« Toute honte bue, on commet ce crime-là. » disait Victor Hugo.
Tel est le constat qui s’est imposé ce 29 novembre, lorsque sans honte, la Cour de justice de la République (CJR) a commis une action déshonorante en relaxant Éric Dupond-Moretti, estimant que l’élément intentionnel n’est pas caractérisé, après avoir conclu qu’il avait matériellement commis le délit de prise illégale d’intérêts.
Ce qui pose trois problèmes : juridique, constitutionnel et institutionnel.
Un problème juridique
Il a été reproché à Éric Dupond-Moretti d’avoir, en sa qualité de garde des Sceaux, ministre de la justice, ordonné deux enquêtes administratives concernant un magistrat de Nice et trois du Parquet national financier et ce, dans des dossiers où il était lui-même partie en tant qu’avocat avant d’être nommé ministre.
Le délit de prise illégale d’intérêts a pour finalité de réprimer toutes les formes de conflits d’intérêts, dont l’une des plus marquantes est d’exercer un pouvoir sur les opérations en cause.
Astreintes à un désintéressement absolu afin de faire échec à toute suspicion de partialité, les personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public, sont plus précisément tenues à un devoir d’impartialité objective, ce qui exige de faire preuve non seulement de probité, mais également d’en avoir l’apparence.
L’intérêt prohibé par le Code pénal est vaste, puisqu’il peut être matériel ou moral, direct ou indirect ; c’est ce que le nouvel article 432-12 qualifie d’intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité.
S’agissant de l’élément intentionnel, de jurisprudence constante, il est caractérisé du seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit et il n’est pas nécessaire qu’il ait agi dans une intention frauduleuse.
Ainsi, en déclarant que le garde des Sceaux se trouvait placé dans une situation objective de conflit d’intérêts, pour estimer aussitôt un défaut de caractérisation de l’élément intentionnel des délits de prises illégales d’intérêts, la CJR a non seulement violé la loi, mais vidé de toute sa substance et de tout son sens l’infraction visée, ouvrant ainsi la porte à une impunité générale en la matière, piétinant gravement l’adage : « nul ne peut servir deux maîtres à la fois ».
Un problème constitutionnel
Principe à valeur constitutionnelle, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame que « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »
L’article 64 de la Constitution de 1958 énonce que « le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ».
Or, avec cette affaire, point de séparation des pouvoirs, ni de garantie d’indépendance de l’autorité judiciaire.
Le Procureur général, Remy Heitz, voix de l’accusation, a été récemment nommé par Emmanuel Macron, Procureur général près la Cour de cassation, dont le supérieur hiérarchique n’est autre que Dupond-Moretti.
Lequel garde des Sceaux mis en examen, a été nommé en 2020 puis reconduit en 2022 par Emmanuel Macron.
Ce dernier dirigeant la majorité présidentielle à laquelle appartiennent cinq juges sur les quinze composants la CJR.
Le ministre mis en cause et qui a refusé de démissionner, s’est ainsi retrouvé jugé en cours d’exercice de ses fonctions par ses pairs dont cinq élus de la majorité présidentielle et quatre élus de la droite, avec lesquels le gouvernement auquel il appartient travaille.
Du conflit d’intérêts pour juger une prise illégale d’intérêts.
Par ailleurs, de la garantie des droits proclamée plus haut, découle le principe d’impartialité édicté par la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.
La boucle est ainsi bouclée dans cette affaire où tout a été piétiné.
Un problème institutionnel
Par un communiqué en 2016, déjà, le Président de Debout La France déclarait qu’« Il est temps d’en finir avec les mesures de justice d’exception et sanctionner ceux qui sont hors-la-loi. »
« Il faut supprimer la Cour de Justice de la République comme les autres juridictions d’exception. »
Cette anomalie démocratique consistant à faire juger une personne par ses pairs, à violer la séparation des pouvoirs, à piétiner l’indépendance de l’autorité judiciaire, tout comme l’impossibilité de faire appel de la décision, et in fine, l’affichage outrancier de l’immunité organisée des politiques, portent un grave coup à l’institution judiciaire.
Le tout portant une sérieuse atteinte à notre contrat social, ce pacte qui exige et oblige.
Il est temps de se relever.