Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Ce colifichet de pacotille – une humble bague de laiton frappée des initiales « J » et « M », pour Jésus et Marie, – ses parents, des paysans lorrains, l’avaient offert à leur fille, une petite bergère de Domrémy, le jour de sa communion. C’est d’ailleurs le seul bijou dont elle se sera jamais parée. Quelques années plus tard, lors du procès de Rouen, Pierre Cauchon, l’évêque-inquisiteur, l’avait arraché du doigt de l’accusée, puis, sans vergogne, en avait fait cadeau à son protecteur britannique, le cardinal de Winchester. Transmis de recéleur en recéleur et de génération en génération, l’objet volé n’avait plus quitté le sol britannique, peu à peu oublié, ignoré, jusqu’à ce qu’il réapparaisse « miraculeusement », la semaine dernière, à Londres, à l’occasion d’une vente publique.
L’anneau de Jeanne d’Arc ! Estimé autour de soixante-quinze milles, il est finalement parti à trois cent cinquante milles d’euros, soufflé de justesse à un enchérisseur d’outre-Atlantique. Après six siècles d’exil, l’unique vestige matériel que nous ait laissé la Pucelle d’Orléans a de nouveau traversé la Manche, cette fois dans le bon sens.
Tout est bien qui finit bien, direz-vous, et l’on ne peut que féliciter le ministère de la Culture pour avoir fait son travail en rapatriant le modeste trésor heureusement réintégré dans notre patrimoine.
Oui, seulement, voilà. Le ministère de la Culture n’y est pour rien. Eternelle ingratitude, éternelle mesquinerie de l’Etat., qu’il ne faut jamais sous-estimer. En 1431, Charles VII ne s’était pas plus soucié de rassembler les quelques milliers d’hommes d’armes qui auraient pu secourir celle à qui il devait son trône que de réunir les quelques milliers d’écus qui auraient payé sa rançon. En 2016, le Trésor français, aussi impécunieux que sous nos rois, n’a pas reçu consigne de dégager la somme, relativement modique, qui a finalement permis le retour de l’anneau. C’est à l’initiative privée – en l’occurrence à l’action efficace menée par Philippe de Villiers – qu’en est revenu tout le mérite, et c’est au Puy-du-Fou, en l’absence de tout représentant des pouvoirs publics, que sera exposé dans les jours qui viennent et offert à la curiosité ou à la vénération des visiteurs ce que l’ancien député de la Vendée présente comme une relique de la sainte et qui est en tout cas un fragment symbolique et précieux du roman national.
Jeanne d’Arc, cette semaine, avait décidément les honneurs de l’actualité. On apprenait en effet avant-hier que le Front national nouveau style renonçait définitivement à son habituel défilé devant la statue de l’héroïne, place des Pyramides à Paris, mais ne manquerait pas de trouver d’autres façons de l’honorer quand il en aurait le temps. Jean-Marie Le Pen, furieux du nouveau camouflet que lui inflige le parti dont il fut le fondateur, a aussitôt fait savoir qu’il maintiendrait la tradition qu’il avait inaugurée dès 1979 et qu’il invitait ses fidèles à se compter autour de lui le 1er mai prochain. Il est permis de prédire que le compte sera vite fait.
Dans les années de l’immédiate après-guerre, le Parti communiste français, ayant découvert et suivi les chemins du patriotisme après l’invasion de l’URSS par le IIIe Reich, avait pris lui aussi le pli d’organiser des cortèges, sinon des pélerinages, en l’honneur de la sainte. Rituel inattendu et décalé qui était peu à peu tombé en désuétude, tant les liens entre le personnage historique de Jeanne et le marxisme-léninisme ou le Komintern apparaissaient peu évidents.
Nombreux sont les hommes et les partis politiques qui ont joué à des fins intéressées au petit, au très petit jeu du « Jeanne avec nous. » Comment aurait réagi Jeanne face à certains hommages, à ceux qui les lui rendaient et aux motifs qu’ils en donnaient ? On ne le saura jamais. C’est dans un roman de Jules Romains, Les Copains, que Vercingétorix en personne se dresse sur le socle du monument qui lui est dédié et apostrophe avec verdeur la foule des notables venus l’inaugurer. Force est de constater que Jeanne n’est jamais descendue de son cheval doré pour dire leur fait à ses visiteurs du dimanche.
On ne parlera donc pas à sa place et on ne se risquera pas à dire ce que penserait Jeanne d’Arc, si elle revenait parmi nous, à quel parti elle adhèrerait, à quel candidat elle se rallierait (à moins qu’elle soit elle-même candidate) ni ce que seraient exactement ses prises de position par rapport à la loi El Khomri, à la déchéance de nationalité, à l’IVG, à la GPA, au mariage pour tous, au féminisme, à Daech, à l’euro, et, bien sûr, au « Brexit ».
Jeanne d’Arc, dont chacun est libre de se revendiquer, appartient à tout le monde, c’est dire qu’elle n’appartient à personne.
On peut quand même tenir pour assuré qu’aujourd’hui comme hier, elle ne se demanderait pas ce que son pays peut faire pour elle mais bien ce qu’elle peut faire pour son pays. On ne risque guère de se tromper en imaginant que, pendant la dernière guerre, elle se serait engagée dans la Résistance plutôt qu’elle n’aurait versé dans la collaboration. Il y a même un mot qui ne laisse aucune place au soupçon ou au doute, un mot sur lequel pas plus qu’elle-même nous ne sommes prêts à transiger ou à trahir, un mot qu’ici nous partageons avec elle: la France.
Dominique Jamet
Vice-président de Debout La Franc