Par Henri Temple
Ce mardi 10 novembre -date emblématique à la veille de la commémoration de l’holocauste des nations européennes- le premier ministre britannique, David Cameron, a rendu publique sa lettre au Président du Conseil européen, le polonais et très libéral-atlantiste Donald Tusk . Il y formule des revendications très fermes envers l’Union européenne dans la perspective du referendum (fin 2017) sur…la sortie de son pays de l’Union.
M. Cameron veut une Europe « où chacun peut mener sa vie », « un marché commun, pas un pays commun …/… un moyen de renforcer le pouvoir et la prospérité de notre pays ». Il en a appelé à l’histoire, rappelant l’« engagement britannique » sur le continent. « De Ypres à Monte Cassino et de Bayeux à Arnhem …/… les dépouilles de soldats britanniques qui ont franchi la Manche pour aider des nations envahies à se libérer du joug d’un tyran, reposent dans des cimetières glacés ».
Il assure, habilement, dans son historique discours, qu’il fera campagne « de tout son cœur et de toute son âme » pour rester « au sein d’une Union européenne réformée », à condition qu’un maintien dans l’UE soit « sans la moindre ambiguïté dans notre intérêt national ». Il s’est dit persuadé qu’« étant donné les défis auxquels font face les dirigeants européens aujourd’hui », les changements demandés sont tout à fait réalisables : « Je suis tout à fait confiant que nous obtiendrons un accord avec l’Union européenne qui convienne au Royaume-Uni. (…) L’Union européenne a l’habitude de résoudre des problèmes insolubles, elle pourra résoudre celui-là aussi. »« Je n’ai aucun attachement sentimental envers les institutions de l’UE ». A ses yeux, les seules questions qui valent sont : « Comment être plus influents dans le monde ? Comment gagner en prospérité (…) ? Comment créer des emplois ? Comment agir au mieux pour ce pays que nous aimons ? » « Le Royaume-Uni peut survivre hors de l’UE car c’est un grand pays et la cinquième économie du monde ../.. « la question européenne n’a pas seulement trait à la sécurité économique, mais aussi à la sécurité nationale. Ce n’est pas juste une question d’emplois et de commerce, mais de sécurité et de sûreté de notre pays ».
Le porte-parole de la Commission a immédiatement répondu que certaines demandes formulées par M. Cameron étaient « hautement problématiques car touchant aux libertés fondamentales de notre marché intérieur ». « La discrimination directe entre citoyens européens entre clairement dans cette catégorie », a-t-il ajouté, en référence aux aides sociales auxquelles le Royaume-Uni veut limiter l’accès pour les migrants européens (ce qui signifie aussi que pour les non-européens le Royaume agira souverainement) ce qui « introduirait une discrimination ». Mais il ne s’agit que d’ un habituel et médiocre abus de langage du mot « liberté » par ambiguïté, car ce qui est visé ce sont les règles du libre échange économique et financier et de main d’œuvre migrante exploitée, et non les vraies libertés humaines et sociales.
Les revendications de M. Cameron sont dans le droit fil de sa volonté de défendre son intérêt national. Quel sot pourrait en être surpris ? Examinons les :
1 – Suppression de l’accès aux prestations sociales des Européens (et, on suppose, bien sûr, des non européens) s’installant au Royaume-Uni pendant les quatre premières années de leur séjour. Ce versement d’allocations concerne 40 % des résidents européens.
2 – Abrogation de la loi britannique qui oblige les tribunaux du Royaume -Uni à exécuter les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Ceci remet en cause la participation du Royaume à Convention européenne des droits de l’homme, dont le respect est exigé de tout membre de l’Union européenne.
3 – Aménagement, voire exemption pour la Grande Bretagne, par des « changements juridiquement contraignants et irréversibles »de l’engagement d’édifier « une union toujours plus étroite », ce qui constitue selon lui une intégration fédéraliste à marche forcée. Le Premier Ministre souhaite renforcer le système qui permet à plusieurs Parlements de pays membres de se regrouper pour bloquer certaines décisions de l’UE. Voire d’aller jusqu’au veto parlementaire à l’application des Directives de l’UE dans son pays.
4 – Enfin M. Cameron s’exprime sur l’économie en libéral qu’il est : « approfondir le marché unique » en l’élargissant aux secteurs du numérique et aux services, en réduisant la réglementation, en multipliant les accords commerciaux avec des pays comme les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Japon.
Cela suppose de protéger la City et la livre sterling contre la prééminence des pays de la zone euro. Il s’agit d’officialiser le fait que l’UE est une communauté « multidevises » (recréer une monnaie commune, même s’il ne le dit pas ?), interdire la « discrimination sur la base de la monnaie » ou une domination des États de la zone euro.
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En dépit de toutes les ambiguïtés de son discours, et des onguents lénifiants dont il prend soin de l’oindre, M. Cameron vient d’enclencher le processus de déconstruction de l’Union européenne dans sa configuration actuelle, telle que tout le monde en a perçu le terrible échec en ce début de XXIème siècle. Le sommet européen des 17/18 décembre dira quels sont les premiers résultats de cette démarche, en l’état des renouveaux politiques perceptibles en Europe centrale mais aussi ailleurs. Il se pourrait qu’il prenne la tête d’un lobby puissant qui remettra en cause le traité illégitime de Lisbonne. On va découvrir que l’Europe ce n’est pas l’UE.
Morale provisoire : Relisant récemment le mythologique Pan Europe de Coudenhove -Kalergi (1927), présenté comme étant la Révélation qui a permis de fonder la religion européenne, j’y découvre la source de l’erreur fondatrice : l’union intégratrice est présentée comme la seule possibilité de préserver la paix sur notre continent . En réalité les guerres européennes ont toutes été provoquées par des pouvoirs autocratiques. Jamais une démocratie véritable n’assaille une autre démocratie. Autrement dit c’est la liberté -pas la fusion forcée-qui est le meilleur garant de la paix. Or cette Union à tout prix que l’on veut nous imposer sans que nous ayons droit au chapitre ne nous a-t-elle pas déjà privés de nos libertés essentielles ?