C’était jeudi soir à Marseille, lors du meeting électoral de Nicolas Sarkozy. Comme l’ancien chef de l’Etat, après avoir stigmatisé avec une virulence exceptionnelle les « compromissions » et les trahisons de François Bayrou, reprenait son souffle, de la foule en délire montèrent des clameurs de colère et de haine : « Bayrou dégage ! » -pourquoi pas ?- et « Bayrou saloperie ! » Bien loin de calmer l’ardeur de ses supporters, l’orateur ravi les encourageait d’un sourire complice. Il n’est que trop facile d’exciter les passions dans la chaleur communicative d’une réunion publique, il est indigne de les laisser se déchainer dès l’instant que l’on prétend aux plus hautes fonctions et aux responsabilités qu’elles impliquent. Passons…
Le président du Modem, pour sa part, n’a pas laissé passer l’outrage . Dans une lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, réplique aussi cinglante que bien argumentée du berger des Pyrénées à l’ermite du Cap Nègre, François Bayrou pointe du doigt les incohérences, les contradictions, les évolutions, les revirements, les virages serrés et les tête-à-queue d’un homme qui n’a jamais eu de continuité que dans le changement, de permanence que dans l’ambition, et dont les prises de position, les fidélités successives, les variations politiques n’ont jamais été que le reflet de ses intérêts du moment.
Le maire de Pau frappe fort mais juste lorsqu’il reproche à l’ex-président de la République de mener une campagne violente, marquée du sceau de l’intolérance, de l’excès, voire de l’hystérie, au risque de dresser les Français les uns contre les autres. Nul ne saurait ignorer en effet que Nicolas Sarkozy, avant de changer de pied ces jours derniers, trop tard selon toute vraisemblance, avait bâti toute sa stratégie sur le siphonnage des voix de l’extrême-droite, choix qui lui avait réussi en 2007, qui avait failli le sauver de la défaite en 2012 et qui ne semble pas adapté à l’équation politique de 2017.
M. Sarkozy avait tout misé sur la supposée « droitisation » de la France. Si droitisation il y a, où ses erreurs et ses échecs ne sont pas pour rien, ce n’est pas à lui qu’elle profitera et, dans sa tentative avortée de séduire l’électorat du Front national, il aura perdu sur sa gauche sans gagner sur sa droite. Ce n’est pas sans raison qu’il voit dans le ralliement du Centre et notamment de François Bayrou à Alain Juppé l’une des causes de la défaite que tous les sondages lui annoncent. De là qu’il lui arrive de plus en plus souvent de perdre des nerfs qu’il a toujours eu fragiles, de là son approbation tacite des huées et des sarcasmes qui ont ponctué l’autre soir sa philippique contre M. Bayrou.
François Bayrou, quant à lui, a toujours excellé dans la critique mais toujours échoué dans l’action. Ministre de l’Education nationale pendant quatre ans –un record – il n’a ni associé son nom à aucune réforme ni laissé aucun souvenir de son passage rue de Grenelle. Président de l’UDF, il n’a pas su en éviter l’éclatement puis l’absorption par l’UMP. Sous sa direction éclairée, le Modem est né, a grandi, a périclité, puis a disparu du paysage. Trois fois candidat à la présidence de la République et trois fois malheureux, il n’a pas su monnayer son capital de voix en 2002, il ne l’a pas osé en 2007, il a succombé à la tentation en 2012 sans être payé de retour et c’est en désespoir de cause qu’avec d’autres naufragés du centrisme il a rattaché son fragile esquif à la galère royale d’Alain Juppé. Aussi têtu que tortueux, franc comme un âne qui recule, il ne doit le prestige qui lui reste qu’à la chance qu’il a eue, depuis déjà une vingtaine d’années, de n’avoir jamais été confronté aux écueils et aux tempêtes de la réalité. Ce vieux routier de la politique la plus politicienne s’est peu à peu refait une réputation de virginité, aussi étrange qu’usurpéé, au prétexte qu’il n’aurait jamais consommé aucun de ses nombreux mariages.
En fait, et si vives que puissent être leurs querelles, il combat bien dans la même catégorie que son féroce adversaire du jour et que son ingrat obligé de la veille. Le point commun entre l’ancien président qui voudrait tant le redevenir, le toujours président qui voudrait tant le rester et le jamais président qui aurait tant voulu l’être est qu’ils sont tous les trois des revenants que l’immense majorité de Français ne veulent pas voir revenir. En dépit de l’apparente diversité de leurs engagements et de leurs affiliations, ils sont tous les trois membres du même grand parti : celui du passé.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la France