le démontre le très efficace système mis en place par le Canada.
Ce qui est frappant, c'est la volonté de technocrates prétendument « européens » pourtant prêts à brader un système pragmatique et de bon sens, qui a été un succès et a fait la force de l'Europe, au nom de la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée » et au mépris de toute logique économique. Preuve en est : la nouvelle Pac, qui consacre plus de la moitié de son budget à des aides découplées, ne prend pas en compte la volatilité du marché, dérégule complètement certains secteurs et détruira très probablement à terme le tiers de nos exploitations restantes.
L'instauration d'une exception agricole à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), sur le modèle de l'exception culturelle, doit être notre priorité. L'agriculture ne peut se réduire à une seule bataille sur les prix. Elle doit remplir d'autres exigences que l'OMC ne lui reconnaît pas : assurer l'indépendance alimentaire, garantir la sécurité des aliments, valoriser les territoires et permettre à nos agriculteurs de vivre dignement des fruits de leur travail.