Où va la France

Dans un entretien croisé avec Denis Tillinac au Figaro magazine, Nicolas Dupont-Aignan insiste sur la nécessité de maintenir une identité nationale forte dans la mondialisation : "Plus le monde sera ouvert, plus on aura besoin de savoir qui l'on est, justement, pour pouvoir y survivre." Retrouvez l'intégralité de cet échange.

 

 

Qu'est-ce qui vous a intéressé dans les destins croisés de Chirac et Hollande, tous deux élus de Corrèze, "pays où poussent au naturel les cèpes et les présidents" ?

 

 Nicolas Dupont-Aignan – Ce livre retrace deux ambitions très similaires, emboîtées telles des poupées gigognes, mais qui ont tourné à vide sitôt le pouvoir suprême obtenu. Si sous Chirac le mode de fonctionnement fait de compromis permanents était peut-être encore dans l'esprit du temps, aujourd'hui, sous François Hollande, il n'est plus du tout adapté. L'intérêt de cet ouvrage est de plonger aux racines mêmes de cette impuissance publique, inaugurée par le "petit père Queuille", député radical socialiste de la Corrèze, sénateur, ministre sous la IIIe République, trois fois président du Conseil sous la IVe, dont on se souvient de la célèbre phrase: "Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout". Ce qui pouvait à la rigueur faire sourire dans un pays en pleine reconstruction d'après-guerre est désormais devenu insupportable. Malheureusement, Chirac et Hollande ont appliqué cette conception des choses et nous voici maintenant en bout de course. Une phrase de vous m'a frappé, Denis Tillinac, pour caractériser leur exercice du pouvoir: "Pour l'un et l'autre, la recherche du plus petit dénominateur commun est de l'ordre de l'inné…"

 

 Denis Tillinac – Inné parce que leur nature les y porte, mais c'est aussi le fruit de leur histoire corrézienne. Rien de plus contradictoire, en effet, que le déploiement d'énergie de Chirac qui donnait l'impression d'un condottiere en campagne, et l'approche précautionneuse qu'il a eue à l'Elysée, à l'instar de Hollande aujourd'hui, comme s'il ne fallait pas bousculer les corps intermédiaires non plus que le corps social. Pourquoi ce décalage entre la ferveur de la conquête et l'exercice de l'autorité ? On en trouve l'explication dans le fait que la Corrèze est un territoire rad-soc avec cette forte influence communiste que nombre de maires du plateau des Millevaches revendiquent sur le mode : "Nous sommes contre les cagoulards, les curés et les militaires ! "  Issus d'une bourgeoisie moyenne, Chirac et Hollande, avec leur formatage "techno" Sciences-po ENA, ont été particulièrement perméables à cette imprégnation d'une terre où les gens demeurent méfiants. Déplacer 3 % de voix du PC au PS du PS au RPR ou à l'UMP, c'est compliqué. Une fois arrivés à Paris, l'un comme l'autre s'en sont donc tenus à une gestion humble et minimaliste, se gardant d'émettre toute opinion qui serait minoritaire. Je me souviens d'un voyage présidentiel au Bénin en décembre 1995, au moment de la grève des infirmières. Chirac m'a confié devant deux de ses ministres : "Tu sais, un homme d'État comme moi aujourd'hui n'a guère qu'un pouvoir d'influence…"

 

 Nicolas Dupont-Aignan – Vous écrivez dans votre livre qu'au sein de notre Ve République le peuple élit un roi. On comprend dès lors la déception quand celui qui doit incarner l'énergie nationale se mue, une fois élu, en roi-fainéant. C'est tout notre drame depuis vingt ans!  Avec le totem de la politique européenne, c'est ainsi que la loi a été abandonnée à Bruxelles, que nos frontières ont été abolies avec le traité d'Amsterdam, que notre monnaie s'est dissoute avec Maastricht, que le budget nous a échappé avec le traité Sarkozy-Merkel. Aujourd'hui, le pouvoir est nu. Le peuple s'exaspère de voir à l'Elysée un Président dont la parole est démonétisée, et qui en est réduit à faire semblant. Si Hollande "se cramponne", terrible expression d'impuissance pour un dirigeant, force est de reconnaître qu'historiquement, au plan européen, Chirac porte une responsabilité écrasante en ayant choisi le oui à Maastricht de Mitterrand, au lieu de soutenir le non de Philippe Séguin. S'il n'avait pas basculé, la France aurait actuellement une monnaie indépendante et jouirait d'une vraie croissance, comme en Angleterre.

