Mistral : un client sérieux
Dimanche 9 août
Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l'actualité politique.
On ne pouvait pas dire qu’on ignorait ce que l’on vendait : il y avait quelque temps déjà que le ministère de la Défense vantait l’excellence des bâtiments de projection et de commandement du type Mistral, un vrai bijou de navires de guerre. On ne pouvait pas dire que l’on ne savait pas à qui l’on vendait : il y a quelques siècles que la Russie et quelques années que son président sont bien connus sur la place. On ne pouvait pas introduire dans le contrat une clause inédite aux termes de laquelle le vendeur serait autorisé à contrôler l’usage que l’acheteur ferait de son acquisition. Autant renoncer à toute vente d’armement. On ne pouvait pas dire que l’acquéreur ne payait pas comptant et rubis sur l’ongle les deux jolis joujoux qu’il s’était offerts. Sur ce plan-là, il était irréprochable.
Nul n’ignore en réalité la raison du refus de livraison des deux Mistral construits à Saint-Nazaire. Il s’agissait de mettre au piquet, avec le bonnet d’âne, un chef d’Etat dont le comportement récent a souverainement déplu aux Etats-Unis, pays voisin de l’Ukraine et grand défenseur depuis des siècles de l’indépendance ukrainienne, entraîné les très légitimes sanctions prises par l’Union européenne, grande puissance satellite de Washington, et justifié les démonstrations militaires de l’OTAN, cet organisme international à vocation humanitaire qui depuis 1949 travaille inlassablement, à sa manière, au rapprochement entre l’Est et l’Ouest.La France, en l’occurrence, n’a pas agi autrement qu’un commerçant qui refuse de servir un client dont la tête ne lui revient pas.
Redevenu après paiement d’un dédit prévisible propriétaire de deux navires d’un placement difficile et d’un entretien onéreux notre pays allait-il se retrouver avec sur les bras le Sébastopol et le Vladivostok dont il n’a pas l’emploi ? Miracle aussi fort que la liquéfaction à la demande du sang de saint Janvier, l’Egypte se disait intéressée par les deux navires, moyennant naturellement quelques réaménagements à la charge du vendeur, tels que la mise aux normes de notre nouveau client de leurs installations électriques ou la suppression d’un dispositif de dégivrage qui ne semble pas très utile en mer Méditerranée ou sur la mer Rouge. Tout est donc bien qui finit bien ?
Certes, et seuls quelques grincheux feront observer que si Vladimir Poutine est loin d’être un démocrate irréprochable, le maréchal Al Sissi, sous ce rapport, est tout bonnement infréquentable. L’impitoyable répression que le nouvel homme fort du Caire a fait subir à son opposition s’est traduite depuis la destitution du président Morsi par des dizaines de milliers d’arrestations arbitraires, des milliers de condamnations à mort, et la pratique systématique de la torture. On leur répondra que nous n’avons pas à interférer dans les affaires intérieures de l’Egypte. Quelques scrupuleux objecteront que le président égyptien est insolvable et qu’il est hors d’état d’honorer la commande qu’il s’apprête à passer.
On les rassurera : notre ami le roi Salmane d’Arabie est là pour financer les emplettes de son allié, qu’il s’agisse d’avions ou de porte-hélicoptères, ce n’est pas parce qu’il ne rembourse pas les frais d’hospitalisation de ses sujets en France qu’il ne peut pas faire face à de menues dépenses imprévues et son argent n’a ni couleur ni odeur. Quelques vétilleux rappelleront que c’est celui qui paie qui est le patron et que rien ne nous garantit que les navires vendus à l’Egypte ne seront pas impliqués un jour ou l’autre dans un conflit international, par exemple avec l’Iran et l’Irak chi’ites. On leur dira que cela ne nous regarde plus. Quelques inquiets, s’interrogeant sur la stabilité du régime dictatorial incarné par le maréchal Al Sissi, se demanderont s’il n’y a aucun risque de voir un jour nos deux Mistral tomber aux mains de Daech ou d’Al Qaida. Inch’Allah, leur répliqueront nos sages diplomates. Chaque chose en son temps. L’objectif essentiel était de nous brouiller avecla Russie de Poutine. Il a été pleinement atteint.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la France