Jamet le dimanche !
La peau de l’ours
A l’heure (matinale) de notre rendez-vous hebdomadaire, au moment où ces lignes sont écrites, j’ignore, comme tout le monde, le nom des finalistes de la primaire made in Droite (et Centre). J’ignore, des trois favoris en lice, d’Alain Juppé, l’homme du renouveau, de Nicolas Sarkozy, l’ex-président de l’exemplarité, et de François Fillon, l’ancien Premier ministre de l’audace, qui seront les deux qualifiés. J’ignore a fortiori l’identité du futur vainqueur de la compétition, vainqueur qui, si l’on en croyait les médias, serait ipso facto, dès dimanche prochain, le nouveau président désigné de la République française.
Je me garderai donc bien, en jouant les prophètes au risque d’être ce soir démenti par l’événement, de concurrencer les instituts de sondage et de m’aventurer sur le terrain mouvant où s’est enlisé l’autre semaine un spécialiste aussi indiscuté que Bernard-Henri Lévy. D’ores et déjà, avant même d’en connaître les résultats, il est possible de tirer du scrutin parallèle mis en œuvre par les hautes autorités de la Droite (et du Centre) quelques enseignements qui semblent curieusement avoir échappé aussi bien à ses organisateurs qu’à la quasi-totalité des commentateurs patentés de notre vie politique.
Premier enseignement : la consultation dont on nous assure complaisamment qu’elle constitue une avancée démocratique est entachée depuis le premier jour par un péché originel qui la dénature et la disqualifie. Alors que notre Constitution, depuis 1965, stipule que le président de la République, désigné par le suffrage universel, est l’élu du peuple tout entier, c’est à une fraction de ce peuple, c’est au peuple de la Droite (et du Centre) que s’adressent des candidats qui se réclament de la Droite (et du Centre), c’est de cette seule fraction qu’ils s’affirment les représentants, c’est de cette seule fraction qu’ils entendent tirer leur légitimité, c’est d’elle qu’il aspirent à être les mandataires.
C’est sur la base étroite, sur le socle fragile, du choix d’un million et demi à deux millions de partisans qu’ils assoient leur prétention à représenter ultérieurement quarante-quatre millions de citoyens mis devant le fait accompli. Là où le fondateur de la Ve République cherchait l’occasion de rassembler le peuple français, on commence par institutionnaliser ses divisions.
Deuxième enseignement : les concepteurs de cette primaire de la Droite (et du Centre), qui ne sont pas des perdreaux de la dernière pluie, savent pertinemment que, réduits à l’électorat de la Droite (et du Centre) ils recueilleront au mieux un tiers des suffrages exprimés, soit un quart des électeurs inscrits. Or, il faut, n’est-ce pas, obtenir plus de 50% des voix pour entrer à l’Elysée. C’est donc, pour la quatrième fois depuis 2002, en exploitant la crainte et le rejet du Front national qu’ils escomptent recueillir l’appoint nécessaire pour l’emporter et, bien que minoritaires par eux-mêmes, être vainqueurs non sur la base d’un élan, d’une adhésion, d’une confiance qui leur sont refusés, mais par défaut.
Le Front national est en définitive leur ultime argument et leur dernière chance, le sang de saint Janvier d’un personnel politique aux abois. La recette-miracle, trois fois essayée, trois fois réussie, fera-t-elle encore un miracle ? Marine Le Pen, en embuscade, capitalise de son côté sur l’impopularité de la Droite, du Centre, et de la Gauche, pour vaincre elle aussi, moins par ses mérites propres que grâce à leur faillite, et voit dans l’exemple qui nous est venu d’outre-Atlantique le 8 novembre dernier le plus inespéré des encouragements.
Troisième enseignement : le programme commun, à quelques nuances près, aux six candidats de la Droite (et du Centre) ne leur a été inspiré que par le souci de caresser dans le sens du poil le peuple de la Droite (et du Centre), supposé aussi crédule qu’égoïste, au mépris de toute vraisemblance et de toute considération de justice, au risque de creuser encore les fractures sociales et politiques entre les deux peuples qui constituent le peuple français. Comment concilier les promesses de baisse d’impôts, de réduction de la dépense publique, de non-remplacement e centaines de milliers de fonctionnaires et le recrutement de dizaines de milliers d’enseignants, de soignants, de policiers, de gendarmes, de militaires, le maintien de la qualité du service public ou de la protection sociale ?
Suppression de l’impôt sur la fortune et hausse de la TVA, dégressivité des allocations-chômage dans le contexte de la crise de l’emploi, extension de la précarité au seul secteur qui en était préservé, celui de la fonction publique, retour aux conditions du dialogue social sous le Second Empire, avant la reconnaissance des syndicats, autant de mesures figurant à ce programme, le plus régressif, le plus proprement réactionnaire qu’ait proposé la droite depuis des décennies, qui sont de nature à jeter dans la rue des millions d’opposants, comme en 1995. Aussi bien, au vu des reculades qui ont caractérisé les précédents gouvernements de la droite (et du centre) le plus probable est que le programme en question n’est fait que pour être lu (et élu) à la primaire de la Droite (et du Centre) et pour être oublié et renié sitôt passé le cap de la véritable élection, de la seule qui compte, de l’élection présidentielle. Les provocateurs d’aujourd’hui seront-ils les imposteurs de demain ? Rien n’est joué, rien n’est sûr si ce n’est l’incertitude.
Car, au fait, ce n’est ni le 20 ni le 27 novembre 2016 mais le 23 avril et le 7 mai 2017 que les Français, tous les Français, désigneront celui d’entre eux qui incarnera et dirigera notre pays pour les cinq ans à venir. Et leur choix, Dieu merci, ne se réduit pas à la liste des six fossoyeurs de notre indépendance, de notre prospérité et de notre avenir qui se sont disputé cet automne l’honneur d’être le croque-mort en chef à l’enterrement de feue la France. Ceux que diseuses de bonne aventure, chiromanciens et politologues s’accordent à voir jouer les premiers rôles sur la scène de notre déclin ont intérêt à méditer l’apologue du chasseur et de la peau de l’ours.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la France