Entré dans la célébrité sur les tatamis du judo, plus tard ministre des Sports, fonction où il n’a pas laissé un souvenir impérissable, puis député lambda des Yvelines, et aujourd’hui en deuxième position pour les régionales dans ce département sur la liste de Valérie Pécresse, David Douillet n’a pas mâché ses mots pour faire savoir à quel point il désapprouvait la présence de Debout la France dans la compétition « Toute voix qui ira au premier tour sur ces listes », a-t-il déclaré l’autre jour, « servira celles de Claude Bartolone au second tour. » Comprenne qui pourra. Il est assez peu probable que les électeurs qui se seront prononcés pour Nicolas Dupont-Aignan le 6 décembre se reportent le 13 sur M. Bartolone. Ou sur Mme Pécresse. Ou sur M. Wallerand de Saint-Just. Ils seront d’ailleurs d’autant moins tentés de le faire qu’ils auront vraisemblablement la possibilité de confirmer au second tour leur choix du premier tour, ce qui leur évitera de se poser des questions auxquelles ils ne trouveraient pas de réponses satisfaisantes.
Il est en revanche indiscutable, et c’est apparemment ce que regrette M. Douillet, que toute voix qui ira au premier, voire au second tour, à Debout la France n’ira pas aux « Républicains ». Ni aux socialistes. Ni au Front national. Ni à aucun autre parti. Traduite du patagon et nettoyée des obscurités qui gênent la compréhension, cette évidence politico-mathématique pourrait être reformulée de la façon suivante : « Tout suffrage accordé à une liste ou à un candidat fait du même coup défaut aux autres listes et aux autres candidats ». C’est ce que je propose d’appeler le théorème de Douillet. Ce théorème a pour corollaire qu’il fonctionne dans tous les sens et que nous serions parfaitement fondés au nom de Debout la France à protester contre la captation par le P.S., les « Républicains », le Front national et les autres de voix qui nous manquent de ce fait. Il n’est d’ailleurs pas dit que nous ne portions pas plainte devant la justice pour détournement de suffrages.
Trêve de plaisanterie. Sous une forme contournée, ce que nous sert M. Douillet, c’est la vieille rengaine du vote « utile », tarte à la crème des « grands partis » qui prétendent ériger en règle démocratique l’obligation morale de voter pour qui ne nous plaît pas, de façon à accroître ses chances, plutôt qu’en fonction de nos idées, au risque d’affaiblir ceux qui ont nos préférences.
Le vote « utile », le vote « utile », c’est bien beau. Mais au fait, utile à qui ? A suivre M. Douillet, ce qui n’est pas trop difficile, je vois bien que le député-judoka considère comme « utile » tout vote qui se porterait sur sa liste, et qui serait en effet très « utile » à M. Sarkozy, à Mme Pécresse et à M. Douillet lui-même. Mais aux Yvelines, mais à la région Ile-de-France, mais à la France ? Ah, ce n’est pas le sujet ! On s’en doutait un peu. Allons encore plus loin, jusqu’au bout de la pensée de M. Douillet, encore un effort et nous y sommes. M. Douillet estime très clairement que toute voix qui lui serait refusée serait une voix « perdue ». Perdue pour qui ? Pour M. Douillet, pour Mme Pécresse, pour M. Sarkozy ? Sans doute. Mais pour le redressement mais pour le renouveau, mais pour la France ?
M. Douillet ignore-t-il, ou acceptera-t-il de se rappeler que deux tiers des Français ne veulent plus de M. Sarkozy, dont ils ont soupé, que deux tiers des Français ne veulent plus de M. Hollande dont ils ont une indigestion, ne veulent pas de Mme Le Pen, qui leur reste en travers de la gorge ? M. Douillet sait-il, et s’en soucie-t-il, que plus de la moitié des électeurs n’envisagent plus de voter, tant les politiciens des vieux partis les ont dégoûtés de la politique, même quand leur vie quotidienne et leur avenir sont en jeu ? Les Français expriment, de plus en plus fortement, de plus en plus massivement, leur refus de la vieille et fausse alternance entre une droite sans principes et une gauche sans valeurs. Ce n’est pas pour y substituer le choix contraint dans lequel on veut les enfermer entre un système à bout de souffle et des extrêmes sans crédibilité.
Nous leur proposons, à peine sortis du piège, de ne pas tomber dans un nouveau panneau. Le pluralisme, c’est l’air sans lequel la démocratie n’est plus respirable.
Dominique Jamet