En juin 2008, j’ai refusé de détruire des données concernant les clients de mon employeur de l’époque, la banque UBS. J’ignorais alors que ma vie « normale » allait voler en éclats. Aujourd’hui, le gouvernement promet de mieux prendre en compte le statut des lanceurs d’alerte. Mais la réalité est toute autre : personne ne nous protège.
En juin 2008, alors qu’une perquisition venait d’avoir lieu dans le bureau du directeur général, j’ai refusé de détruire des données concernant les clients de mon ex-employeur, la banque UBS. Cet ordre verbal de ma supérieure hiérarchique a été réitéré durant l’été 2008. Etant donné le stress généré par cette situation, j’ai posé des questions, j’ai essayé de comprendre… J’ignorais à l’époque que ma vie « normale » de cadre, de citoyenne, de femme, de mère allait alors voler en éclats puisque je ne comprenais pas ce que je détenais de si gênant concernant mon ex-employeur.
Huit années se sont écoulées depuis. Il est aujourd’hui de notoriété publique que j’ai joué un rôle déterminant en participant activement à l’enquête préliminaire du SNDJ (Douanes Judiciaires) en 2011 puis à la commission rogatoire débutée en 2012. La justice française a mis la maison mère suisse UBS AG en examen pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et lui a fait payer la caution record de 1,1 milliard d’euros à l’été 2014. UBS France est quant à elle mise en examen pour complicité de ces mêmes faits pour lesquels elle s’est acquittée d’une caution de 40 millions d’Euros. La filiale française a par ailleurs été sanctionnée par l’ACP (Autorité de Contrôle Prudentiel) pour laxisme dans ses systèmes de contrôle, avec une amende record de 10 millions d’Euros après que sa demande ait été rejetée par le Conseil d’État auprès duquel elle avait fait appel.
(Lire ici les articles de Mediapart sur le dossier UBS)
Depuis 2008, après un silence relativement long et inquiétant sur le sujet de la part de Bercy, les Ministres des Finances qui se succèdent nous ont chacun réservé leurs lots de surprises. Comment oublier que le compte offshore de Jérôme Cahuzac était logé chez UBS à Genève ? Comment ne pas avoir entendu que les Bermudes et Jersey ont été retirés de la liste noire des paradis fiscaux par Monsieur Moscovici début 2014 ? Comment pourrais-je oublier que la déontologue d’UBS France, Madame Françoise Bonfante, a été nommée à Noël 2013 à la Commission des Sanctions de l’AMF par ce même Ministre des Finances ? Qui ignore encore que la lutte contre la fraude fiscale est la priorité de notre gouvernement, relayée par un article très à propos du magazine Le Point le 20 janvier dernier, annonçant que 38.000 comptes offshore de ressortissants français pour un montant de 12 milliards d’Euros hébergés chez UBS en Suisse venaient d’être identifiés par Bercy ?
Je lis et écoute régulièrement les interviews de ceux communément appelés nos « élites » et nos « notables » concernant la protection des lanceurs d’alerte. Faudrait-il les protéger et comment ? Pendant que ces questions philosophiques occupent l’espace et font la fortune de certains d’entre eux, une chose est certaine : personne ne nous protège. La semaine prochaine, le gouvernement devrait présenter en conseil des ministres la loi dite « Sapin 2 », qui est censée prendre mieux en compte notre situation, mais qui ne suffira sans doute pas.
Jje suis l’une des témoins privilégiée du parcours chaotique qui nous est offert. J’ai compris, un peu tard certes et surtout à mes dépends, que certains ont préféré protéger leur carrière et leurs avantages personnels afin que nous, victimes de leurs incompétences, de leurs mensonges ou de leur malhonnêteté, ayons à gérer notre survie. Se le répéter chaque jour est d’une violence inouïe.
