L’actuelle pénurie de médicaments dans les officines qui concerne plus de 3700 médicaments à la fois courants et de première nécessité (antalgiques, antibiotiques,…) mais également d’intérêt thérapeutique majeur (anticancéreux , anti rejets,…) met en danger toute notre population.
Cette crise qui ne touche pas que la France, a pour origine des causes à la fois conjoncturelles (forte demande mondiale post-Covid et la pénurie de certains composants ou de principe actifs), mais également structurelles, propres à notre pays, qui en expliquent son ampleur exceptionnelle.
Depuis des décennies, nos différents gouvernements, afin de tenter d’endiguer l’augmentation des dépenses de santé (qui sont malgré tout passées de 9% à 12,3% du PIB entre 2002 et 2021) on utilisé systématiquement les baisses de prix des médicaments comme variable d’ajustement d’un budget de la Sécurité Sociale en déficit chronique. Pour ce faire, ils ont agi soit directement sur le prix de remboursement, soit indirectement, par des incitations financières auprès des médecins et pharmaciens pour la substitution des médicaments de marques par des génériques. Le résultat de cette politique purement comptable mais dénuée de vision stratégique, est à ce jour, un prix des nos médicaments parmi les plus bas d’Europe (-15% par rapport à la moyenne) mais également, un déclin progressif de notre industrie pharmaceutique, qui n’est plus en mesure aujourd’hui d’assurer notre indépendance pour l’approvisionnement en médicaments de notre population.
L’industrie pharmaceutique en France, leader européen il y a seulement vingt ans, ne compte plus que pour 3% du chiffre d’affaire mondial et, alors que 69 entreprises étaient actives dans ce domaine en 2013, il n’en reste plus qu’une vingtaine à ce jour. Plus grave encore, hormis SANOFI avec son médicament phare DUPIXENT (traitement de l’eczéma), le chiffre d’affaire des laboratoires français repose principalement sur la vente d’anciens médicaments proches de tomber dans le domaine public, de copies, de génériques, de produits sans ordonnance (OTC) ou sur l’exploitation de licences avec des laboratoires étrangers. Cette dégradation est la conséquence :
– d’un sous-investissement chronique en recherche et développement (R&D), pourtant vital dans ce secteur économique qui s’explique par la baisse des revenus due à la politique de prix bas, l’augmentation très importante des délais et des coûts de R&D des nouveaux médicaments de biotechnologie, le manque de collaboration des laboratoires pharmaceutiques entre eux et avec les laboratoires de recherche universitaires. – l’adaptation stratégique de notre industrie pharmaceutique qui, pour compenser la baisse relative de leurs revenus, a réduit ses investissements industriels en France et a externalisé en Asie la fabrication des principes actifs, ne faisant qu’augmenter notre dépendance vis à vis de ces pays.
– L’abandon des investissements destinés aux médicaments pour des pathologies courantes mais vendus en gros volume à des prix bas ( ex.
Doliprane, antibiotiques par exemple) au profit de ceux, innovants, issus de la biotechnologie, vendus en faible volume à des prix très élevés car sans concurrence.
Les solutions à mettre en œuvre pour sortir de cette situation et assurer la sécurité d’approvisionnement de médicaments se doivent d’être
beaucoup plus ambitieuses que les récents « plans de relance » annoncés par notre gouvernement, être multiples, coordonnées et s’inscrivant dans la durée:
– réduire la consommation de médicaments prescrits: tout d’abord en évitant les gaspillages par la généralisation de la délivrance à l’unité en
officine et en EHPAD, la limitation du nombre de médicaments sans réel bénéfice thérapeutique, la promotion du bon usage du médicament auprès
des patients et de tous les professionnels de santé, la limitation des études cliniques à visée « commerciale », mais également, par l’amélioration de la santé de nos concitoyens: renforcement des politiques de prévention, intensification des recherches épidémiologiques en matière d’alimentation (traitement de l’eau et animaux issus des élevages industriels)
– Réindustrialisation pharmaceutique afin d’assurer la production en France, des médicaments répondant aux besoins de la population et ce, du
principe actif au produit fini. Pour ce faire, il faudra mettre en place: les outils financiers incitatifs permettant à ces entreprises de générer plus de marge en produisant en France que dans un pays étranger ( subventions à l’investissement industriel, révision de la politique de fixation des prix de
remboursement), mais également, créer un filière publique ( pharmacie centrale des armées ou AP-HP afin de compléter la production du secteur
privé, pour des médicaments en faible volume ou de faible marge tout en constituant un modèle économique opposable et enfin, instaurer un système national de surveillance et de gestion d’un stock de sécurité chez les fabricants, grossistes répartiteurs et pharmacies.
– La relance de l’innovation et de la recherche afin de combler notre retard dans le domaine des biotechnologies et permettre à notre industrie
pharmaceutique de rivaliser économiquement avec ses concurrents mondiaux et de pérenniser son redéploiement en France: la création d’un
Pole public du médicament dont les missions seraient: définir une politique et un plan de recherche sur 10 ans, recenser tous les acteurs potentiels et mettre en place des réseaux solidaires de coopération, accompagner les entreprises dans les projets d’alliance et d’acquisition de start-up ou de
brevets, qu’il faudra compléter par des incitatifs fiscaux pour les activités privées de R&D, la refonte de notre système de gouvernance des activités de recherche universitaire afin de stopper la fuite de nos chercheurs et enfin, par un soutien des structures hospitalières (CHRU et CAC) en vue
d’intensifier les programmes d’études cliniques pré-AMM.
En conclusion, il est tout à fait a la portée de notre pays de retrouver une souveraineté dans le domaine pharmaceutique, au moins aussi importante que celles dans le domaine de l’énergie, de l’alimentation ou militaire et ainsi d’empêcher que des crises comme la pénurie actuelle de médicaments ne se reproduisent. Pour ce faire, il est indispensable de mettre en place un plan ambitieux et volontariste sur une décennie qui prend en compte tous les acteurs concernés et guidé par la volonté d’excellence et d’indépendance.