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La loi sur le Renseignement, votée le 5 mai par 438 députés à l’Assemblée nationale, dont nous pouvons évidemment comprendre la présentation vu les circonstances actuelles, s’attaque de fait à nos libertés individuelles d’opinion, d’expression et de respect de la vie privée et institue une inquiétante surveillance de masse.
Cette loi entérinée, le sujet des lanceurs d’alerte revient sur la table. Comment en effet parler de protection de ces derniers s’ils sont d’un côté protégés et de l’autre surveillés ?
Le secret des affaires, inclus dans le projet de loi Macron, a été évité grâce à une mobilisation sans faille de la société civile. Il faut qu'il en soit de même pour les lanceurs d'alerte.
Il est évident que la condamnation obligeant UBS à verser une amende de 30.000€ pour harcèlement moral subi par une "lanceuse d'alerte" (Stéphanie Gibaud, co-signataire de cette tribune), suite aux harcèlements dont elle a été victime en refusant de se plier à une loi du silence complice de fraudes pour lesquelles UBS est mise en examen est insignifiante au regard du bouleversement de vie induit par un acte citoyen empreint d'intégrité. Ce dédommagement n'est absolument pas proportionné à la prise de risque de même qu'aux bénéfices rapportés à la France : des milliards d'euros.
La Justice est impuissante, inadaptée et trop parcellaire ; elle n’est clairement pas à la hauteur des enjeux notamment pour des dossiers à dimension nationale.
L'affaire UBS révèle donc un manque de considération quant au traitement des lanceurs d'alerte. Le droit d'alerte, lorsqu'il relève d'un enjeu d'intérêt général, et n'est ainsi pas motivé par des intérêts particuliers, constitue une extension de la liberté d'expression si chère à nos valeurs.
Ne pas soutenir les lanceurs d'alerte, c'est cautionner la pérennisation de pratiques frauduleuses ou de menaces à l'égard de nos concitoyens. Nous tenons à saluer le courage de celles et ceux qui bien souvent font primer leurs principes et convictions avant le confort de leur situation et aux dépens de leur avenir. Les lanceurs d'alerte ne sont pas des délateurs mais des résistants, leur démarche de bonne foi exclut tout agissement intéressé ou diffamatoire. Ils sont des sentinelles là où souvent les pouvoirs publics n'exercent souvent aucun contrôle dans une mondialisation qui ne cesse de s'exacerber. C'est pourquoi ils sont indispensables à notre société et doivent être considérés comme tels par les pouvoirs publics qui ont le devoir de les soutenir et de les protéger.
Contrairement aux idées reçues, le lanceur d’alerte ne se contente pas de « tirer la sonnette d’alarme » mais se trouve en première ligne, au cœur de la bataille, à subir toutes les conséquences d’avoir pointé un dysfonctionnement, prévenu des risques sanitaires majeurs ou dénoncé des malversations.
A l'instar des Etats-Unis où une réelle protection est accordée aux dénonciateurs de fraude fiscale, la France doit récompenser de manière juste et cohérente une telle prise de risque par exemple en leur faisant bénéficier d'une rémunération décente et d'une offre de recrutement dans les services de l'Etat pour participer à la lutte anti-fraude : ainsi, les établissements bancaires seraient responsabilisés et conscients du danger que représente toute pratique frauduleuse.
En France, avec 5 lois incluant un article en faveur des lanceurs d’alerte – dont 3 datant de 2013 – la législation est fragmentaire et disparate. Nous savons que le dispositif n'est pas opérationnel. Il conviendrait d'étendre ces lois afin de garantir une protection globale pour les fonctionnaires et les collaborateurs issus du secteur privé. L'entrave au signalement ou les représailles devraient être pénalisés. Un fonds de dotation doit être créé de façon à assurer aux lanceurs d'alerte un procès équitable en les accompagnant dans les procédures judiciaires et à réparer l'ensemble des conséquences du signalement, tant en terme de revenus que de souffrance morale.
Parce que le risque de bouleverser leur vie au profit de l'intérêt général est important et pourrait dissuader certains de révéler de précieuses informations, une autorité indépendante pourrait être créée afin de s'assurer que les conséquences de leur courage soient décemment "réparées".
Les affaires Swissleaks et Luxleaks ont révélé un système organisé d'évasion fiscale à l'échelle internationale, et par définition aussi européenne, dont l'un des instigateurs n'est autre que Monsieur Juncker, désormais Président de la Commission européenne. Déjà en 2013, le livre Les Voleurs de la République publié suite à l'enquête parlementaire réalisée aux côtés du député communiste Alain Bocquet sur la fraude fiscale, dénonçait les pratiques scandaleuses d'évasion fiscale qui coûtent chaque année près de 60Mds€ à l'Etat. De simples mesures permettraient de récupérer 20Mds€ très rapidement en cette période où il est demandé à tous les Français de se serrer la ceinture. L’impunité de certaines élites, la duplicité de certains gouvernements, le silence de l'administration, l’inertie de la Justice, dissimulent un système de fraude organisée, un vol institutionnalisé au détriment du bien commun et de l'intérêt de la grande majorité des citoyens.
Nos dirigeants européens et certains de nos gouvernants français semblent hostiles à la promotion des initiatives des lanceurs d'alerte, pourtant on ne peut plus respectables. Alors que des scandales éclatent à répétition au sein de notre oligarchie politique, il est urgent que le droit français reconnaisse à leur juste valeur les lanceurs d'alerte, indispensables sentinelles au service de l'intérêt général. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de contribuer à inverser le rapport de force en protégeant ceux qui sont mis en danger dès qu'ils défendent l'intérêt général.
Stéphanie Gibaud, lanceuse d’alerte, ex-UBS France
Nicolas Dupont-Aignan, Député de l'Essonne, Président de Debout la France