Le 26 septembre dernier, pour la première fois, les internautes étaient appelés à noter, amender, critiquer et proposer des alternatives aux articles d’un projet de loi. Cette grande consultation, lancée pour trois semaines concerne la future loi sur le numérique (http://www.republique-numerique.fr/). Malgré sa trop grande discrétion, ce genre d’initiative représente probablement l’avenir du débat démocratique en France et, c’est assez rare pour être souligné, elle est à mettre au crédit du gouvernement actuel sous la direction d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique. A la pointe sur les questions de promotion de la licence globale et de neutralité du net, Debout La France a toujours été attaché à un Internet libre permettant aux citoyens de s’informer, de se cultiver et de se distraire sans avoir à se soumettre aux diktats des grands médias. C’est donc tout naturellement que Debout La France s’est intéressé à cette initiative et a souhaité participer à ce débat initié par le gouvernement.
Ce « projet de loi pour une République Numérique » est intéressant à plus d’un titre. Outre la consultation des internautes, qui est une véritable avancée démocratique, la plupart des sujets abordés sont plébiscité par les consommateurs et les acteurs du numérique. Malheureusement, cette loi enfonce des portes ouvertes et représente in-fine plus une loi de « mise à niveau » de l’administration qu’un véritable projet de République Numérique. Telle est la principale critique que nous pouvons faire de ce projet.
L’exemple de l’ « Open Data » est probablement le plus représentatif. L’ « Open Data », c’est la publication des données publiques générées par les administrations afin de permettre leur réutilisation par les citoyens. Ces données sont de plusieurs types, allant de données cadastrales à des rapports d’enquête, en passant par des données démographiques et des transcriptions de conseils municipaux. Sur ce sujet, le projet de loi va dans le bon sens mais ne révolutionne rien. Certaines interdictions obsolètes sont levées, certaines convergences sont favorisées. L’article 4 évoque un service public de la donnée, ce qui sur le papier est une bonne idée mais sa mise en application reste floue. En effet, quand on connait la propension de l’Etat à se décharger de ses missions de service public sur les collectivités locales – tout en réduisant leurs dotations – on est en droit de se demander si l’accompagnement des collectivités sera fait efficacement cette fois-ci. Pouvons-nous assurer à nos concitoyens qu’ils auront accès à des données publiques de bonne qualité sur tout le territoire, peu importe la taille de leur commune ? Les biais proposés dans la loi pour se dérober aux obligations de service public sont nombreux et nous attendons des garanties sur la mise à disposition par l’Etat de moyens techniques et administratifs pour soutenir les élus de terrains qui devront assumer cette nouvelle charge de travail.
Un autre exemple de la fragilité de ce projet de loi est le flou artistique maintenu sur les questions de protection des consommateurs. Aujourd’hui, les services internet les plus utilisés par les Français sont fournis par des géants américains tels que Google, Microsoft, Apple ou Amazon. Quand nous connaissons les manœuvres d’ « optimisation fiscale » extrêmes que ces sociétés mettent en place au nez et à la barbe de l’Etat français, comment peut-on imaginer qu’elles se soumettent aux exigences françaises en termes de neutralité du net, de droit à l’oubli ou encore de confidentialité des correspondances ? Sur ces sujets, le projet de loi se résume à des déclarations d’intentions et ne s’attaque pas aux véritables problèmes. Pour que ces articles puissent s’appliquer, quelle solution sera privilégiée par l’Etat ? La négociation avec les géants de l’internet ? La tentative de soumission de ceux-ci par un rapport de force ? L’obligation d’avoir des serveurs en France soumis aux lois françaises ? Le développement d’une offre publique qui donnerait le choix au consommateur ? Un véritable débat est nécessaire sur les relations que l’Etat doit nouer avec les grands acteurs internationaux de l’Internet. Malheureusement, il est ici complètement esquivé.
Enfin, on peut se demander si certains sujets n’ont pas été ajoutés par pure démagogie, comme l’idée d’une « traduction écrite simultanée et visuelle » pour les malentendants qui appellent des services d’accueil téléphoniques. Dans les faits, il existe différents niveaux de surdité et il n’existe pas de solution miracle. La solution décrite est presque impossible à mettre en place techniquement et surtout, elle n’est adaptée qu’aux personnes atteintes d’une surdité profonde, qui ont rarement des téléphones. Pour les personnes avec des surdités plus légères ou qui bénéficient de l’aide d’appareillages, il serait bien plus utile d’apporter des formations spécifiques aux télé-conseillers. Il existe en effet des techniques de communication orale qui, par téléphone, permettraient à nos compatriotes malentendant d’accéder à l’information dont ils ont besoin. Tous les sujets ne peuvent pas avoir une réponse numérique et sur des sujets aussi graves qui touchent à la dignité des personnes, on ne peut pas se permettre de donner des solutions irréalistes.
Globalement, ce projet a tout d’une loi « fourre-tout » telle que fût la loi Macron, sans vision ni réelle cohérence. Cette loi s’attaque à l’ « Open Data », au paiement par SMS, à l’information du consommateur sur son débit Internet, à la neutralité du net, au recommandé électronique, au rôle de la CNIL, et bien d’autres sujets encore. Elle mêle des sujets majeurs, qui mériteraient presque une loi spécifique, à des sujets mineurs, presque anecdotiques. Malgré toutes ces critiques de fond sur le projet de loi, pour la forme, Debout la France ne peut que saluer l’initiative de cette consultation, ballon d’essai bénéfique pour la démocratie. Nous invitons le gouvernement à continuer à faire appel au peuple de cette façon et à aller plus loin dans les sujets qui seront abordés lors de futures consultations publiques par internet.
Internet est un outil extraordinaire qui a d’ores et déjà transformé notre société. Les nouveaux défis du numérique doivent être vus dans leur globalité. En l’état, cette « loi pour une République Numérique » ne permet pas de regagner le terrain de liberté qui nous a été ôté par la loi de renseignement adoptée il y a quelques mois. Désormais, le gouvernement doit lancer les débats qui s’imposent sur la gouvernance numérique et Debout la France y participera, comme toujours, du côté de ceux qui défendent un Internet libre et juste.
Franck Boisgibault
Délégué national à la révolution numérique