Dans la soirée du 13 novembre dernier, trois commandos de tueurs aux ordres du soi-disant Etat islamique assassinaient au fil de leur équipée sanglante à travers une capitale qui se croyait à l’abri de la guerre cent trente innocents.
D’abord abasourdie puis horrifiée par la brutalité, l’atrocité et l’énormité des faits, la France, au lendemain du crime, donnait le rare exemple, dans le chagrin et la colère, de l’unanimité nationale. Le massacre déchirait les voiles de l’aveuglement, de la dénégation, de l’excuse, de la lâcheté, et aucune voix discordante ne s’élevait lorsque, trois jours plus tard, le président de la République, s’élevant enfin à la hauteur de l’événement et de sa fonction pour traduire l’émotion de tous, annonçait les mesures d’exception qu’appelait la situation et qui semblaient préluder au déploiement d’un plan général de lutte contre le terrorisme… que nous attendons encore.
Deux mois et demi ont passé. Deux mois et demi ont suffi pour nous faire retomber dans l’ornière de cette frivolité française, de ce tumulte sans cesse renaissant de querelles oiseuses dont nous attribuons généreusement la paternité à nos lointains ancêtres gaulois et qui est en tout cas profondément enraciné dans notre tempérament et dans nos habitudes. L’ennemi rôde aux portes de la cité, il s’infiltre parmi nous et de graves rhéteurs discutent interminablement de l’ampleur, de la légitimité et de la constitutionnalité de cette « déchéance nationale » qui est pourtant la moindre des sanctions que l’on puisse prendre contre des criminels, français depuis la nuit des temps ou depuis la semaine dernière, qui prennent et utilisent les armes contre leurs compatriotes.
Il est vrai que Daech, faute de moyens plutôt que de malignité, nous a épargnés depuis le 13 novembre. L’organisation criminelle a frappé en Indonésie, au Yémen, en Turquie, au Nigéria, en Somalie, au Burkina. Nous n’avons enregistré en France qu’un attentat à la machette, deux attaques à la voiture-bélier, une tentative d’assassinat devant un commissariat, une rocambolesque arrestation à Disneyland. Autant de faits-divers précipitamment mis sur le compte de forcenés, de déséquilibrés, d’individus isolés sans lien avec la grande entreprise djihadiste. La routine.
Il n’en a pas fallu davantage pour que ressurgissent les anciens réflexes comme des monstres conservés intacts dans le formol et pour que se lèvent de nouveau contre l’Etat de droit ceux qui, pour diverses raisons et avec diverses arrière-pensées, nient l’état de fait. Au nom des droits de l’homme, à l’appel des habituelles ligues, associations et autres organisations politico-humanitaires, soixante-dix rassemblements ont réuni hier plusieurs dizaines de milliers de personnes qui s’élevaient contre la constitutionnalisation de l’état d’urgence et semblaient considérer que c’est la République, et non le terrorisme, qui menace notre vie et nos libertés.
Parmi ces protestataires, certains, hélas, idiots utiles et manipulés, sont de bonne foi. D’autres ne se trompent pas de cible et ont toutes raisons de craindre qu’une vigilance et une sévérité accrues de la police et de la justice gênent leurs activités, leurs trafics et leurs menées en tous genres. Certains enfin ont montré où allaient leurs sympathies et leur adhésion en molestant deux militaires en civil qu’ils avaient su identifier. Le terrorisme a des admirateurs et des complices sur notre sol même, ne l’oublions pas.
L’épée de Damoclès est toujours suspendue au-dessus de nos têtes. A l’heure même où ses auxiliaires inconscients ou parfaitement conscients battaient le pavé de nos rues, Daech diffusait une vidéo qui portait sa marque. Le hors-d’œuvre en était l’exécution de cinq prisonniers. Le plat de résistance l’allocution d’un jeune homme parfaitement francophone dont la cagoule laissait passer quelques mèches blondes. Au nom du Prophète, ce volontaire de la mort nous prévenait qu’on pensait à nous et que le prochain attentat perpétré contre la France nous ferait oublier et le 11 septembre et le 13 novembre…
Parmi ceux qui manifestaient hier contre l’état d’urgence, combien se retrouveront ce jour-là aux urgences, et dans quel état ?