Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Des ultras de 1815, de ces cohortes d’aristocrates et de prêtres qui, rentrés en France dans les fourgons de l’étranger après vingt-cinq ans d’émigration, avaient pour seul programme la restauration de l’Ancien Régime et le châtiment des idées et des hommes de la Révolution, on a pu dire dans une formule célèbre qu’ils n’avaient rien appris et rien oublié. Des oligarques contemporains, de cette société de connivence installée dans le confort intellectuel et moral que donnent l’argent et le pouvoir, on ne pourra que constater qu’aussi longtemps qu’ils l’ont pu, ils n’ont rien compris et tout ignoré.
Les avertissements, pourtant, n’auront pas manqué depuis le début du XXIe siècle. Pour ne retenir que les plus spectaculaires et les plus significatifs, le coup de tonnerre des referendums français et néerlandais de 2005, et plus récemment le tremblement d’Angleterre du Brexit auraient dû éclairer les classes dirigeantes sur les sentiments et les ressentiments des dirigés. Le séisme de mardi dernier ouvrira-t-il les yeux des gouvernants, de leurs soutiens, de leurs serviteurs et de tous les profiteurs de la mondialisation heureuse sur les souffrances, les craintes, les aspirations, les colères et la révolte des gouvernés ? Oui, s’ils peuvent, oui, s’ils veulent bien les ouvrir. Mais auront-ils enfin le courage de la lucidité, tireront-ils les conséquences du camouflet historique que viennent de leur infliger soixante millions d’électeurs américains ? Au vu de certaines réactions, il est permis d’en douter, et peut-être est-il trop tard pour leur pardonner le mal qu’ils ont fait, en sachant parfaitement ce qu’ils faisaient.
Nul ne peut dire, c’est-à-dire prédire le président que sera Donald Trump, pour le meilleur ou pour le pire. Le monde ne fait que découvrir l’homme qu’il a été, après avoir vu surgir des profondeurs du néant ce candidat que ses pitreries, ses outrances, ses approximations, ses injures, sa vulgarité, sa grossièreté, son ignorance, la bassesse de son vocabulaire et de son âme semblaient condamner dès le départ à une élimination sèche et que l’on a vu avec stupeur défaire les uns après les autres tous ses concurrents « républicains » pour triompher finalement, sur le fil, de son adversaire « démocrate ».
Face à ce clown, Hillary Clinton paraissait élue d’avance. Imbattable. Pas seulement, pas tellement, à cause de l’expérience du gouvernement dont elle se prévalait. Et moins encore à cause de la confiance, de la sympathie, de l’enthousiasme que du premier au dernier jour de sa campagne elle a été incapable d’inspirer à ses propres partisans. Mais tout simplement parce qu’elle avait derrière elle, outre l’actuel et l’ancien président, outre Barack et Bill, outre Bush senior et Bush junior, Wall Street, la Silicon Valley, Hollywood, la finance et les paillettes, la puissante machine du Parti de l’âne, une bonne moitié des aparatchiks du Parti de l’éléphant et la quasi-totalité des médias. C’était joué. Elle a perdu.
Et si elle a perdu, ce n’est pas en dépit de ces soutiens. C’est à cause d’eux. Sa défaite est fondamentalement la leur. Traités en mineurs, en enfants indociles qui ne méritent, s’ils s’écartent du droit chemin que leur indiquent les sachants, les savants, les dominants, que le zéro pointé, le bonnet d’âne et la mise au piquet, les gros bataillons des « ploucs », l’immense armée de ces « pauvres Blancs », de ces Américains de seconde zone qu’elle a osé qualifier de « pitoyables » ont refusé de voter pour la représentante la plus symbolique de ceux qui ont été incapables d’assurer leur sécurité, de garantir leur identité, de faire revenir la prospérité, de ceux qui les ont abandonnés au grand vent de la crise, de ceux qui les ont privés de leur emploi, expulsés de leurs logements, dépouillés de leur dignité, de ceux qui leur ont fait le monde injuste, inégal, dérégulé et dangereux où on prétend les faire vivre et dont ils ne veulent plus.
Dans un réflexe pavlovien, les porte-parole de l’élite, qu’ils soient américains, qu’ils soient français, hélas – mais ce sont bien les mêmes des deux côtés de l’Atlantique, ont comme d’habitude condamné des résultats qui n’étaient pas ceux qu’ils avaient annoncés, qui n’étaient pas ceux qu’ils souhaitaient, et qui, surtout, étaient de nature à ébranler leur hégémonie. Certains commentateurs, à qui la déconvenue a fait perdre la tête, sont allés jusqu’à remettre en cause le principe du suffrage universel et en appeler de l’erreur des « ploucs » à la correction par leurs représentants désavoués.
C’et s’exonérer à bon compte de la responsabilité que portent les uns et les autres. La déroute de Mme Clinton, c’est le rejet, c’est la défaite de ce que les Anglo-saxons appellent l’Establishment et que nous connaissons sous le nom de Système. Pour qui sonne le glas ? Pour les vieux partis de gouvernement, piliers vermoulus d’une société condamnée, pour les coauteurs et complices, depuis trois décennies, de nos divisions, de notre déclin, de notre décadence.
Pourquoi tant de piaillements, tant de cris d’orfraie, tant d’effroi, tant d’encouragements au désordre et à l’émeute après qu’un grand peuple s’est exprimé, dans le calme, en toute régularité, conformément aux usages et aux règles de la démocratie ? Parce que l’événement a rappelé à ceux qui pouvaient en douter que, dans ce régime, le peuple, en effet, a entre les mains la seule arme, pacifique mais absolue, qui lui permet d’avoir le dernier mot et de renverser sans violence toutes les fausses idoles : son droit de vote. Impossible n’est pas plus américain que français. Faut-il rappeler qu’il y a dix-huit mois celui qui est désormais l’homme le plus puissant du monde était crédité de 1% des intentions de vote ? Tout est de nouveau possible.
L’avenir est entre nos mains. Il est ce que nous en ferons. Voici venir le temps des surprises et des outsiders.