Dans une tribune publiée dans Le Figaro du vendredi 11 avril, le banquier d'affaires Philippe Villin propose à l'hôte du Palais Chigi un plan de bataille pour engager un bras de fer avec Angela Merkel.
Monsieur le président du Conseil, nous ne nous connaissons pas. Vous avez l’âge d’être mon fils et ainsi l’immense avantage de n’avoir été pour rien dans la création de l’euro. À 39 ans, votre âge aujourd’hui, et dirigeant alors Le Figaro, j’ai combattu Maastricht avec violence et jusqu’au bout.
En effet, je savais que cette monnaie unique, ne tenant pas compte des différences de développement et de productivité entre les pays d’Europe, entraînerait un déclin économique majeur dans nos pays du Sud. Ce serait une machine à créer du chômage, chez nous, au profit de l’Europe rhénane. Depuis, l’euro a pratiquement toujours été très largement surévalué, ruinant nos exportations « au grand large » et abîmant gravement notre industrie touristique. Nous n’avons plus guère de touristes américains. Pire encore, l’absence de possibilité de dévaluer à l’intérieur de la zone euro nous a fait perdre notre compétitivité relative vis-à-vis de la zone rhénane en nous interdisant d’ajuster nos coûts, comme il était d’usage. En donnant aux Allemands une monnaie sous-évaluée par rapport à ce qu’aurait été un mark indépendant et en nous interdisant de bénéficier d’un change autrefois favorable, l’euro fait mourir l’industrie italienne et française à feu continu. Car il agit comme un insupportable aspirateur de richesses au profit de nos voisins du Nord, qui ne financent en outre aucun transfert vis-à-vis du reste de l’Europe, à la différence de ce que nous faisons avec nos régions défavorisées. Pire encore, l’Allemagne prétend maintenant avaler nos enfants, formés à grands frais, qui n’auront bientôt plus le choix qu’entre le chômage chez nous et l’émigration chez elle pour remplacer les enfants que ses citoyens n’ont plus. Encore quelques années comme cela et l’euroruine créera la révolte, voire la révolution chez nous. Regardez l’inexorable ascension du chômage et du Front national en France.
Face à tous ces politiciens, nourris au sein de l’euro, vous êtes, Monsieur le président du Conseil, notre dernier espoir pour échapper au sort sinistre que nos voisins nous réservent si nous ne nous révoltons pas.
J’ai regardé votre programme qui comporte beaucoup de bonnes choses. Vous tentez d’échapper aux ordres de Francfort en baissant les impôts de vos citoyens, pour casser la spirale infernale des hausses d’impôts qui ne peuvent qu’enrayer l’activité économique et in fine augmenter les déficits. Vous annoncez quelques réformes structurelles (à la différence de mon pays) et je soutiens donc vos choix. Pour autant, j’ai le regret de vous dire que vous échouerez rapidement car même en prenant le contre-pied des folies eurocratiques de M. Monti, vous n’avez aucune chance de réussir sans retour à la lire. Certes, une forte baisse de l’euro, revenant à 1 euro égale 1 dollar, vous aiderait mais ne réglerait en rien le problème de votre compétitivité relative par rapport à la zone rhénane. C’est pourquoi j’espère que vous vous convaincrez rapidement qu’il faut faire disparaître l’euro.
Permettez que je vous donne quelques conseils pour y parvenir, une sorte de vade-mecum pour l’imposer à la chancelière Merkel. Je vous recommande d’abord de refaire un tour d’Europe du Sud, en rencontrant vos homologues. En France, l’arrivée de Manuel Valls qui n’a aucune chance de réussir à faire baisser le chômage si l’euro n’explose pas, est peut-être une opportunité s’il est lucide. Dans l’idéal, vous devriez rechercher un mandat de leur part avant même la présidence italienne de l’Union européenne. En tout cas, il faudra retourner à Berlin pour sortir de l’attitude de soumission à la chancelière. La revoyant, vous lui direz que la situation économique est devenue intenable en Europe, sauf chez elle. Je vous invite à exiger de Mme Merkel l’annonce d’une réforme immédiate de Maastricht. Il faut sortir du « Maastricht Mark » où le seul objectif donné à la banque centrale est la lutte contre l’inflation sans aucune considération pour la croissance économique et la lutte contre le chômage. C’était un vice essentiel de ce funeste traité qui nous a livrés aux mains des doctrinaires sanguinaires de la Bundesbank avec, à la clé, la ruine que nous savons.
Je n’ai pas de doute sur la réponse de Mme Merkel : nein. Mais à la différence de tous ceux qui ont parfois tenté ce dialogue avec elle, vous devrez savoir, au sortir de son bureau, vous exprimer urbi et orbi sur ce que vous avez demandé et le refus qui vous a été signifié. Et bien sûr et surtout sur le fait que vous n’acceptez pas ce diktat de l’Allemagne. En dévoilant, si vous en avez eu un, le mandat qui vous aurait été donné par vos collègues. En tout cas, vous aurez déjà, à ce stade, enclenché le sursaut qui fera que, quelle que soit l’issue, vous aurez écrit l’Histoire.
En effet, les marchés seront saisis d’un doute salutaire sur la pérennité de l’euro dont la valeur baissera immédiatement et fortement. Il en résultera aussi un début de mouvements de capitaux et une différenciation accrue des taux d’intérêt selon les pays qui feront qu’une clarification de la situation s’imposera sans délai. Vous lancerez des réunions secrètes et officielles pour mettre l’Allemagne devant ses responsabilités. Elle devra cesser de faire juste le minimum nécessaire pour faire survivre l’euro, à son profit, sans payer, l’actuel supplice qu’elle nous inflige.
Alors soit l’Allemagne acceptera le changement demandé pour le traité et s’engagera aussi dans une politique de transferts massifs au profit de l’Europe du Sud qu’elle a ruinée. Et l’euro sera temporairement sauvé – un euro certes toujours nocif mais d’une moindre valeur et accompagné de réparations allemandes. Ce n’est pas ma solution préférée car elle ne règle en rien les problèmes de compétitivité relative à l’intérieur de la zone euro. Et je pense d’ailleurs que placés devant un tel choix, les Allemands, un peuple âgé et donc sans besoin de croissance, intimeront à la chancelière l’ordre de faire exploser l’euro plutôt que d’avoir une monnaie affaiblie et à avoir à payer pour nous. Tout pourra et devra être réglé en quelques jours. En ayant précipité l’issue du drame que nous vivons, vous aurez sauvé l’Europe et les Européens. Une ère nouvelle s’ouvrira où l’Allemagne verra ce qu’il lui en coûtera de retrouver une monnaie à sa valeur, voire un peu surévaluée. Elle comprendra enfin la torture qu’elle a infligée à ses voisins, à son seul profit, depuis la création de l’euro. Voilà, je l’espère une feuille de route qui vous convaincra.
PHILIPPE VILLIN
