Dominique Bertinotti a choisi après coup de rendre public son cancer du sein alors qu’elle avait décidé de garder le secret et de travailler le plus normalement possible lors du diagnostic et du traitement.
Le courage et la force morale dont elle fait preuve sont évidents. Un cancer et son traitement sont une épreuve physique et psychologique qui touche au plus profond. Au corps qui vous trahit, à la mort qui rode, s’ajoutent dans le cas du cancer du sein la menace sur la féminité que constituent la chirurgie plus ou moins large, la perte des cheveux souvent induite par la chimiothérapie, le tournant parfois difficile de la vie qu’est pour les femmes la ménopause.
Sa révélation laisse pourtant une impression ambiguë, dont les réactions d’autres femmes touchées par le même maladie témoignent.
S’il s’agit d’envoyer un message de combativité et d’espoir, son témoignage est le bienvenu.
Mais les femmes atteintes du cancer du sein seraient-elles dès lors obligées d’adhérer à cette image de modernité, de résistance, voire de toute-puissance ? Il n’est pas interdit de craquer devant la dureté de la situation, les effets secondaires, l’angoisse. Il n’est pas interdit de se sentir incapable de travailler en même temps que les traitements, incapable de faire face aux responsabilités familiales qui pèsent spécifiquement sur les femmes. “Bien vivre” son cancer n’est sûrement pas un impératif.
Il n’est pas interdit non plus de profiter des avantages sociaux chèrement conquis par les générations précédentes et acquis par une vie de travail, que sont les allocations -maladies et les congés spéciaux. Car tout le monde ne peut pas facilement combiner traitement du cancer et maintien de la vie la plus normale. Il n’est pas injurieux de dire à Madame Bertinotti qu’une position de haute responsabilité, privée ou publique, rend plus facile la vie quotidienne en cas de maladie, l’aménagement de son temps, et procure des ressources financières que la majorité n’a pas.
Les dizaines de milliers de femmes atteintes chaque année par le cancer du sein vivent la dureté des temps. Travail précaire ou chômage ne laissent pas le temps de s’interroger sur la compatibilité de la maladie et du travail. Les salaires comprimés, la pression exercée sur tout le monde du travail par la mondialisation sauvage, les petites retraites ne fournissent pas les marges de manœuvre économiques souhaitables face à la maladie, ne serait-ce que lorsqu’il faut payer de sa poche une part des centaines d’Euros que coûtent une perruque de qualité.
La révélation de Madame Bertinotti a pour elle d’encourager toutes celles que frappe le cancer du sein. Elle a pris le risque d’offrir une nouvelle fois l’image d’une France éclatée : au sommet, celles qui ont les moyens de faire face, et les autres, toutes les autres et de leur renvoyer l’image culpabilisante d’un manque de courage et de facilité à user des droits sociaux. Au moment où son gouvernement continue, comme tous les précédents, à conduire les français vers la privatisation de la santé faute d’une vraie politique économique et sociale au bénéfice de tous, elle se devrait d’y réfléchir.
François Morvan
Cancérologue
Vice-président de DLR