Parents, élèves, étudiants, enseignants : la révolution pédago-libérale est en marche !

Aujourd’hui Vincent Peillon vient de présenter en conseil des ministres le projet de loi sur la refondation de l’école. Prochainement, Geneviève Fioraso proposera son pendant pour l’enseignement supérieur et la recherche. Très peu de gens, y compris parmi ceux que l’on dit bien informés savent que les deux projets sont totalement articulés et qu’une idéologie se cache derrière et moins nombreux encore sont ceux qui ont pris la mesure de la révolution – le mot n’est pas trop fort – qui se prépare de la maternelle au doctorat et qui engage l’avenir de la nation. Partant du triste constat que la situation de l’ensemble du système éducatif est dramatique comme le montrent toutes les enquêtes sérieuses ainsi que le rapport du Haut Conseil de l’Éducation remis au président Hollande le 7 décembre dernier, il ne s’agit rien moins, comme l’a dit le ministre Peillon, que de « refonder l’école de la République pour refonder la République par l’école ». Vaste programme que nous vous proposons de décrypter.

Notons d’abord que cette révolution a été préparée bien avant l’élection présidentielle. Elle a été pensée par quelques experts, célèbres spécialistes des « sciences de l’éducation ». Elle est portée par le ministre de l’Éducation nationale et non par sa collègue, ministre théoriquement de plein exercice, mais en réalité choisie pour être une docile subordonnée, comme sous d’autres régimes les sous-secrétaires d’État l’étaient à leur ministre de tutelle. Cette révolution est mise en forme par des conseillers dont plusieurs, venus de l’enseignement supérieur, sont connus par leurs pairs pour être des nullités scientifiques et pour s’être fait attribuer des promotions et des primes scandaleuses. Elle est soutenue par la Conférence des présidents d’Université, par plusieurs syndicats étudiants importants et par le SGEN-CFDT, qui a toujours été en pointe dans le pédagogisme, mais qui est très minoritaire parmi les enseignants puisqu’il représente moins de 10 % des syndiqués qui eux-mêmes ne constituent qu’une petite partie des personnels, ce qui n’empêche pas les ministres de le présenter comme leur « interlocuteur privilégié », un « syndicat-maison » en quelque sorte, comme il en existe dans des régimes non-démocratiques.

Notons aussi qu’en amont des projets, des pseudo-concertations ont été organisées au second semestre 2012, baptisées pompeusement « Refondons l’école de la République » et « Assises de l’Enseignement supérieur et de la recherche », pure affaire de communication. L’immense majorité des enseignants, des étudiants et des parents n’ont pas été consultés, en dehors des syndicats chargés de les représenter. Très peu d’entre eux ne sont même pas informés de ces projets et le grand public pas du tout. Tout s’est d’ailleurs fait dans l’urgence, selon une direction prédéterminée et dans un cadre strict. Le temps de parole accordé aux voix potentiellement critiques a été limité. Une anecdote significative mérite d’être contée. Lorsque nos deux ministres sont venus présenter leur copie devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), le 8 janvier dernier, ils se sont réjouis du consensus qui l’accompagnait et ont été très surpris d’entendre les dénégations de l’assistance, puis d’être mis en minorité. Heureusement pour eux, l’organe est, en l’espèce, uniquement consultatif.

Venons-en au vif du sujet et dégageons les points essentiels d’un ensemble touffu et dangereux qui doit être condamné avec énergie en dépit de certains points positifs : l’affectation au primaire des deux tiers des postes promis par François Hollande lors de sa campagne avec la formule « plus de maîtres que de classes », le rapprochement des classes préparatoires aux grandes écoles des Universités, la promotion des doctorats dans la fonction publique et plus largement sur le marché du travail…

 

1 – Formules incantatoires

« L’école doit être un creuset intégrateur et émancipateur » mais elle ne doit pas oublier que « le multiculturalisme est une chance pour la France ». Pour réaliser cette quadrature du cercle et refonder une école plus mal en point que jamais, les remèdes magiques s’appellent l’« encouragement massif à l’innovation pédagogique », le « socle commun de compétence, de connaissance et de culture, principe organisateur de la scolarité obligatoire dans le cadre européen », la « politique des cycles, voie prioritaire de la refondation », « la formation des élèves par et pour le numérique ». Rarement dans notre histoire, ceux qui nous gouvernent ne se sont autant gargarisés de belles paroles.

