C’est toujours à dimanche prochain qu’est fixé le premier tour de l’élection présidentielle. Pourtant, à huit jours du scrutin, il est d’ores et déjà possible de tirer les enseignements de la folle campagne qui s’achève enfin, sans avoir jamais vraiment commencé.
Première leçon : la mirifique trouvaille des primaires, directement importées des Etats-Unis, a fait flop. En l’absence de tout leader charismatique, indiscutable et indiscuté, les primaires organisées par les deux grands partis de gouvernement devaient désigner l’homme (ou la femme) qui rassemblerait les siens et les mènerait à la victoire, ou au moins se qualifierait pour le second tour. On a vu ce qu’il en est advenu. Non seulement la légitimité des deux vainqueurs de cette compétition est contestée par les chefs, les cadres, les militants et les adhérents de leur propre camp, mais les pièges, les failles et les vices d’une procédure si étrangère à l’esprit de la Ve République sont clairement apparus au point que son institutionnalisation même est remise en cause.
Deuxième leçon : on a cru à un simple incident de parcours sans autre signification lorsque l’historique (bien lire historique et non hystérique) Mme Duflot, qui s’y voyait déjà, a été éliminée par ses amis les Verts, coutumiers il est vrai de ce genre de mauvaise niche. Mais quand, au fil des semaines et des mois, on a vu tous les favoris de la primaire de la droite et du centre, puis ceux de la primaire de la gauche écartés, dégommés, dézingués, il a bien fallu se rendre à l’évidence. Etre ou avoir été président de la République ou Premier ministre, bien loin d’être comme par le passé la garantie du succès, c’était la défaite assurée. Tour à tour MM. Sarkozy, Juppé, Hollande et Valls étaient sèchement battus ou mis dans l’impossibilité de se présenter, et M. Fillon lui-même n’était un vainqueur inattendu – et provisoire – que par défaut. Ceux qui comptaient voir leur nom se dégager de la primaire ont été priés sans façon de « dégager » au plus vite. On n’en voulait plus. On n’en veut plus.
Troisième leçon : la Ve République, depuis ses débuts, reposait sur le principe d’une alternance entre la gauche, regroupée autour du Parti socialiste, et le bloc de droite, fort dans les premiers temps, puis abusivement paré des atours du gaullisme. Ce « système » dont les bénéficiaires ont profité sans vergogne, jusqu’à l’indigestion et jusqu’à l’écoeurement de leurs propres partisans, a vécu. En 2012 encore, 60% des votants s’étaient partagés au premier tour entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. En cinq ans, les effectifs des deux partis qui avaient fini par croire que le gouvernement devait revenir soit à l’un soit à l’autre, par un privilège équivalent au droit divin des monarques d’Ancien régime, ont fondu de moitié. Aujourd’hui, c’est tout juste si le petit Benoît et le pathétique M. Fillon regroupent à eux deux sur leur nom et leur appartenance politique 30% des intentions de vote. Une énigme demeure : comment, lorsqu’on porte l’écrasante responsabilité du chômage, de la dette, du déficit, de l’effacement de la France comment ose-t-on encore se présenter aux suffrages de ses concitoyens, et comment se trouve-t-il encore un nombre relativement important d’électeurs à envisager de voter pour ceux dont le bilan est synonyme de faillite et de désastre ?
Quatrième leçon : si, comme tous les sondages nous l’affirment à l’envi, le prochain chef de l’Etat devait être l’un des membres de la nouvelle « bande des quatre », donc M. Macron, M. Fillon, M. Mélenchon ou Mme Le Pen, il sera dès le début de son quinquennat un président faible, un président contesté, un président fragilisé, puisqu’il n’aura recueilli au premier tour qu’un cinquième ou un quart des votants, qu’il aura été comme ses prédécesseurs élu par défaut, et qu’aucun des quatre n’est susceptible de rassembler sur son nom et sur son étiquette une majorité stable.
Au bord d’une échéance qui a tout du précipice, certains, pris de panique, comme un homme qui se noie se raccroche à un brin d’herbe, ont ressorti la vieille ficelle du vote « utile ».M. Fillon, dans ses meetings, fait siffler les candidats, et d’abord Nicolas Dupont-Aignan, coupable de lui voler des voix qui, à l’en croire, lui reviennent de droit. C’est s’en prendre aux électeurs eux-mêmes, à leur liberté de vote, à leur liberté de choix, au pluralisme, fondement de la démocratie. Par quelle magie un vote que l’on considère comme néfaste, un vote qui maintiendrait en place et en selle ceux qui ont surabondamment fait la preuve, entre autres, de leur incapacité, de leur nocivité, de leur corruption, deviendrait-il dans les urnes un vote utile ? Voter pour ses idées, pour ses convictions, pour la personne que l’on estime la plus qualifiée et le programme que l’on juge le meilleur, c’est le seul vote raisonnable, c’est le seul vote utile. Notre République est malade, notre démocratie crève d’avoir été incarnée depuis un quart de siècle par des hommes et des partis qui n’ont dû d’occuper le pouvoir qu’au rejet de leurs adversaires, et non à l’adhésion, à la confiance, à l’espérance d’une majorité de Français.
Les deux partis qui ont successivement, par la vertu du « vote utile », occupé un pouvoir usurpé, sont en voie de décomposition. Le « système », universellement dénoncé et renié, d’abord par les siens, est en voie de dislocation. Les extrêmes, exploitant à fond la demande générale de rupture, comptent tirer les marrons du feu. Reconduire ceux qui ont mis notre pays à genoux serait s’abandonner à la fatalité du déclin, à la fois une sottise et une abdication. Mais serait-ce un vote sensé que celui qui mènerait forcément au chaos et à la guerre civile ? Pour ne pas vous tirer une balle dans le pied, vous n’êtes pas obligés de vous tirer une balle dans la tête.
Français, encore un effort, de civisme et de lucidité. En mettant fin au règne des installés, en renvoyant dos à dos les banqueroutiers, vous avez fait déjà la moitié du chemin. La caste dominante, prise de panique, a pris conscience de votre puissance et de sa vulnérabilité. Une fois tous les cinq ans, vous êtes les maîtres du jeu. Le 23 avril, ce ne sont pas les sondeurs, ce ne sont pas les commentateurs, ce ne sont pas les médias, ce ne sont pas les sortants qui vont voter. C’est vous. Ne vous trompez pas de bulletin. Votre avenir est dans vos mains. Debout la France ! Le changement, c’est maintenant.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la France