Eh oui, il va falloir faire avec. Ce ne sera pas facile. Donald Trump ne nous fera aucun cadeau. Ce n’est ni dans son caractère ni dans ses habitudes. Au demeurant, le quarante-cinquième président des Etats-Unis se targue de ne respecter que la force, et la France, à ses yeux, est un maillon particulièrement faible du monde occidental. Comme si ces deux raisons ne suffisaient pas, les dirigeants actuels de notre pays – si peu dirigeants, et pour si peu de temps encore – ont fait preuve d’une légèreté irresponsable à l’occasion de l’élection présidentielle américaine. En affichant lourdement leur préférence pour la candidate démocrate, le président de la République, son Premier ministre de l’époque et bien sûr notre ambassadeur à Washington ont commis la double faute de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un pays tiers, sans être en mesure d’influer sur celui-ci. Au mépris de toutes les règles de la diplomatie et de ce que doivent être les rapports entre Etats, sans tenir aucun compte d’une campagne qui voyait un outsider farfelu se muer en favori et laissait présager son éventuelle victoire, ils se sont laissés aveugler par leurs préférences personnelles, ils ont tenu à rendre celles-ci publiques, ils se sont comportés en petits joueurs, puis en mauvais joueurs. Il n’est pas surprenant que M. Trump, que l’on dit rancunier, voire vindicatif, ait affecté ces derniers temps de rayer notre pays, sinon de la carte du monde, au moins de son carnet d’adresses. Il reviendra aux successeurs de MM. Hollande et Valls de réparer la bévue de leurs maladroits prédécesseurs. La vieille alliance franco-américaine devrait survivre à cette médiocre péripétie, comme à d’autres.
Qu’on ne compte pas pour autant sur la moindre faveur ou la moindre faiblesse à notre égard de la part de nos nouveaux partenaires d’outre-Atlantique. Les négociations commerciales qui s’engageront entre les Etats-Unis et le reste du monde seront âpres et dominées, du côté nord-américain, par la volonté d’ériger de hautes barrières à l’abri desquelles devrait se reconstituer un tissu industriel mis à mal ces dernières années. Dans ce domaine, nous avons les avantages de nos inconvénients. Moins impliqués que la Chine, moins exportateurs que l’Allemagne, moins dépendants que l’est le malheureux Mexique de son trop puissant voisin, nous avons aussi moins à perdre dans le virage protectionniste que s’apprête à négocier l’Amérique de M. Trump.
Dans le domaine des relations internationales, certaines des intentions proclamées par celui-ci ne laissent pas de préoccuper. Comment la Chine dont l’instable équilibre repose sur la coexistence entre l’implacable dictature du Parti unique et les facilités consenties à l’activisme capitaliste le plus débridé réagira-t-elle à une politique de fermeture et de fermeté qui pourrait mettre simultanément en danger son système de gouvernement et sa prospérité ? Deuxième motif d’inquiétude : la volonté réaffirmée par M. Trump de revenir avec les accords, si longuement et difficilement négociés avec l’Iran, qui ont réintégré la République islamique dans le concert des nations. Troisième front, et le plus brûlant : le tropisme pro-israélien du milliardaire, de son entourage, de sa famille même s’est concrétisé par l’annonce du déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem. Cette décision serait l’équivalent d’un feu vert à la colonisation, donc à l’annexion rampante de la Cisjordanie par l’Etat hébreu, elle signifierait l’abandon d’une solution à deux Etats, des accords d’Oslo, de l’espoir d’un apaisement, elle ferait l’effet d’un chiffon rouge sur le monde musulman, qui n’en a pas besoin.
A l’inverse, la constitution d’une coalition effective entre les Etats-Unis, la Russie, la Turquie – et l’Iran !- pour régler militairement son compte à Daech et mettre un terme à l’interminable conflit qui ravage la Syrie et l’Irak respectivement depuis des années et des décennies traduirait le renoncement des Etats-Unis à la si néfaste politique à double face menée au Moyen-Orient par George W.Bush et reconduite par Barack Obama.
Dans le même ordre d’idées, les déclarations retentissantes de Donald Trump sur l’OTAN semblent préluder à une révision totale de l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis de la Russie et font lever un immense espoir.
Fondée il y a plus de soixante ans sous l’égide des Etats-Unis pour fédérer les démocraties occidentales face à la menace que représentaient le bloc soviétique et l’expansionnisme russo-communiste, l’Alliance atlantique n’apparaissait plus depuis des années que comme l’instrument et la manifestation de l’hégémonisme nord-américain, de Kiev et d’Istanbul à San Francisco. Comment les dirigeants européens pouvaient-ils être dupes ou complices de la super-puissance qui se voulait le gendarme du monde au point de voir et de dénoncer dans la Russie de Poutine l’héritière et l’exécutrice testamentaire des rêves impérialistes de Staline ? Quel sens mais aussi quelle crédibilité pouvait encore conserver une alliance politico-militaire dont tous les membres s’étaient mis dans l’absolue dépendance d’un seul et abritaient leur mollesse et leur démission sous l’ombre d’un parapluie étranger ? Si les Etats et les peuples d’Europe veulent continuer à vivre, et à vivre libres, dans un monde qui n’est pas moins dangereux en ce siècle qu’aux siècles passés, à qui d’autre qu’à eux-mêmes doivent-ils s’en remettre de leur défense ? L’éventuelle dislocation de l’OTAN amènerait chacun à prendre enfin conscience que la France, seule au sein de l’Union européenne, doit d’avoir les moyens de son indépendance à la volonté visionnaire de l’homme d’Etat qui les lui a légués. C’est une leçon.
Quoi que l’on pense de Donald Trump, de l’homme, de ses propos, de son allure, une chose est certaine : l’individu qui vient d’accéder aux commandes de ce qui est encore la première puissance économique et militaire de la planète, le nouveau président des Etats-Unis, n’entend se laisser guider que par une seule considération : celle de l’intérêt des Etats-Unis. Intelligent, élégant, séduisant, brillant, Barack Obama, en tant que personne, ne laisse derrière lui que des regrets. En tant que président, c’est une autre affaire. Les quelque cent millions d’électeurs qui ont porté Donald Trump au pouvoir ont en commun avec le nouveau président l’amour de leur grande nation et le refus de son déclin. C’est une deuxième leçon.