Pour affronter le « cap de civilisation » auquel la France est confrontée, Vincent Peillon annonce qu’il compte être à la fois « jacobin » et « girondin ». Il entend sans doute par là se présenter en garant des prérogatives du pouvoir central tout en étant libéral. Attention cependant à ne pas oublier que cela peut aussi vouloir dire l’inverse : agir autoritairement en abandonnant l’égalité républicaine au localisme. L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions.

 

2 – Des pédagogues au service de l’enfant-roi

Comme les promoteurs des deux projets n’ont cessé de l’asséner sur tous les tons, « l’élève est au cœur du système éducatif ». Au nom du principe qu’il est plus important d’apprendre à apprendre que d’apprendre, la pédagogie sera prioritaire sur les savoirs fondamentaux, y compris sur la maîtrise du français. Il nous avait pourtant naïvement semblé que celle-ci était une nécessité pour s’intégrer à la société et trouver sa place sur le marché du travail, que les enfants les plus fragiles, ceux de milieux modestes et les jeunes issus de l’immigration, étaient les principales victimes des expérimentations pédagogistes. L’évaluation des élèves sera repensée et la notation pourrait même être supprimée pour les plus petits car possiblement traumatisante alors que nous la pensions au contraire structurante. Les redoublements seront encore limités car prétendument inefficaces et trop coûteux. Il est bien connu qu’un lourd retard se rattrape plus facilement au niveau supérieur et coûte moins cher ! En outre, le collège unique ne serait pas un échec et l’hétérogénéité serait une chance. Tout est d’ailleurs pensé pour gérer cette dernière.

Les TICE (Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) – nous sommes vous l’avez compris si vous ne le saviez déjà au paradis des acronymes – seront généralisées dans le secondaire où leur introduction a été plutôt une réussite, mais pour un coût élevé de mise à niveau des enseignants et d’équipement des établissements. Elles deviendront une priorité dans le primaire, alors que même nos fameux pédagogues sont divisés sur leur utilisation avec les tout-petits.

Jusque-là cantonnée dans le primaire et, dans une moindre mesure, dans le secondaire, l’idéologie pédagogiste doit investir prochainement l’enseignement supérieur. « De la maternelle à l’Université, l’enseignant exerce le même métier ». Le « socle commun des connaissances et des compétences » désormais bien connu des professeurs du primaire et du secondaire sera étendu à l’échelon supérieur.

Il s’agit de faciliter la transition entre les niveaux (le dernier cycle du primaire et le premier du collège mais aussi le lycée et la licence, transition communément appelée « le – 3 + 3 »). Dans ces conditions, on peut se demander si le baccalauréat a encore une utilité dans sa forme actuelle.

 

3 – La création de temples du pédagogisme et la place des concours

Tous ceux qui osent critiquer les réformes en cours et en projet sont accusés de conservatisme. Les enseignants, en particulier, seraient coupables de défendre leurs intérêts corporatistes. Ils devraient plutôt remercier leur ministre. Jusque-là, ils enseignaient mal et ils vont apprendre à bien le faire. En contrepartie, infantilisés et culpabilisés, ils perdront leur liberté pédagogique au profit d’un mixte de prêt-à-penser et d’expérimentations que leur proposeront les ESPE (les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation) qui succéderont aux IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) avec beaucoup plus d’ambitions et de pouvoirs. Ces Écoles sont la vraie clé de voûte de la révolution annoncée. Elles sont promises à devenir les temples du pédagogisme dont certains régimes totalitaires auraient sans doute rêvé s’ils y avaient seulement songé.

C’est là que se forgera la « communauté de tous les enseignants de la petite section de maternelle jusqu’à l’Université ». Les enseignants-chercheurs qui n’ont guère de temps mort entre leurs activités d’enseignement, de recherche et d’administration seront ravis de redevenir « élèves » après leurs longues années d’études. Quant aux débutants, ils n’auront guère la faculté d’approfondir leur connaissance disciplinaire et de s’initier à la recherche.

Peu importe puisque tous les masters seront sans doute placés sous le contrôle des ESPE et les contenus disciplinaires ne figureront plus que comme sous-mention. Les IUFM dépendaient des Universités. Désormais, celles-ci dépendront des ESPE. En outre, cette pente risque de conduire à la limitation du nombre de concours et à l’interchangeabilité des enseignants.