 

 Denis Tillinac – Oui, mais s'il avait suivi Séguin, il n'aurait pas été élu président en 1995 !

 

Nicolas Dupont-Aignan – C'était donc aussi par ambition politicienne. Pour autant, je lui pardonnerai plus qu'à François Hollande, parce qu'à cette époque existait encore l'illusion des bienfaits de l'Europe, alors que nous payons au quotidien les désastres patents de cette politique. Quelle perspective Hollande donne-t-il autre que l'abaissement et la vassalisation de la France ? Il n'est pas question ici de faire du déclinisme, mais on comprend la dépression d'un peuple conscient que le projet politique de son Président se résume à accompagner le déclin dans la médiocrité.

 

Denis Tillinac – Un accompagnement qui s'apparente au care des démocrates américains revendiqué par Martine Aubry, mais qu'on a vu apparaître dès le second quinquennat de Chirac avec des soucis de plus en plus domestiques tels que le cancer, la sécurité routière ou le handicap, toutes questions qui méritent que l'on s'y attache, mais sans devenir pour autant l'objectif essentiel d'un projet gouvernemental. "La politique ne m'intéresse plus dès lors qu'elle consiste à moucher des vieillards", m'a dit un jour Marie-France Garaud, observant que l'approche compassionnelle de Chirac s'apparentait aux soins palliatifs. Le principe de précaution procède en effet de cette symbolique.

Pour autant, je plaiderai les circonstances atténuantes dès lors que certains maux particuliers à la France lui viennent de la nostalgie de sa grandeur. Nous avons eu Saint-Louis, le Roi-Soleil, Bonaparte au pont d'Arcole et le romantisme gaullien. Tout cela pèse sur nous, or notre refus de la médiocrité s'inscrit dans la plus grande crise historique de civilisation survenue depuis la fin de la protohistoire. Nous vivons dans une époque planétaire, nos imaginaires sont globalisés, avec une remise en cause des fondamentaux aboutissant notamment au mariage pour tous, à la théorie du genre et la minoration des altérités culturelles et sexuelles… Nos dirigeants ne sont pas seuls en cause. C'est un mouvement mondial dont la toile de fond est la récusation des deux pôles de notre imaginaire que sont la Bible et Homère.

 

Nicolas Dupont-Aignan – Raison de plus pour aller à l'essentiel et être à la hauteur de l'histoire en évitant les comportements politiciens. Si nos dirigeants se limitent au compassionnel, c'est parce qu'ils ont perdu le pouvoir sur les décisions régaliennes, alors que des pays moins importants que le nôtre ont su maintenir leur dignité et leur efficacité nationales : Singapour fait preuve d'une volonté politique immense. La Corée du Sud manipule sa monnaie, protège son industrie et conquiert le monde. En Europe, l'Angleterre a choisi de faire du dumping monétaire et est à 3 % de croissance. L'énarchie rad-soc et l'idéologie de fausse modernité prétendent faire croire que la mondialisation nous interdit d'être libres. C'est un contresens majeur : les pays qui réussissent dans la globalisation sont précisément ceux qui ont conservé la maîtrise de leurs lois, de leurs frontières, de leur budget et de leur monnaie. Comme dit encore Marie-France Garaud : "La question est de retrouver la volonté de vouloir."  

 

Denis Tillinac – Plus le village mondial deviendra prégnant, plus il y aura de risques de crispation et de violence identitaire. L'étoile rouge s'étant éteinte au firmament des idéologies, il faudra donc, pour que de jeunes Français, Allemands ou Britanniques ne filent pas au Jihad par soif de d'idéal, réenchanter le monde à l'intérieur de frontières spirituelles, morales, et intellectuelles. Ce n'est certainement pas notre classe politique qui y réussira, condamnée qu'elle est au clientélisme. Ainsi, ne confondons pas la mondialisation, qui n'est qu'un environnement inéluctable, avec les fantasmes cosmopolites que j'oppose au métissage. Toutes les cultures sont métissées, sauf à mourir d'entropie, or on prétend nous imposer un univers hors-sol, déraciné de toute mémoire, où tout se mélangerait dans l'oubli de soi ! Idéologie, ou tragique ignorance de la part de nos élus ? Les deux, malheureusement, avec une prépondérance de l'inculture, car ceux qui font leur tambouille à Paris au Dôme ou chez Françoise – excellents bistrots au demeurant  – ne sont nullement pénétrés de la mémoire longue qui fait la trame de notre peuple. Alors que De Gaulle était porté par Clovis, Roland à Roncevaux, Bayard et Jeanne d'Arc, nos politiciens de 40-50 ans aujourd'hui s'en foutent.  Pour eux, c'est réac et ringard, et la France n'est plus qu'une part de marché, une société anonyme, industrielle et commerciale. Il n'y a pas si longtemps, je me suis retrouvé au Quai d'Orsay et me suis aperçu en fin de réception que l'invitation du ministre était sponsorisée par une marque de spiritueux. A quand Coca-Cola, ou un conglomérat contrôlé par un quelconque émirat ?

