Jamet le dimanche !
Ni l’un ni l’autre
Retour en arrière. Automne 2016. Caressé par la réussite et promis à la victoire, Alain Juppé se présentait à la primaire dite « de la droite et du centre » en ultra-favori des pronostics. Le résultat étant connu d’avance, et depuis des mois, les électeurs étaient fermement invités à le confirmer. Simple formalité avant que les portes de l’Elysée s’ouvrent respectueusement devant « le meilleur d’entre nous ».
On sait ce qu’il en est advenu. Un improbable outsider revenu de loin distançait dès le premier tour, à la grande surprise des bookmakers en tout genre, ses six concurrents, à commencer par son ancien patron, Nicolas Sarkozy, puis écrasait au second tour le maire de Bordeaux.
Le 29 novembre dernier, François Fillon remplaçait donc Alain Juppé au poste envié de président virtuel de la République. Ainsi en avait décidé la glorieuse incertitude du vote.
Certes, l’ancien Premier ministre, relégué dans l’ombre pendant cinq ans par son supérieur hiérarchique, n’avait pas laissé de son passage à Matignon un souvenir impérissable ou même positif. Certes, son succès, illustration du phénomène désormais connu sous le nom de « dégagisme » s’expliquait autant et plus par un rejet de ses rivaux, vieux chevaux de retour et de réforme, que par une adhésion enthousiaste à sa personne. Certes, ceux mêmes qui l’avaient élu avaient remis à plus tard de prendre connaissance de son programme et n’ont découvert qu’après coup cette purge amère, ensemble de mesures imbuvables savamment concocté par le candidat et ses conseillers économiques et financiers. Qu’importe, François Fillon se disait prêt à revoir sa copie et à mettre de l’eau sucrée dans son vinaigre. N’avait-il pas en son temps abjuré sa foi séguiniste, ce patriotisme mal vu par les puissants qui aurait pu nuire à sa carrière ? Tel quel, nul ne se risquait à contester la légitimité que lui valaient les trois millions de bulletins qui s’étaient portés sur son nom, et les grands barons « républicains » venaient l’un après l’autre s’incliner devant la victoire et baiser la babouche du futur sultan, voire, pour nombre d’entre eux, qui l’avaient méprisé et combattu, implorer sa clémence et sa faveur.
Le vent a tourné et les girouettes aussi. Est-ce seulement parce qu’il est apparu que François Fillon n’était pas l’homme désintéressé, exemplaire, irréprochable, l’homme intègre qu’il passait pour être, est-ce vraiment parce qu’en se défendant âprement contre des juges dont on a du mal à croire que leur main droite ignore que leur main gauche s’insère brutalement dans un processus électoral, il a multiplié les écarts de langage, est-ce parce qu’il a été mis en examen (ce qui, rappelons-le, ne signifie pas qu’il est coupable), ou plus simplement, plus trivialement, plus bassement, parce que sa chute dans les sondages en fait désormais un tocard dont la défaite entraînera la leur, que, les uns après les autres, ses plus récents, ses plus fragiles, puis ses plus proches et ses plus anciens soutiens, l’abandonnant en rase campagne , ont soudain et massivement rallié le panache pas si blanc de son rival malheureux ?
On voit bien en quoi la révélation progressive des faiblesses, des failles, des dissimulations de François Fillon a entaché son image et compromis ses chances, mais on a beau chercher, on ne voit pas, du moins si l’on prétend encore faire crédit à la mascarade de primaires, désormais aussi insolemment ignorées par la gauche que par la droite, en vertu de quel raisonnement et de quelle morale la mise hors course du vainqueur vaudrait légitimation et investiture du perdant qui, rappelons-le, n’avait obtenu qu’un modeste tiers des suffrages exprimés. Où est la cohérence de ces centaines de lâcheurs (et dans lâcheurs il y a lâches) qui, se détournant avec horreur d’un homme poursuivi pour présomption d’emplois fictifs, se tournent avec enthousiasme vers un homme condamné à la prison (avec sursis) et à l’inéligibilité pour utilisation d’emplois fictifs ? Où est la logique, où est la pertinence de stratèges qui, prétendant représenter et visant un électorat de plus en plus droitisé, lui proposent derechef, dans leur désarroi, comme un plat indigeste et réchauffé pourtant déjà renvoyé aux cuisines, un candidat centriste, terne et vieille doublure d’un Macron ou d’un Bayrou ?
Mais allez faire entendre raison à un équipage disparate qui réagit à la tempête par la panique. Oublions en l’occurrence la référence passablement éculée au Titanic fonçant dans l’obscurité vers le fatal iceberg. C’est plutôt au fameux Bounty et à ses mutinés en quête d’un capitaine, ou au radeau de la Méduse et à ses passagers prêts à s’entre-dévorer pour survivre, que font penser ces malheureux qui courent en tous sens sur le pont du navire en perdition et trahissent sans vergogne Fillon pour Juppé comme hier ils avaient trahi sans honte Juppé pour Fillon, comme ils trahiraient –comme ils trahiront peut-être – sans hésitation l’un et l’autre pour un troisième larron s’ils le jugent apte à sauver leur siège et leur peau.
Quelle débandade ! Quel spectacle ! Quel bourbier ! Et quelle image de la politique, une fois de plus, donnent aux citoyens des gens dont la seule boussole semble être leur intérêt ? Comment pourrait-il en être autrement quand les ambitions ont depuis belle lurette fait taire les convictions et que les idées comptent moins que les places ?
Alors, Fillon ou Juppé ? Juppé ou Fillon ? Ou un autre encore, sorti au dernier moment du chapeau des illusionnistes qui nous bernent depuis trop longtemps ? Pour ce qui nous concerne, on le sait, ni l’un ni l’autre. Ni un troisième, du même acabit. La France !
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la France