Le pré-recrutement d’étudiants boursiers qui s’engageront, en contrepartie d’une rémunération, à se présenter aux concours du professorat de façon à pallier le manque de vocations et qui rappelle les IPES, serait une bonne idée si les sommes proposées aux candidats n’étaient pas indécentes au regard des conditions de travail prévisibles et si le sort de ceux qui échoueront au concours était plus clair.

Quant à l’agrégation, elle n’est pas intégrée dans la réforme et son sort sera abordé plus tard. Ce concours qui n’existe qu’en France n’a jamais été aussi menacé qu’aujourd’hui. Il est même condamné dans sa forme actuelle. Á quoi bon, en effet, sélectionner des enseignants sur l’excellence disciplinaire et les payer plus que leurs collègues pour passer moins de temps devant les élèves quand on a surtout besoin de recruter des pédagogues et de faire des économies ? « Le concours doit sélectionner les plus aptes à enseigner non les plus savants », répètent en chœur nos deux ministres.

 

4 – La massification démagogique

On se souvient de l’objectif jadis fixé par Lionel Jospin lorsqu’il était en lieu et place de Vincent Peillon : amener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat. Le nouvel objectif est d’en porter 50 % à la licence.

On pourrait s’imaginer qu’il s’agit-là d’élever le niveau d’ensemble de la nation. Il n’en est rien. La loi Savary de 1984 avait créé la notion de « service public d’enseignement supérieur ». Les deux nouvelles lois insisteront sur la mission sociale de ce dernier. En effet, il lui incombe d’atténuer les maux de notre société et de réduire à court terme un chômage qui s’annonce de plus en plus massif dans les mois et peut-être les années à venir. Il n’est d’ailleurs pas question d’empêcher les bacheliers issus des filières professionnelles et technologiques d’accéder à l’Université, comme un grand nombre d’entre eux le font aujourd’hui avec 98 % d’échec, mais simplement de les inciter à choisir une orientation plus adaptée.

Des professeurs du secondaire viendront s’occuper de ce que les technocrates appellent les « flux » et les « stocks » et gérer la baisse du niveau de la licence. Cette secondarisation du premier cycle universitaire permettra de redéployer les enseignants du supérieur, professeurs des Universités et maîtres de conférences dans l’encadrement des masters et des doctorats et donc d’en recruter moins. Voilà une économie non négligeable qui nous amène à notre cinquième point.

5 – « Rationaliser les coûts » et « maîtriser les moyens »

Comme dans l’enseignement maternel et primaire, la gestion des personnels de l’enseignement secondaire devra gagner en souplesse. Le philosophe qui dirige la rue de Grenelle ne dit guère autre chose que l’ancien DRH qui l’y avait précédé. La « différenciation territoriale des missions de l’école de la République » est une formule qui est revenue souvent dans les travaux préparatoires. Nous sommes-là sur une pente qui conduit à la décentralisation des recrutements, à la mort des concours nationaux et peut-être même à la fin du statut national. Il est également clair que la multiplication des CDD et la transformation des enseignants en fonctionnaires publics territoriaux comme certains experts le préconisent permettrait de réaliser de sérieuses économies ; la suppression du baccalauréat et des concours nationaux de recrutement des enseignants, la limitation des types de concours et l’interchangeabilité des enseignants aussi !

Il n’est pas question que l’État augmente notablement la part du PIB affecté à l’enseignement supérieur et à la recherche qui est pourtant l’une des plus faibles des grands pays développés, mais au contraire qu’il apprenne aux Universités à mieux gérer la pénurie.

Tout en accusant son prédécesseur d’avoir eu l’œil rivé sur le classement de Shangaï, l’actuel ministre propose de fondre les Universités dans une trentaine de « grands établissements » contractualisant avec les régions car celles-ci constituent « l’échelle pertinente de l’avenir », celle que promeut justement l’Union européenne. Il faut dire que l’économie d’échelle à réaliser de ce côté n’est pas non plus négligeable.

Comme dans l’enseignement secondaire avec les effets dramatiques qui se mesurent déjà par exemple en génie électrique, il s’agira de supprimer les filières qui ne sont pas rentables à court terme car elles rassemblent trop peu d’étudiants et de « rationaliser l’offre de masters et de doctorats », en d’autres termes de la réduire. Les sciences humaines et sociales « n’ont pas d’avenir car elles forment des bataillons de chômeurs » comme nous l’avouait récemment un conseiller ministériel. Voilà pourquoi, selon une préconisation de la Cour des comptes, il est important de tarir l’offre de doctorats dans ces disciplines.

