Monsieur le Ministre, votre position est irresponsable et cela est particulièrement fâcheux de la part d’un homme qui a vos responsabilités.
Monsieur le Ministre,
Trois quotidiens, Le Figaro, le Washington Post et le journal panarabe Al-Hayat, ont publié hier sous le titre choc « Après Kobané, il faut sauver Alep ! » une tribune dont vous êtes l’auteur.
« Alep, deuxième ville de Syrie, patrimoine de l’humanité, bastion de l’opposition modérée, » dites-vous, « est cette cité martyre de la résistance que Bachar el-Assad n’a cessé de bombarder depuis 2012. Alep fait face aujourd’hui à la menace d’être prise en tenaille entre les barils d’explosifs du régime et les égorgeurs de Daech. » Un peu plus loin, vous écrivez : « Bachar el-Assad et Daech sont les deux faces d’une même barbarie. » Et vous concluez : « Nous devons porter nos efforts sur Alep avec deux objectifs clairs : renforcer notre soutien à l’opposition syrienne modérée et protéger la population civile des crimes jumeaux du régime et de Daech. »
Votre position est claire, en effet. Dans l’atroce guerre civile qui, avant de se propager à l’Irak et de menacer de proche en proche toute la région et la paix même du monde, déchire et ravage la Syrie depuis trois ans, vous ne faites pas de différence entre les deux principaux adversaires qui s’affrontent désormais et, n’ayant pas de préférence pour la peste ou le choléra, refusant de choisir entre Charybde et Scylla, vous tenez la balance égale entre l’État islamique et l’État syrien que vous renvoyez dos à dos et dont vous souhaitez également la défaite au terme d’un article dont vous avez peaufiné le savant balancement rhétorique.
Monsieur le Ministre, votre position est irresponsable et cela est particulièrement fâcheux de la part d’un homme qui a vos responsabilités puisque, sauf erreur de ma part, vous êtes en charge de la politique internationale de la France. Les quelques lignes que vous avez écrites auraient pu être rédigées par Bernard-Henri Lévy dont chacun connaît les engagements, notamment l’ingérence irréfléchie et néfaste dans l’affaire libyenne, et le goût pour les postures avantageuses. Mais vous, au poste que vous occupez, comment avez-vous pu céder à vos humeurs et n’écouter que la voix de votre parti pris sans tenir aucun compte des réalités et de l’intérêt de l’État que vous représentez ?
N’avez-vous donc tiré, Monsieur le Ministre, aucun enseignement des désastres qu’ont engendrés depuis vingt-cinq ans les diverses interventions militaires et politiques de l’Occident qui, le plus souvent parées de nobles prétextes humanitaires, bien qu’elles aient parfois obéi à de toutes autres motivations, ont déstabilisé l’Irak, l’Afghanistan, la Libye et plongé le Moyen-Orient et une grande partie de l’Afrique dans le chaos ? La défaite des talibans, la chute et la mort de Saddam Hussein, la chute et la mort de Kadhafi ne se sont pas traduites par le triomphe de la démocratie dans les pays où nous avons allumé le feu de l’incendie qui les dévore. Notre ignorance et notre arrogance ont donné naissance à un monstre que nous sommes apparemment incapables de maîtriser.
Bien entendu, la dictature de Bachar el-Assad est haïssable et elle s’est faite d’autant plus féroce que la rébellion, puis l’État islamique ne menacent pas seulement le régime mais l’existence même de la Syrie. Mais l’ambition de Bachar n’est jamais allée au-delà des frontières de son pays quand, dans son rêve insensé, le prétendu califat qui s’est enkysté en Irak et en Syrie menace d’étendre le règne d’une barbarie sans limites au monde entier. Le choix qui est laissé au malheureux peuple syrien n’est plus entre Bachar el-Assad et je ne sais quelle opposition syrienne modérée, entre la dictature alaouite et un gouvernement social-libéral, mais entre le régime qui tient encore Damas et la barbarie qui est déjà installée à Mossoul. Et il y a des moments où il faut choisir, si douloureux que soit le choix.
N’avez-vous, Monsieur le Ministre, tiré aucune leçon de l’histoire contemporaine et en particulier de la Seconde Guerre mondiale ? Croyez-vous que les deux grandes démocraties en guerre contre une autre barbarie, que les États-Unis et la Grande-Bretagne, que Roosevelt et Churchill se soient alliés de gaieté de cœur à un homme et à un régime dont ils connaissaient les tares et les crimes et dont ils appréhendaient à juste titre la nocivité ? Mais ils ont estimé – et ils ont eu raison – que la priorité était d’en finir d’abord avec la barbarie nazie, fasciste, raciste et génocidaire. Le temps leur a donné raison comme, si vous persistez dans la ligne politique insensée qui est celle de la France face au drame syrien, il vous donnera tort. On ne court pas deux guerres à la fois.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la France