Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
L’un mettait en avant son statut d’ancien président de la République, les deux autres se prévalaient de leur stature d’anciens Premiers ministres. Excusez du peu ! Quel générique ! Faute de pouvoir présenter des titres aussi ronflants, leurs principaux concurrents, entrés un peu plus tard dans la carrière, avaient figuré au gouvernement de la France et ne se privaient pas d’exhiber leurs plus modestes quartiers de noblesse républicaine. Pour autant, la cause paraissait entendue, et l’issue connue, depuis plus d’un an. La primaire de la droite (et du Centre) se jouerait entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, le maire de Bordeaux en serait finalement le vainqueur. On sait ce qu’il en est advenu, et que, déjouant tous les pronostics, un troisième larron renvoyait dos à dos, fin novembre, dépités, honteux et confus, les deux favoris des commentateurs et des sondeurs, ces bookmakers des champs de course de la politique.
Les arguments, des plus classiques, avancés par les deux favoris, semblaient pourtant irrésistibles. « J’ai le niveau », « j’ai l’expérience », « vous me connaissez », « vous savez de quoi je suis capable », « vous m’avez vu à l’œuvre », proclamaient-ils à l’envi. De fait, ni l’un ni l’autre n’étaient des perdreaux de la décennie, l’un et l’autre avaient gravi une à une les marches du pouvoir, l’un et l’autre avaient réuni sur leur candidature, outre des listes impressionnantes d’anciens ministres, les parrainages requis d’élus nationaux, locaux, de cadres et de militants… Bref, les deux hommes ne souffraient assurément ni d’un déficit de notoriété, ni d’un manque de moyens, ni de l’absence de relais médiatiques, les deux étaient manifestement faits de l’étoffe râpée dans laquelle, ces vingt dernières années, nos trois derniers chefs de l’Etat se sont taillé des costumes trop grands pour eux. Alors, que s’est-il passé, que se passe-t-il ? Pourquoi ce qui devait être n’a-t-il pas été, pourquoi ce qui était exclu s’est-il réalisé ? Pourquoi les vieilles recettes mitonnées dans les arrière-cuisines et les casseroles vert-de-grisées des anciens partis ne marchent-elles plus?
Parce que les électeurs, en France comme ailleurs, ont cessé d’être ces innocents, ces alouettes qui donnaient dans tous les miroirs, ces gogos qui avalaient tous les boniments. Parce qu’ils ne croient plus aux promesses tant de fois trahies, parce qu’ils ne se laissent plus prendre aux leurres des fausses alternances, parce qu’ils ont repris conscience de la toute-puissance de l’arme absolue, de ce méchant morceau de papier, de cet humble bulletin de vote que la démocratie, à de trop rares intervalles, leur met entre les mains, parce qu’ils ne sont pas insensibles aux bouleversements du monde qui les entoure. Le vent de l’histoire qui souffle en tempête a balayé comme des fétus Cameron, Renzi, Hillary Clinton, l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne. Ce vent ne s’arrête pas aux frontières de l’hexagone, il peut emporter ici comme ailleurs les plus notables, les mieux installés, les plus persuadés que le présent n’est que la continuation du passé sous d’autres appellations et qu’il faut, n’est-ce pas, toujours parler de changement pour ne jamais le faire…
Sous le coup du résultat de la primaire, les analystes professionnels de la politique, comme d’habitude, n’ont pas immédiatement compris sa signification. Six semaines ont passé, et les yeux se sont ouverts. Chacun admet aujourd’hui que le succès spectaculaire et imprévu de François Fillon, vainqueur par défaut d’une élection partielle, ne lui garantit en aucun cas la victoire en avril et mai prochains. Les causes de l’étrange et humiliante défaite de MM. Sarkozy et Juppé n’ont pas disparu, bien au contraire. Elles crèvent les yeux. A ceux qui disent qu’ils sont forts de leur expérience, qu’ils ont démontré de quoi ils étaient capables, qu’ils sont prêts à nous faire le don de leurs personnes, l’écho répond qu’on ne sait que trop ce que nous a coûté leur expérience, qu’on ne sait que trop à quel point ils sont incapables, qu’on ne les connaît que trop, qu’on ne les a que trop vus. Confier ce qu’il nous reste d’économies à ceux qui ont jeté notre argent par les fenêtres, remettre les clés de la maison à ceux qui l’ont saccagée, donner une nouvelle chance à des récidivistes ? Il y a des limites à la naïveté, des bornes à l’amnésie et si nous faisions cette faute, nous serions complices avant d’être victimes.
François Hollande, qui s’est révélé dans l’action un canard boiteux, n’en est pas moins un vieux renard de la tactique politicienne. Il a compris que dans le climat du moment, être sortant n’est pas un avantage mais un handicap. Il en a tardivement mais clairement tiré les conséquences. François Fillon ou Manuel Vall s’aperçoivent à leur tour qu’ils risquent de faire les frais de leur passé. D’où le zèle dont on ne saurait dire s’il est plus impudent que maladroit ou l’inverse, avec lequel ils cherchent à l’effacer, voire à le renier. C’est à peine si le premier se souvient encore d’avoir été cinq ans durant le Premier ministre soumis d’un président impopulaire. Quant au second, chef du gouvernement il y a encore un mois, et depuis deux ans et demi, il nous révèle que les nombreuses erreurs qui lui sont imputées lui ont été imposées. Au reste, pourquoi aller chercher des poux dans la crinière d’un lion ? Ils ont changé. Le faux dur était un vrai mou, le faux mou était un vrai dur. Où l’on croyait avoir affaire à M. Queuille rugit un nouveau Winston Churchill. Le disciple de Clemenceau s’est réincarné en émule de Guy Mollet. Ils ont changé, vous dis-je. Ils ne sont pas, ils ne sont plus ce que nous croyions. La preuve ? Ils s’en prennent avec violence à l’ « Establishment », ils défient le « microcosme ». Pauvres mots qui se laissent proférer et qui ne peuvent ni protester ni se tordre de rire lorsque ceux qui sont les prpdiots et les promoteurs de la plus vieille des politiques dénoncent le « système ». Système, système…il y a un bon moment qu’ils nous tapent sur le système.