Les Universités devront aussi mettre leurs cours en ligne. Sous couvert d’en démocratiser l’accès, cela permettra de réaliser des économies substantielles en supprimant des postes. En y ajoutant la secondarisation du premier cycle, la création des grands établissements et la fermeture de certaines filières, les gestionnaires peuvent espérer diminuer au moins de moitié le nombre d’enseignants du supérieur. En outre, les e-cours en anglais seront encouragés de façon à les commercialiser plus facilement à l’échelle internationale. La marchandisation de l’enseignement est en marche.

 

6 – Le changement ce n’est pas maintenant dans tous les domaines

Avec le décret sur les rythmes scolaires dans l’enseignement primaire qui devait être l’un des piliers de la révolution annoncée, la montagne a accouché d’une souris. La semaine des écoliers repassera certes à quatre jours et demi, mais leurs journées n’en seront pas écourtées pour autant, à moins que les activités promises à partir de 15 h. 45 ne puissent voir le jour. La durée de l’année scolaire restera inchangée.

Dans l’enseignement supérieur, tous ceux qui s’imaginaient naïvement que la nouvelle majorité reviendrait sur la loi LRU (Liberté et responsabilité des Universités) de 2007 en seront pour leurs frais. Le virage pris sous la précédente présidence se confirme. On reprochait à l’hyper-président Sarkozy d’avoir créé, toutes proportions gardées, des présidents d’Université à son image. Notre tandem ministériel n’est pas en reste. Certes, quelques « erreurs de trajectoire » seront corrigées : modification du mode de scrutin pour désigner le président, passage de trois conseils universitaires à deux et peut-être destitution du président en cas de faute grave. Cependant, la présidentialisation n’en sera pas réduite pour autant et, d’une certaine façon, s’accroîtra. Il est par exemple envisagé de mettre en place des « diplômes de site » (sic) insérés dans « leur écosystème socio-économique » (re-sic) pour reprendre les douces formules du directeur de cabinet de la ministre Fioraso. Cela signifie la fin des habilitations à diriger des recherches (HDR) et de la qualification nationale qui permettent de devenir professeur des Universités, sous le faux prétexte que les autres pays de l’Union Européenne ne fonctionnent pas ainsi, alors que l’Allemagne dispose d’un système équivalent et que l’Italie envisage d’en mettre un en place en s’inspirant précisément du modèle français ! Si l’idée est retenue, comme c’est plus que probable, les présidents auront la haute-main sur les nominations de leur personnel enseignant, comme ils peuvent déjà promouvoir leurs proches et leurs clients et, inversement, sanctionner les esprits indépendants et critiques. La liberté de recherche, d’enseignement et d’expression à laquelle les universitaires sont très attachés a rarement été aussi menacée.

Quant à l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) dont le coût est dix fois supérieur aux instances qui l’ont précédée pour une efficacité pour le moins discutable, elle continuera sans doute sa vie sous un autre nom.

Enfin, la fin du « mikado institutionnel », cette « prolifération de petits éléments rigides empêtrés les uns dans les autres et dont le mouvement de l’un dépend de la position de tous les autres » et l’assouplissement du système que le président de Paris-Diderot a appelés de ses vœux dans son si beau rapport général des Assises de l’Enseignement supérieur et de la recherche au Collège de France, fin novembre, ils ne sont déjà plus d’actualité. De nouveaux « comités Théodule » sont en préparation ainsi que quelques « conseils mastodontes », tel le prochain conseil supérieur des programmes !

Le calendrier intenable que le gouvernement s’est fixé avec la mise en place, dès septembre prochain, des ESPE – dont les décrets d’application sont rédigés avant même le vote de la loi – lui promet des lendemains qui déchantent. En outre, l’inertie du système sera sans nul doute la grande limite de la réforme, comme elle le fut pour d’autres dans le passé. Néanmoins, même si la révolution projetée ne se réalise pas, tout ce qui sera fait aggravera le mal et nécessitera du temps pour être à son tour défait.

Dans quelques jours, DLR va proposer les grandes lignes de son propre programme qui vise lui aussi à surmonter la crise que traverse notre système éducatif, mais avec d’autres priorités et des moyens radicalement différents.

 
Eric Anceau
Membre du Bureau national de DLR
Délégué national à l’Assimilation et à la Cohésion nationale