Monsieur le Premier ministre,
Le 10 mai dernier en Guadeloupe, le Président de la République a fixé un cap pour les départements d'outre-mer : l'égalité réelle. Cet objectif s'inscrit naturellement dans le processus de départementalisation engagé depuis 1946. Ce dernier a amélioré considérable-ment les conditions de vie des ultra-marins. Cependant, la départementalisation n'a pas encore porté tous ses fruits en matière de développement économique.
Le mal développement des départements d'outre-mer
Nos territoires ont connu ces dernières décennies une croissance supérieure à la moyenne nationale. Cependant, la crise de 2009 a montré combien notre modèle économique était fragile et dépendant des transferts publics. Même en période de croissance soutenue, le chômage se maintient à un niveau très élevé.
Face à ces constats, nos dirigeants ont considéré depuis 30 ans que notre rythme de crois-sance était indépassable, que le chômage était chez nous une fatalité liée à la démographie. Pourtant, nos territoires présentent des atouts largement sous exploités : notre potentiel tou-ristique, nos richesses maritimes, les énergies renouvelables et surtout notre jeunesse. Leurs impacts sur la croissance et l'emploi pourraient être multipliés.
Dans cette perspective, la relance de nos économies exige une réforme de notre modèle de développement pour orienter plus massivement l'investissement vers l'économie productive. Il s’agit de lever deux obstacles : un système fiscal qui favorise l'importation et les monopoles et un enclavement structurel qui bride la capacité d'innovation du territoire.
La TVA par principe, l'octroi de mer par exception
En outre-mer l'impôt sur la consommation prend la forme d'un savant dosage de TVA et d'octroi de mer, appliqué à toutes les marchandises, sensé protéger la production locale.
Cependant, l'octroi de mer n'est pas le « chevalier blanc » qui nous est présenté. Droit de douane auquel s’ajoute la TVA, il est en réalité à l'origine de profits excessifs. Il gonfle le coût de revient des marchandises. Dans un contexte de faible concurrence, il accroît mécani-quement les prix de vente et les marges des entreprises. Il donne aux opérateurs installés les moyens d’éliminer toutes velléités de concurrence. L'application de la seule TVA à tous les produits rendrait du pouvoir d'achat aux ménages. Comme la Chambre régionale des comptes de La Réunion l'a démontré en 2006. De plus, l’octroi de mer alimente encore aujourd’hui jusqu’à 40% des recettes de fonctionnement des communes et les rend "otages" des importa-tions.
La production locale doit pourtant être protégée. Il convient donc de refonder l’octroi de mer pour qu’elle ne concerne que les importations qui concurrencent la production locale. Dans ce cas, il serait cohérent qu'il se substitue à la TVA. Son produit continuerait à abonder les bud-gets des collectivités pour financer les investissements les plus favorables à l'activité écono-mique : les équipements touristiques et les zones d'activité notamment.
La vraie continuité territoriale pour tous
Depuis la départementalisation, notre ouverture sur le monde s’est accélérée. Pour-tant, elle ne se traduit toujours pas en termes de fréquentation touristique ou d’exportations. Aujourd’hui, la question de notre relation au monde se pose surtout en termes de valorisation de nos richesses. C’est la capacité d’innovation de nos territoires qui est interrogée. L’innovation n’est pas seulement technique. Elle est d’abord une réponse à un besoin non sa-tisfait. Elle doit puiser sa source dans la créativité de nos populations. Elle passe par l’ouverture sur le monde du plus grand nombre.
C’est l'enjeu d’une vraie continuité territoriale, pensée comme une compensation permanente et pour tous de l’enclavement de nos territoires. Elle doit prendre la forme d’une délégation de service public qui garantira des tarifs de transport de voyageurs et de fret, comparables à ceux pratiqués sur le territoire hexagonal et européen.
Ce dispositif aura un coût. Mais il peut être largement compensé par une réorientation de la contribution de la France au développement des anciens pays de l’Est (9 Milliards d’euros par an). En outre, une vraie continuité territoriale rendra enfin possible un débat serein sur les sujets qui fâchent comme la défiscalisation ou la sur rémunération des fonctionnaires…
Le courage d’agir
Monsieur le Premier ministre, oser l’égalité économique c’est donc agir. C’est redis-tribuer une partie des marges des importateurs vers les ménages et la production locale. C’est ouvrir nos populations au monde pour libérer notre potentiel d’innovation, sans coût supplé-mentaire pour la solidarité nationale. Oser l’égalité économique demande juste le courage d’affronter réellement les monopoles et de donner la priorité à la France d’outre-mer plutôt qu’à l’Union européenne de l’Est.
Hugues MAILLOT
Délégué national à l’Outre-mer de Debout la France.