Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Il n’y pas si longtemps, des discussions serrées, savantes et byzantines mettaient aux prises ceux des socialistes qui prônaient la politique de la demande et ceux qui défendaient une politique de l’offre. En revanche, s’il est un sujet tabou, et que l’on se garde donc bien d’aborder rue de Solferino ou rue de Vaugirard, c’est celui, pourtant bien réel et même crucial, de l’offre politique proposée aux électeurs de notre pays.
Fréquenteriez-vous sans y être contraint un marché forain où seuls deux commerçants agréés bénéficieraient du droit exclusif de tenir boutique et de vendre qui ses salades douteuses qui son poisson pas très frais ? C’est pourtant sur cette base qu’a vécu pendant quarante ans, pour la plus vive satisfaction des intéressés et au détriment de l’intérêt national, le village français. Quarante années où la seule alternative politique ouverte aux citoyens sous le nom d’alternance n’avait que deux termes toujours identiques, même si, pour mieux tromper la clientèle et lui vendre la même marchandise de plus en plus avariée, on changeait, notamment lors des élections, de nom, de slogans et, plus rarement, de têtes.
S’ils étaient en désaccord sur un certain nombre de points, au demeurant de moins en moins nombreux et de plus en plus secondaires, les deux partis dominants, les deux partis installés, les deux grands partis « de gouvernement » étaient de connivence pour prévenir, décourager, entraver l’apparition et bien sûr le succès de toute entreprise concurrente. Sous le signe du scrutin majoritaire, de la structuration consécutive de notre paysage politique autour des deux blocs dits « de gauche » et « de droite », et bien entendu du fameux « vote utile », notre vie politique s’est progressivement figée.
Les défenseurs d’un système devenu purement clientéliste, discrédité par l’échec, miné par la corruption, et désormais usé jusqu’à la corde, s’évertuent à nous persuader qu’ils sont toujours le seul choix, qu’aucun autre stand ne doit ouvrir sur le marché, ou que s’il s’y aventure, il doit au plus vite être mis en faillite ou fusionner avec l’une des deux branches de l’alternative. Les changements, discutés cette semaine à l’Assemblée nationale, des conditions de l’élection présidentielle, ne sont rien d’autre qu’une tentative dérisoire pour colmater un système qui se fissure de toutes parts et perpétuer un duopole qui a fait la preuve de sa malfaisance. A peine a-t-on salué l’émergence d’un tripartisme inédit que, sous prétexte de recomposition, on nous concocte le retour à la bipolarisation. Mais au nom de quelle logique, de quelle morale, de quels principes, de quel succès, le nombre des partis devrait-il se limiter à deux ? Et pourquoi pas à un seul, pendant qu’on y est ? Quand la démocratie interdit de fait le pluralisme, est-elle encore la démocratie ? Quand au nom des valeurs républicaines on ne cesse de réduire l’espace de toutes les libertés, ne reste-t-il au peuple que le choix entre la révolution et la résignation ?
On s’est un peu partout extasié dimanche dernier sur la mobilisation au second tour de plus de quatre millions d’abstentionnistes du 6 décembre. La dramatisation orchestrée et disproportionnée de l’enjeu explique largement cet afflux. On aurait tort d’oublier du coup que dix-huit millions d’électeurs ont choisi, en boudant les urnes, de ne pas utiliser l’arme absolue et pacifique que la loi met entre leurs mains les jours de scrutin. Cela n’implique pas forcément, comme on l’affirme un peu vite, qu’ils sont indifférents aux événements ou aux évolutions politiques et sociales mais le plus souvent qu’ils sont dégoûtés de l’usage qui est fait de leur vote par la classe politique. On a en revanche généralement passé sous silence le pourcentage exceptionnel (5%) des bulletins blancs dont la signification est pourtant parfaitement claire. Voter blanc, alors que le vote blanc, désormais compté à part, n’est toujours pas pris en compte, c’est accomplir son devoir civique mais signifier qu’on n’identifie ses idées et ses préférences à aucun des candidats, à aucune des listes restés en lice.
Le sursaut civique, si rien ne change, n’est qu’un sursis républicain. Le désir de changement est partout. Mais, douchés par trop d’expériences et trop de déceptions, les citoyens ne croient plus aux discours repentants et aux serments d’ivrognes des soirées électorales. Ils ne croient plus que les hommes changent, ils voudraient changer les hommes, ils ne croient plus que les partis veulent et peuvent changer, ils voudraient changer de parti. Eradiquer la corruption, le terrain, restaurer l’Etat, redresser le pays, régénérer la politique, c’est le vœu général. Vœu pieux ? Nul ne croit que le vin nouveau sortira des vieilles outres.
L’espoir et l’exemple, ce dimanche, nous viennent d’Espagne. Les citoyens plutôt que les appareils. Impossible ? Mais non, on peut. Après quarante ans de règne alterné du Parti populaire, qui ne l’est pas, et du Parti socialiste, qui ne l’est plus, les Espagnols renvoient dos à dos leurs gouvernants d’hier et leurs dirigeants d’avant-hier. Ils n’y croient plus, ils n’en peuvent plus, ils n’en veulent plus. Ciudadanos, onze ans après sa fondation, Podemos, quatre ans après sa naissance, imposent leur existence et leurs exigences. Ils ont trouvé le défaut de la cuirasse des vieux partis. Dernier avertissement avant le congé définitif ? Tout désespoir en politique, écrivait Charles Maurras, est une sottise absolue.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la France