Jamet le dimanche !
LE MEC DONALD
Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Milliardaire comme l’était déjà son père, entrepreneur audacieux miraculeusement rescapé des multiples faillites où se sont engloutis à maintes reprises ses entreprises et leur personnel, animateur vulgaire d’émissions de téléréalité bas de gamme, aussi grossier dans l’intimité qu’en public, heureux amateur de jolies femmes qui lui trouvent apparemment la beauté de Crésus, étalant sans vergogne un luxe et un mauvais goût de parvenu… Xénophobe déclaré, raciste sans complexe, misogyne proclamé, homophobe assumé… Grande gueule et particulièrement mal embouchée, menant tambour battant une campagne truffée d’injures, d’insinuations, d’intimidations, de diffamations et d’obscénités… Auteur de propositions insensées qui ne lui laissent le choix qu’entre le reniement et la fuite en avant dans une présidence de type ubuesque – renvoi de douze millions d’immigrés, mur de séparation entre le Mexique et les Etats-Unis… Bref, littéralement puant. Tel est, sans retouches, le portrait de M. MecDo, de ce Donald Trump qui fait honte au peuple et au populisme dont il se réclame, et qui vient pourtant, déjouant tous les pronostics, défiant tous les commentateurs et rabaissant le débat politique au niveau du caniveau, de remporter les primaires de son parti contre son parti même.
Que s’est-il donc passé ? Que signifie cette première victoire ? Comment se peut-il que des millions d’électeurs supposés en possession de leur bon sens, en tout cas dûment informés des mérites et des défauts des compétiteurs en lice, aient applaudi, puis soutenu, puis acclamé, puis finalement choisi un tel personnage, au nez, à la barbe et aux dépens d’un candidat aussi rassurant, aussi légitime, aussi raisonnable que le plus doué, paraît-il, des représentants de la dynastie Bush, des étoiles montantes au firmament républicain qu’étaient, nous disait-on, les sénateurs Cruz et Rubio, du très sage et très modéré gouverneur Kasich, et finalement d’une douzaine de professionnels de la vie politique autrement crédibles, autrement patentés, autrement parrainés, autrement prometteurs que celui qui les a tour à tour terrassés et ridiculisés ?
Ce n’est pas seulement la vraisemblance que Donald Trump avait contre lui. C’était, à peu d’exceptions près, tout ce qui pense, tout ce qui pèse, tout ce qui compte outre-Atlantique. Le monde politique, la sphère médiatique, le grand capital, la bonne société., les artistes, les intellectuels. La Maison-Blanche, le Capitole, le New York Times, le Washington Post ABC, CNN, Hollywood, Wall Street, Harvard, Stanford, Yale et Columbia. Ce n’est pas en dépit de cette hostilité générale, c’est grâce à elle que Trump l’a emporté sur ses rivaux. Son succès est un désaveu pour tout l’Establishment.
Trump, justement parce que son caractère, son parcours, sa personnalité, ses divers débordements l’en avaient exclu, a su comprendre, a su capter, a su traduire et transformer en vote les inquiétudes, les colères, les frustrations, les angoisses des classes populaires et des classes moyennes américaines qui constatent leur déclassement à l’intérieur de leur propre pays et le déclassement de celui-ci dans le monde, qui souffrent creusement des inégalités sociales, de la concurrence aussi libre que déloyale des pays émergents, qui redoutent et refusent la fin de l’hégémonie nord-américaine et les mutations de l’identité nationale, qui ont enfin le sentiment d’être victimes d’une sorte de discrimination négative et du mépris des classes dominantes. Il est d’ailleurs frappant que, dans le camp démocrate Hillary Clinton, tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle signifie, fassent l’objet d’un rejet symétrique qui profite à l’improbable Bernie Sanders. L’ex First Lady pâtit de ce qui était censé être ses meilleurs atouts, la caution de son fidèle mari et l’investiture d’un Barack Obama dont les deux mandats, tissés d’élégante mollesse et de pusillanimité ne laisseront pas un grand ni un bon souvenir.
Les mêmes experts, les mêmes spécialistes qui donnaient Trump perdant des primaires à cinq mille contre un garantissent une victoire éclatante à celle qu’il affrontera en novembre. Voire… Il ne faudrait pas sous-estimer les capacités d’un homme qui, avec tous ses défauts, a manifestement oublié d’être bête, et a plus d’une fois révélé une étonnante capacité à changer de ton, de discours et même de programme en fonction de ses intérêts du moment.
Quoi qu’il en advienne, sa trajectoire est d’ores et déjà un révélateur, celui des aberrations et des extrémités auxquelles la colère et le désespoir peuvent mener un peuple. Que prétend apporter Donald Trump aux Etats-Unis ? L’aventure et la rupture. Que signifierait son accession au pouvoir ? Le saut dans l’inconnu. Et pourtant, il séduit.
Il n’est pas seulement normal, il est naturel, il est sain qu’un organisme social réagisse aux atteintes et aux agressions en secrétant des anticorps. Encore faut-il que cette réaction soit proportionnée à l’attaque. Quand une démocratie s’abandonne aux pitres, aux irresponsables et aux démagogues, quand les zèbres et les zozos occupent le devant de la scène, c’est qu’elle est profondément malade. L’irrésistible ascension d’un Donald Trump nous en dit plus que n’importe quelle enquête sur l’état où est tombé le pays d’Abraham Lincoln et de Franklin Roosevelt.
Dominique Jamet