Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Les abonnés du Pari mutuel, et notamment les adeptes du quinté, sont parfaitement au fait de la particularité des courses de chevaux à handicap. Le principe en est le suivant : au départ de l’épreuve, les chevaux a priori favoris, sur la base de leurs résultats antérieurs, doivent porter, en plus de leur jockey, un poids supplémentaire (des plaques de plomb) proportionné à leur valeur. Variante : les mêmes « rendent » à leurs concurrents une longueur de vingt-cinq à soixante-quinze mètres qu’ils devront parcourir en sus. Sous une forme ou une autre, la finalité de ce système est claire : pénalisant le plus fort, avantageant le plus faible, il égalise les chances des uns et des autres, il donne ou laisse sa chance à chacun. Et c’est ainsi qu’il arrive que les outsiders l’emportent sur les cracks. Où l’on voit qu’équitation et équité peuvent aller de pair.
La course à l’Elysée, en revanche, obéit à des règles diamétralement opposées, qui favorisent outrageusement ces vieux chevaux de retour que sont les « grands » partis, autrement dit les puissants, les riches, les installés, aux dépens de leurs challengers moins fortunés.
Lorsqu’en 1962 le général de Gaulle soumit au referendum l’amendement constitutionnel qui donnait – plus exactement qui rendait – au peuple tout entier le droit d’élire pour sept ans le chef de l’Etat, il ne s’était pas particulièrement préoccupé d’organiser les conditions dans lesquelles s’exercerait ce droit. Le diable, à son habitude, s’est niché dans les détails, la malignité politicienne et la rouerie des institutions publiques – Conseil constitutionnel, CSA – ou privées – les médias – ont multiplié les dispositions, les pratiques, les chicanes, qui ont fait de cette grande compétition républicaine une vicieuse course d’obstacles.
L’obligation, introduite dès l’origine, de disposer de cent parrainages d’élus pour avoir le droit de se présenter, ne visait qu’à empêcher les farfelus, les fous, les zozos et les petits malins de mettre à profit l’occasion pour agiter leurs marottes et faire gratuitement la publicité de leur personne ou de leurs élucubrations – ce qui d’ailleurs, n’empêcha pas, en 1965, le doux rêveur qu’était Marcel Barbu de bénéficier sur l’unique chaîne de la télévision nationale, d’une tribune équivalente à celle du libérateur du territoire, de François Mitterrand ou de Jean Lecanuet.
Mais ce n’est pas pour cette seule raison que la barre fut ultérieurement portée par le législateur à cinq cents parrainages. Tandis que, forts de leurs réseaux, de leur force de frappe, de leur rente de situation, les « grands » partis disposent d’un simple claquement de doigts du nombre requis d’élus, leurs compétiteurs, privés de représentation par le scrutin majoritaire, doivent ramer et s’épuiser pendant des mois et des mois pour satisfaire à cette obligation. Le dévouement des militants, l’enracinement territorial, la personnalité des candidats, la pertinence de leurs idées, la cohérence de leur programme permettent à certains de franchir l’obstacle, mais combien, pourtant personnellement aptes et politiquement légitime, périssent en chemin, combien de cadavres politiques jonchent le sol à l’issue d’une éprouvante traversée du désert ! Et l’on sait de reste que l’annonce de la publication intégrale de la liste des « parrains », dernière invention du système, avait pour but et a bien eu pour effet, au mépris de leur dignité et de leur liberté, d’intimider des centaines, que dis-je des milliers d’élus locaux peu soucieux d’affronter la fronde de leurs propres électeurs et surtout les représailles des grands barons, des grands feudataires qui se sont taillé des fiefs dans l’épaisseur du tissu républicain.
L’argent, nerf de la guerre et de la politique, n’est pas équitablement réparti, c’est peu de le dire, entre tous les concurrents. Les uns disposent du magot, de la manne, que leur verse l’Etat sur la base des consultations antérieures et du nombre de leurs élus au Parlement, les autres ont toute liberté de s’adresser aux donateurs, donc au dévouement et à la charité privés, dans de strictes limites dont les puissants savent à merveille s’affranchir.
Et comme si cette inégalité des chances ne suffisait pas, les médias, sous la bienveillante et benoîte surveillance du Conseil constitutionnel et du C.S.A., garants d’un prétendu pluralisme à la mode de quand, mettent dans la balance tout leur poids en faveur de ceux qui en ont le moins besoin, au détriment de ceux dont les idées rencontrent bien souvent celles du plus grand nombre, qui, tout simplement, n’en aura pas connaissance, et se croira réduit à n’avoir le choix qu’entre le vote utile à des gens qui ne le sont pas et l’abstention, ce suicide collectif du civisme.
Le CSA, justement, rendait publique hier la répartition du temps d’antenne, toutes chaînes confondues, entre les différents courants et mouvements de notre paysage politique sur les six derniers mois. Entre août et janvier derniers , l’exécutif (président et gouvernement) a bénéficié de 265 heures. Soit. Le parti dit des « Républicains » de 482 heures. Le Parti qui s’appelle encore socialiste de 421 heures. Primaire oblige. Le Front national de 139 heures. Le Parti de gauche de 45 heures. « En marche » de 43 heures. EELV de 40 heures. L’UDI, le Parti communiste, le Modem, Debout la France d’entre 10 et 20 heures chacun. Tout se passe comme si, avant même le départ de la course, les uns étaient crédités d’avance de leur future qualification, les autres condamnés à courir à cloche-pied, les jambes entravées, bouche bâillonnée.
Cela, nous dit-on, ce système qui protège les forts et pénalise les faibles, ce serait la démocratie. La démocratie ? Mais oui, telle que la pratiquent et la pervertissent, jour après jour, élection après élection, ceux pour qui ce mot, ce beau mot, ce grand mot, est synonyme de darwinisme, de triche, d’iniquité.