L’un des soucis auquel nous sommes confrontés est la durée des procédures, couplée à l’organisation de notre défense. Nous nous jetons innocents, perdus et naïfs chez un(e) avocat(e) pensant qu’il / elle va nous sauver avant de réaliser, des années plus tard, que leur métier n’est pas de défendre la veuve et l’orphelin, mais qu’ils sont au service d’un « business » : les tarifs sont inadaptés aux portefeuilles des citoyens que nous sommes ; certains lanceurs d’alerte m’ont raconté qu’ils avaient été obligés d’emprunter de l’argent à leurs proches pour payer ceux qui les défendent, d’autres ont vendu certains de leurs biens pour payer leurs frais d’avocat…
Les jugements quant à eux, dans le dossier UBS, ont juste confirmé publiquement, à deux reprises en pénal et en social – et en six longues et épuisantes années – que j’avais raison. Ouf ! Mais la compensation financière accordée est tellement minime que la justice rendue au nom du peuple n’en est que plus méprisante, rendant encore plus misérable celle (ou celui) qui a laissé des années de vie dans une recherche de la vérité. En effet, pourquoi être conseillé(e) de saisir un Tribunal des Prudhommes et faire croire à son client qu’il va être dédommagé(e) du cauchemar qu’il subit pour entendre au rendu du jugement : « Avec 30.000 euros, vous vous en sortez bien, c’est le maximum ! » Si j’avais été conseillée correctement, je n’aurais jamais passé trois ans à m’épuiser pour monter un dossier qui ne m’a rapporté que ce qu’il m’a coûté en frais d’avocat.
Je suis à nouveau poursuivie en diffamation par UBS, qui estime que je porte atteinte à son image dans un certain nombre de paragraphes de mon livre « La femme qui en savait vraiment trop », paru aux éditions du Cherche Midi. Comment est-il possible que je sois encore poursuivie, à mes frais, alors que les deux jugements de 2010 et 2015 n’ont pas été frappés d’appel et concernaient des faits de harcèlement (reconnus au Tribunal des Prudhommes) mais également le démarchage illicite des banquiers suisses sur le territoire français, l’évasion fiscale, la demande de destruction de preuves pour lesquels le Tribunal de Police m’a relaxée en 2010 ?
Nous subissons un épuisement physique et psychologique démesuré. Cela n’intéresse absolument personne et dans mon cas, cela n’a même pas été reconnu par le Tribunal des Prudhommes alors que tous les examens médicaux, rapports d’expertise et dossier de la médecine du travail étaient étayés de nombreuses pièces plus explicites les unes que les autres.
Je n’ai extorqué personne, je n’ai rien volé, je n’ai jamais menti, j’ai aidé des fonctionnaires de mon pays à décrypter des mécanismes et des processus qui leur étaient inconnus, j’ai répondu à des questions, j’ai communiqué ce qu’il m’a été demandé ; mais l’État Français m’a abandonnée.
En apparence, tout est normal. En apparence, tout va bien. Mais ce ne sont justement que des apparences. Derrière le paraître nécessaire pour une émission de télévision, pour une interview, pour une audition ou une présentation devant la justice, c’est juste une vie qui s’est effondrée et des dommages collatéraux que la pudeur ne me fera pas développer ici.
Licenciée en février 2012 avant que l’affaire UBS ne devienne publique, la médiatisation que je vis au quotidien a tissé un cordon sanitaire autour de moi, mais elle m’a coupé depuis plus de quatre années d’une vie professionnelle, de revenus, d’une carrière. Le fait d’être médiatisée crée de facto une discrimination à l’embauche. Par ailleurs, cette affaire UBS a engendré des frais médicaux et thérapeutiques importants et m’a conduite à mendier les minima sociaux depuis l’été 2014.
Monsieur Sapin, Ministre des Finances et des Comptes Publics, déclarait au journal Le Parisien le 16 février 2016 qu’il reconnaît le courage des lanceurs d’alerte sans lesquels ces scandales financiers n’auraient pas été découverts en soulignant que nous payons « lourdement les conséquences dans nos vies personnelles et privées ».
Après des déclarations si touchantes, où sont les actes ?
Il est impensable de se retrouver ruiné(e), quand on est honnête et que l’on a aidé son pays à effectuer « des rappels d’impôts dont l’intérêt et l’importance ne sont pas méconnus», dixit Bercy dans un courrier qui nous a été adressé le 24 mars 2015
J’ai, depuis, successivement écrit à Monsieur Sapin, Monsieur le Président de la République François Hollande, Monsieur Urvoas, au Défenseur des Droits. Aucun n’a répondu à mes courriers.
J’en suis arrivée à la conclusion que l’Etat a acheté gratuitement mon expérience, mes compétences et mes informations en faisant médiatiquement, à travers notamment ses divers Ministres des Finances, son chou gras de la lutte contre la fraude fiscale en oubliant notamment au passage de qui proviennent les informations qui leur ont permis de recouvrer des sommes aussi colossales. Ce mépris affiché par ces « ploutocrates » envers les citoyens qui se lèvent dans l’intérêt général est acté par le manque de protection. Seule la volonté politique pourrait nous sortir des situations dramatiques auxquelles nous faisons face. Pour l’instant, nous sommes tout simplement sacrifiés.