 

Nicolas Dupont-Aignan – Plus le monde sera ouvert, plus on aura besoin de savoir qui l'on est, justement, pour pouvoir y survivre. Et il faut bien se dire, n'en déplaise à certains, que l'identité n'est pas un gros mot. Depuis Hugues Capet, toutes nos périodes de déclin ont coïncidé avec l'abandon du pays aux féodalités intérieures et aux puissances étrangères, lesquelles sont les deux faces d'un même drame historique. Les sorbonnards étaient vendus aux Anglais à Paris alors que Jeanne d'Arc était du bon côté. Notre oligarchie d'aujourd'hui a une fascination malsaine pour tout ce qui détruit notre nation et notre identité. La question est donc de savoir si nous sommes capables de nous ressaisir en ce XXIe siècle. Si j'ai quitté l'UMP et choisi le chemin exigeant de l'indépendance avec Debout la France, c'était pour lutter contre cette résignation et l'oubli de l'histoire, car on ne conçoit ni ne bâtit jamais rien sans savoir d'où l'on vient. Nous sommes clairement à la fin d'un cycle, tout risque d'exploser, mais je demeure convaincu d'une issue positive car le peuple n'est plus dupe de sa classe politique. Il l'a montré lors du référendum de 2005 en votant non à la Constitution européenne. La braise est donc sous la cendre. La question majeure est de savoir si dans un monde de zapping permanent où l'on décérèbre les citoyens, on peut encore les mobiliser autour d'un projet politique cohérent. Le miroir médiatique est prisonnier des intérêts de court terme, alors qu'il faut trouver un chemin de résistance en réhabilitant le temps long. Je garde cependant espoir car je sais qu'il existe une autre politique possible pour éviter au pays de s'enfoncer dans le chômage de masse et la misère. Le dénouement de la crise viendra de la jeunesse qui ne supporte plus les stages à 300 € et tout ce qui peut s'apparenter à la relégation. Lors de sa dernière intervention télévisée François Hollande a marqué sa totale déconnexion en évoquant le choix de plus en plus marqué de la jeunesse pour l'expatriation par ces mots : "C'est positif, c'est une expérience à l'étranger", sans vouloir comprendre que si beaucoup de jeunes s'exilent aujourd'hui, ce n'est nullement par souhait, mais parce qu'ils n'ont plus foi en un pays désormais en voie de sous-développement. Chirac, en son temps, avait eu un échange à la télévision avec des jeunes où il avait fait preuve du même décalage…

 

 

Denis Tillinac – Leur parcours est décidément parallèle, mais la mémoire des Français privilégiera Chirac car, vingt ans plus tard, nous voici dans une post-histoire dont on ignore ce qu'elle nous réserve, et cela d'autant plus qu'on désespère d'un quelconque sursaut de la part de notre classe politique. Un événement essentiel est survenu ces derniers mois dont on a voulu minimiser l'importance mais qui est loin d'être éteint, je veux parler des Marches pour tous, plutôt catholiques au sens culturel, et pas vraiment politisées. Un million de personnes dans la rue, dont ni la droite ni la gauche n'ont véritablement saisi le sens ni la portée. L'événement de la rentrée, quant à lui, n'est certainement pas la petite combine de la gauche contre la droite avec ce déjeuner de cons où l'Amphitryon était le secrétaire général de l'Elysée… Non, l'événement de la rentrée, c'est le retour de la pensée, de la raison et de l'histoire avec le livre d'Eric Zemmour. Le meilleur opposant au régime socialiste n'est ni Sarkozy ni Juppé ni Fillon, non plus que le Front National qui n'est qu'un symptôme de mécontentement, c'est Zemmour ! Aux politiques d'en prendre conscience et de se demander pourquoi.