Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Hosannah ! L’autre semaine, et plus précisément le 31 du mois d’août, Alstom, triomphante, rendait publique la signature d’un accord que les médias, à qui aucune exagération n’a jamais rien coûté, qualifiaient aussitôt de « contrat du siècle ». Pour deux milliards et deux cents millions d’euros, la firme française se voyait attribuer le marché de la ligne à grande vitesse Boston-Washington. Simultanément, la SNCF lui confiait la conception, la réalisation et la livraison, à l’échéance de 2022, des TGV de cinquième génération. Poignées de mains, discours, champagne et petits fours…
Patatras. Une semaine s’était à peine écoulée que, le 7 septembre au matin, M. Poupet-Lafarge, président-directeur général d’Alstom, avisait tout à trac son personnel de la fermeture définitive, dès la fin de 2018, du site historique de Belfort, celui où s’était installée au lendemain du désastre de 1870, la Société alsacienne de construction mécanique, celui d’où était sorti en 1978 le prototype du train à grande vitesse inauguré trois ans plus tard entre Paris et Lyon. Les quatre cents salariés ainsi débarqués, employés d’Alstom depuis plus de vingt ans en moyenne, auraient, leur assurait-on, la possibilité de se recaser à deux cents kilomètres de Belfort sur le site de Reischoffen, également évocateur de notre défaite, ce qui ne les dépayserait pas trop en somme. Motif : les carnets de commandes étaient vides, ou peu s’en faut.
Vides ? Comment cela se pouvait-il ? Eh bien tout simplement, d’abord, parce qu’il ne faut pas confondre effet d’annonce et réalité. La préférence donnée à Alstom par ses partenaires nord-américains valait assurément reconnaissance de la fiabilité de la société française. Pour autant, celle-ci avait été retenue sous condition que l’essentiel du travail (et donc de sa rémunération) serait effectué par la main-d’œuvre locale. On sait que c’est sur une base identique qu’ont été, que sont ou que seront conclus les contrats non moins fabuleux passés entre la France et l’Inde ou la Chine pour la vente de nos Rafales ou de nos centrales nucléaires. Nos plus brillants succès commerciaux s’accompagnent désormais le plus souvent d’un calamiteux transfert de notre technologie. Acquis ou non à l’économie de marché, théoriquement libéraux ou officiellement communistes, nos interlocuteurs étrangers, à commencer par les représentants des Etats-Unis, ont la fâcheuse habitude de défendre bec et ongles les intérêts nationaux, publics comme privés, et savent, après avoir bénéficié de notre savoir-faire, se l’approprier et se muer de clients exigeants en concurrents impitoyables.
Nous ne mangeons pas de ce pain-là. Nous préférons être d’élégants perdants. En même temps qu’on découvrait le « plan social » d’Alstom, on apprenait que la SNCF, qui fit autrefois notre orgueil, avait d’un commun accord avec la Deutsche Bahn attribué à la firme allemande Vossloh la fabrication et la livraison de quarante-quatre locomotives. Ou que le secrétaire d’Etat aux Transports, Alain Vidalies, n’avait pas retenu Alstom pour le remplacement de trente trains Corail (1). Comment s’en étonner ? Le gouvernement français n’avait-il pas assisté l’an passé en spectateur dégagé au démantèlement d’Alstom et à la vente de sa division Energie à General Electric ? N’avait-il pas toléré que M. Patrick Kron saute en parachute doré après avoir bradé ce morceau de notre patrimoine ? Certes, un certain Emanuel Macron, alors ministre de l’Economie, avait garanti que l’Etat-actionnaire pèserait désormais de tout son poids dans l’évolution de ce qui restait d’Alstom. Ce sont des mots qu’emporte le vent. Le même Emmanuel Macron, redevenu particulier (mais pas simple) s’est borné à déplorer une dérive inacceptable…
Aux deuxièmes Assises de « Produire en France », à Reims, à côté d’un Arnaud Montebourg, dont on ne peut que saluer la bonne volonté, hélas trop souvent inefficace, à côté de Nicolas Dupont-Aignan, dont nous sommes ici bien placés pour savoir le combat inlassable qu’il mène, dans ce domaine comme dans les autres, on a vu défiler en procession, avant-hier, sans gêne et sans vergogne, le cortège hypocrite des responsables politiques de la désindustrialisation française, sous le signe menteur de la concurrence libre et loyale. Ces fossoyeurs se sont penchés avec componction sur l’industrie nationale, grand corps malade dont leur incurie fera bientôt, si pour notre malheur ils sont reconduits aux affaires, un grand cadavre à la renverse. Ils ont même versé des larmes comme le font, dit-on, les crocodiles.
Il est encore de coutume, dans certains pays du Bassin méditerranéen, qu’autour du défunt viennent gémir se lamenter, plus ou moins mélodieusement, et feindre de se déchirer le visage, des pleureuses professionnelles. Au moins ne sont-elles pour rien dans sa mort. C’est toute la différence.
(1) Il vient de rectifier le tir, en catastrophe.