Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
C’était joué. Plié. Verrouillé. En grand professionnel de la politique, Nicolas Sarkozy avait rédigé, séquence par séquence, le scénario de son grand retour gagnant. Quel rivalpouvait redouter l’homme qui avait fait main basse sur la présidence, l’appareil, le fichier et les investitureNs du grand parti dont il était le fondateur et où il se targuait d’être resté le mâle dominant ? Que pouvait-il craindre de concurrents qui avaient tous été ses « collaborateurs » et dont certains lui devaient leur plus ou moins résistible ascension ? Sur cette base, et fort du soutien d’un noyau dur de militants dont les acclamations lui montaient à la tête, l’ancien chef de l’Etat avait pris son parti d’une primaire ouverte à tous les électeurs et à tous les vents. On sait ce qu’il en est advenu.
La participation massive constatée dimanche dernier a déjoué tous les calculs, tous les pronostics, et fait éclater un certain nombre de baudruches gonflées de leur importance. Quatre millions de votants – à l’image de ce qui s’est passé en juin de l’autre côté de la Manche et au début de ce mois outre-Atlantique – ont bousculé les sondeurs, les médias et les favoris déjà vainqueurs dans leur tête. C’est le côté positif – le seul – d’un scrutin qui remet en selle les vieux partis, d’une consultation dont le principe même est peu compatible avec l’esprit de la Ve République.
Car, d’autre part, ce premier tour a introduit la fraude, la triche et l’incivisme au cœur même d’un événement salué par des commentateurs hâtifs comme une avancée démocratique. Près d’un million de votants, soit le quart des exprimés, venus les uns de la gauche les autres du Front national, se sont infiltrés dans la primaire pour en fausser les résultats au prix d’un léger parjure de derrière les fagots et en fonction de calculs politiciens dignes d’un congrès radical d’avant-guerre ou d’élections internes de feue l’UMP. Ces petites manœuvres comme ceux qui les ont inspirées et encouragées frappent de suspicion et nimbent d’illégitimité le grand exemple que l’on prétendait donner aux quarante millions de citoyens qui se sont abstenus de prendre part à cette comédie à l’issue de laquelle, nous dit-on, devrait être désigné dès ce soir le président de la République dont l’ensemble du corps électoral sera invité à entériner le choix au printemps prochain. Simple formalité, nous disent déjà les habituels diseurs professionnels de mauvaise aventure.
Quoi qu’il en soit, en permettant à celui qui, presque jusqu’au bout, aura passé pour un outsider, voire pour un tocard, de doubler Nicolas Sarkozy et dans la foulée de reléguer Alain Juppé à quinze longueurs le soir du premier tour, les 44% d’électeurs qui se sont prononcés pour l’ancien Premier ministre ont souhaité fairele choix de la personne la plus digne, en tout cas la moins indigne, de la haute fonction à laquelle elle aspirait. Jamais condamné, jamais mis en examen, jamais compromis dans aucune affaire de droit commun, François Fillon ne traîne derrière lui aucun bruit de casseroles et peut produire à la demande un casier judiciaire vierge. C’est une originalité parmi les dirigeants historiques des « Républicains ».
Ce que l’on pourrait appeler soncasier politique est en revanche bien rempli. Elu de la Sarthe dès 1981, député sans relief particulier mais régulièrement réélu, toujours discret mais ministre, à six reprises, « collaborateur », enfin, du flamboyant Nicolas Sarkozy, en tant que chef du gouvernement, mais tenu en laisse, il y a maintenant trente-cinq ans que François Fillon est entré dans la course aux honneurs et que, sans avoir commis de grandes fautes, ni avoir brillé d’un grand éclat, ni s’être fait beaucoup d’ennemis il s’y est progressivement faufilé jusque sur le devant de la scène.
D’abord gaulliste social et mettant avec application ses pas dans les pas de Philippe Séguin, jusqu’à voter contre le traité de Maastricht, François Fillon n’a pas tardé à comprendre qu’il n’y avait d’avenir pour lui au sein de la droite de gouvernement que s’il rentraitdans le rang et renonçait aux convictions qui sont sans doute restées profondément les siennes. Comme tant d’autres, il a plié devant l’orthodoxie européiste et atlantique. D’où une sorte de sciatique morale comparable à la sciatique physique qui l’avait frappé à force de subir les avanies et les humiliations que lui avait prodiguées le président de la République. Certains accents qui lui sont échappés lors de la campagne des primaires, et qui ont pu séduire ici et là donnent à penser que M. Fillon est un patriote contrarié, comme il existe des gauchers contrariés.
On avait apparemment sous-estimé son endurance, sa ténacité et sa capacité d’encaissement. Ce n’est pas en revanche faire injure à l’ancien Premier ministre de rappeler que, tout au long de sa carrière, le courage n’a jamais été la première qualité qu’on lui prêtait. Or, à la surprise générale, l’actuel favori des sondages et des électeurs de la droite (et du Centre ?) a présenté un programme plus libéral,plus conservateur, et surtout plus brutal que ceux de ses concurrents, qui déjà allaient loin dans le même sens.
Conforme à des idées qui, lancées dans les années 80, ont fini par s’imposer, avec trente ans de décalage, à des dirigeants qui datent de la même période, le programme de la droite (et du Centre ?) est conçu pour plaire aux multinationales, aux classes les plus aisées, à tous ceux qui, au nom de la modernité, s’accommodent et profitent de la mondialisation. C’est en revanche une déclaration de guerre aux syndicats, aux salariés, aux chômeurs, aux précaires, aux pauvres, à toutes les victimes d’un libéralisme sans frein, sans frontières et sans contrôle. Sous prétexte de s’en prendre aux « avantages acquis », on attend des Français qu’ils travaillent plus dur et plus longtemps, on prétend plafonner ou diminuer les allocations de chômage dans un contexte de crise de l’emploi, dérembourser les frais de santé, compenser la baisse des impôts directs par la hausse de la TVA, revenir au type de dialogue social en usage sous le Second Empire, déléguer ou démanteler les services publics et remettre en question le statut des fonctionnaires…et tout cela dans les cent premiers jours du quinquennat, et par ordonnances.
Faut-il vraiment faire payer aux Français, ou à la moitié des Français, les fautes qu’ont commises depuis trente ans leurs dirigeants ? Faut-il prendre le parti du libéralisme et de l’austérité quand deux grands pays du monde occidental, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne amorcent le grand tournant d’une relance keynésienne ? De deux choses l’une : soit M Fillon (ou M. Juppé) tentent d’appliquer le programme qu’ils proposent, et c’est la guerre sociale. Soit ils renonceront à des engagementsinsensés qui ne dureront même pas le temps que durent les roses, et ne laisseront le souvenir que demensonges démagogiques et d’illusions perdues. Comme d’habitude. Avec les conséquences prévisibles, au plus tard en 2022…
Serions-nous donc condamnés à choisir entre les incompétents de gauche et les incapables de droite, avec pour seule alternative le triomphe d’extrêmes irresponsables ? Le pire n’est jamais sûr. A ceux qui cèderaient au désespoir, rappelons une fois encore qu’ils disposent d’une arme absolue, le bulletin de vote. Les élections sont le piège mortel où se prennent et succombent les partis les mieux installés et les favoris les plus arrogants. Un chiffre à méditer : c’est dans les huit jours qui ont précédé le premier tour de la primaire de la droite (et du Centre ?) que la moitié des électeurs qui ont opté pour François Fillon ont fait leur choix.