Prononçant un discours consacré à l’environnement stratégique de la France et à la dissuasion nucléaire, le jeudi 7 février dernier à l’Ecole militaire, Emmanuel Macron entendait fixer sa vision politique dans le domaine, régalien par excellence, de la défense nationale. De la part du chef de l’Etat, conduisant la politique étrangère d’une puissance nucléaire disposant d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des nations unies, chef de ses armées aujourd’hui engagées face au terrorisme djihadiste au Sahel comme au Levant, l’on aurait espéré hauteur de vue, clarté et détermination. Las, il n’en a rien été.
Au fil d’une litanie de poncifs stratégiques, nous apprenions sans surprise excessive que le monde était incertain, la compétition stratégique entre puissances vive et la mondialisation déstabilisatrice. M. Macron a surtout saisi l’occasion de réaffirmer le caractère vital à ses yeux d’une « culture stratégique européenne » qui reste, de son propre aveu, à construire. Le spectacle vingt fois donné de l’incapacité des Européens à partager une vision stratégique de leur environnement, nourrissant le pénible feuilleton de « l’Europe de la défense », n’a pas dissuadé le Président Macron d’ajouter avec témérité sa pierre à l’absence d’édifice.
Appelant de ses vœux une autonomie stratégique européenne qui bute depuis des décennies sur le manque d’intérêt des autres Etats membres, le Président de la République n’a pas craint la répétition. M. Macron a d’ailleurs lui-même rappelé – comme pour conjurer le triste destin que la cruelle réalité réserve à son initiative – qu’en 1999, au Conseil européen de Cologne, les gouvernements de l’Union avaient déjà solennellement affirmé leur volonté de se doter des moyens de faire face collectivement aux menaces stratégiques auxquelles l’Europe est confrontée. Ces déclarations, comme on le sait, n’avaient été suivies d’aucun effet.
Ces paresseuses impasses, exposées une énième fois et semblant à peine convaincre M. Macron lui-même, ne sont pas seulement source de lassitude pour qui s’intéresse à la défense de la France et entend lui faire jouer dans le monde un rôle qui soit digne de son rang. Dans la mesure où elles engagent le sort de la force de dissuasion nucléaire, elles constituent surtout une illusion dangereuse et, partant, une grave faute pour celui dont notre constitution fait le garant de l’indépendance nationale. M. Macron, en effet, a jugé bon de proposer aux Etats européens qui le souhaiteraient d’ouvrir un « dialogue stratégique » sur le rôle de la dissuasion nucléaire française. Ces Etats seraient même invités à participer aux exercices extrêmement sensibles conduits par nos forces stratégiques qui assurent la crédibilité de notre dissuasion.
Après l’échec de M. Sarkozy à construire une véritable « Europe de la défense » dans l’élan d’un retour servile dans le commandement intégré de l’OTAN, après les vains efforts de M. Hollande pour faire « primer le pacte de sécurité sur le pacte de stabilité », nul doute que les initiatives actuelles se briseront également sur le mur du désintérêt opposé par les autres grands Etats européens, au premier rang desquels l’Allemagne. Mais d’ici là, quelles concessions dangereuses pour l’indépendance stratégique du pays ne consentirons-nous pas dans le fol espoir d’entraîner derrière nous nos partenaires réticents ? Les appels récents, au plus haut niveau de l’Etat allemand, à aliéner notre dissuasion et la mettant sous le contrôle de l’Union européenne ou de l’OTAN, ce qui condamnerait irrémédiablement notre autonomie stratégique, ne constituent-ils pas des avertissements suffisamment clairs ? Ce « dialogue stratégique » avec nos partenaires européens portant sur la dissuasion française ne prépare-t-il pas le terrain pour suggérer ultérieurement l’idée d’un partage de son fardeau financier, et in fine de son contrôle ? A quoi, sinon, servirait-il alors que, comme le rappelle M. Macron lui-même, la force de dissuasion française contribue par sa seule existence à la sécurité de l’Europe, à condition qu’elle soit crédible c’est-à-dire à la main d’une autorité unique et non d’un comité multinational ? Les ambitions affichées sont donc dangereuses si elles ont quelque substance, ou vaines si elles en sont dépourvues ; dans tous les cas elles sont coupables.
Les bonnes intentions ne font pas une politique étrangère et, a fortiori, une stratégie de défense nationale cohérente. Prisonnier de son mantra européen comme un investisseur ayant tout misé sur une valeur spéculative en chute libre, M. Macron double aujourd’hui la mise à crédit et en pure perte. Les combinaisons savantes par lesquelles on cherche à dissimuler l’impossibilité à s’entendre derrière des formules contournées, art stérile dans lequel les artisans de la construction européenne son passés maîtres, doit impérativement s’arrêter au seuil des questions touchant à la défense du pays. La force de dissuasion nucléaire, construite depuis 1958 grâce à un effort national majeur et durable, sous la conduite de l’Etat et avec l’accord intime de la nation, constitue aujourd’hui le recours ultime de la France et le bouclier de son indépendance. Legs de l’action du général de Gaulle, c’est grâce à elle que la notre pays peut aujourd’hui parler d’une voix forte à la superpuissance d’hier comme à celle de demain. Fermement maintenue par l’effort d’investissement de l’Etat, servie par l’excellence de nos armées, elle fait l’objet d’un précieux consensus national. Puisse-t-elle être maintenue par celui qui en a la charge, suprême mais temporaire, au-dessus des jeux partisans et des « partages européens » où l’on perd sa capacité à agir seul au bénéfice d’une impuissance collective.
Car « l’épée est l’axe du monde et la grandeur ne se divise pas. »
Nicolas Dupont-Aignan
Député de l’Essonne
Président de Debout La France