En février dernier, alors que le procès Cahuzac devait commencer, j’ai appris sur le plateau de BFM TV de la bouche d’un magistrat qui avait été en poste à Bercy, qu’une procédure administrative avait été choisie plutôt qu’une procédure douanière sur les dossiers HSBC et UBS. Ainsi, selon lui, si nous avions bénéficié de la procédure douanière, nous aurions pu être rémunérés. Nous découvrons donc que chaque administration se protège, trouve des excuses pour ne pas nous reconnaître et au-delà de ces décisions aux conséquences dramatiques pour nos vies, nous avons été amenés à comprendre qu’il n’y a aucune passerelle entre les administrations ; cela permet à l’opacité de perdurer et à l’impunité de suivre le même chemin.
Contrairement à Edward Snowden en asile à Moscou, à Julian Assange réfugié à l’Ambassade de l’Equateur à Londres ou encore à Chelsea Manning emprisonnée pour 35 années pour avoir parlé, j’ai le droit de circuler, je suis libre de mes mouvements. Mais pour avoir parlé, je n’ai plus le droit d’être une femme ni une mère comme les autres. La sanction est invisible mais bien réelle : sans revenus, je suis amenée par la précarité à une mort lente et douloureuse.
Le discrédit qui s’abat sur moi depuis plus de sept années est continu. Le mois dernier encore, JF de Leusse, patron d’UBS France, déclarait dans le journal Le Parisien que « Stéphanie Gibaud s’est décrédibilisée », pensant contrer la série d’articles dont il savait qu’ils paraîtraient la semaine suivante dans le quotidien Le Monde. La culture du mensonge est digne d’une technique mafieuse dans ses processus : on discrédite puis on élimine les gêneurs.
Si nous étions en démocratie, les règles, les lois et les règlements seraient appliqués, les coupables seraient jugés et condamnés. A l’heure où j’écris ces lignes, il est évident que mes proches et moi-mêmes sommes plus condamnés que les coupables.
J’ai été abandonnée par l’État, qui prouve qu’il n’a aucun respect pour les femmes ni les mères. L’État nous laisse mourir comme si j’étais une « bête de cirque », moi et mes enfants. J’avais pourtant été élevée avec une autre idée de la France, mon pays, celui de la Déclaration des Droits de l’Homme.
Il ne faut pas que du courage, il faut une énergie démesurée, une force psychologique impressionnante pour continuer à se battre pour que nos dossiers aient une potentielle issue favorable et au-delà de la question juridique, pouvoir continuer à croire en la vie.
J’apprends par un cinquième avocat consulté début mars que je devrai débourser entre 8.000 et 10.000 Euros pour me défendre en diffamation l’an prochain et pour être représentée dans le volet ‘Harcèlement’ du dossier pénal UBS. J’ai donc aidé l’État à mettre la main sur plusieurs milliards d’Euros et il me laisse en survie, incapable de payer de tels montants. Comment cela est-il possible ? Est-ce cela, la Démocratie ?
Je garde toutefois en mémoire qu’UBS, par l’entremise de celui qui fut l’un de mes avocats l’an dernier, a proposé en mars 2015 que je retire ma plainte … pour en échange enlever celle qu’elle venait de déposer en diffamation contre moi et en me ‘gratifiant’ de quelques 50.000 euros. On ne négocie pas avec le mensonge, c’est une question d’intégrité et de valeurs.
Il est clair que ma précarité n’est pas légale. C’est le sens du courrier que j’ai adressé à la Cour Européenne des Droits de l’Homme : l’État Français ne respecte pas les règles en matière de protection des lanceurs d’alerte ni les directives et recommandations européennes concernant la lutte contre la pauvreté, l’exclusion sociale et les discriminations sur la base de l’article 19, les articles 145 à 150 et articles 151 à 161 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité FUE).
En ce 23 mars 2016, jour de l’anniversaire de l’un de mes fils et à l’heure où j’écris ces lignes, nous devons quitter notre appartement. Faute de revenus. Faute de moyens. Pour aller où et pour quoi faire ? Je compte sur vous, Monsieur le Président de la République, Monsieur le Ministre des Finances, Monsieur le Garde des Sceaux, pour en expliquer la raison à mes enfants.
Lire l’article sur le site de Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/stephanie-gibaud/blog/240316/pourquoi-moi-lanceuse-dalerte-je-dois-quitter-mon-appartement
Stéphanie Gibaud
Lanceuse d’alerte
Ex tête de liste Debout La France à Paris pour les élections régionales 2015