Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Sa victoire historique du 27 novembre dernier, ce triomphe aussi éclatant que surprenant, François Fillon ne la doit pas seulement à l’image de calme, de mesure, de sang-froid, d’élégance, de respectabilité, qu’il aura su donner de lui-même et imprimer à sa campagne.
Il ne la doit pas seulement à la proverbiale mémoire courte des Français, et donc à la capacité d’amnésie d’un corps électoral qui ne lui aura pas tenu grief d’avoir été cinq ans durant le principal « collaborateur », fidèle jusqu’à la docilité, du président de la République battu en 2012.
Il ne la doit pas seulement au fait que la forte envie, si largement partagée, d’en finir avec Nicolas Sarkozy ne se traduisait nullement par un vif désir de recommencer avec Alain Juppé.
Candidat à la primaire de la droite, dans le contexte supposé d’une « droitisation » générale du pays (qui reste à vérifier), l’ancien Premier ministre a eu la simple et grande habileté de tenir à l’adresse d’un public très particulier le langage « de droite » que celui-ci avait envie d’entendre, de lui proposer les mesures « de droite » qu’il avait envie de soutenir et de lui apparaître sous les traits flatteurs du héraut providentiel d’une droite sans complexe qu’il avait envie de plébisciter. D’où l’appoint décisif, au moment du vote, du noyau le plus dur et le plus décidément réactionnaire d’une droite exaspérée par cinq ans de présidence socialiste et assoiffée de revanche.
L’obstacle de la primaire franchi par notre Napoléon Bonasarthe avec l’aisance d’un cavalier chevronné du Cadre noir de Saumur, l’ensemble des politologues, des politiciens, des commentateurs et des courtisans, la brillante cohorte de ceux qui n’avaient pas vu débouler en tête du peloton l’outsider revenu de si loin, de ceux qui sont aussi doués pour analyser le passé qu’incapables de prévoir l’avenir, nous affirme avec son habituelle et tranquille assurance que les jeux sont faits, que les résultats d’avril et de mai sont inscrits dans ceux de décembre et que la confirmation de François Fillon dans le rôle de chef de l’Etat n’est plus qu’une formalité. C’est aller un peu vite en besogne.
Et cela pour deux excellentes raisons. La première est qu’il ne s’agit plus de recueillir le vote de près de trois millions de convaincus mais de leur ajouter les quelque douze à quinze millions de suffrages nécessaires pour l’emporter au second tour de l’élection présidentielle. Autre manche, autre paire de manches. La deuxième est que ce n’est qu’après le succès de M. Fillon que les médias, l’opinion et selon toute probabilité bon nombre de ceux qui ont voté pour la personne ont découvert dans toute son ambition, dans toute sa démesure, et pour tout dire dans l’ampleur de son aberration le programme de celui qui aspire à devenir le président de tous les Français. Or, ce programme dans son état actuel, est de nature à cliver profondément le pays, à couper la France en deux et à jeter dans la rue plus de grévistes et de manifestants que n’en avait réunis en 1995 le fugace et maladroit gouvernement de M. Juppé.
Car il n’est pas un secteur, pas un domaine où M. Fillon, pourtant notre contemporain, n’ait choisi pour complaire à ceux dont il recherchait le soutien les propositions les plus régressives, les plus impopulaires, et au fond les plus irréalistes. Qu’il s’agisse de la durée du travail, de l’âge de la retraite, du dialogue social, des services publics, des prestations sociales, du pouvoir d’achat, du statut de la fonction publique, M. Fillon, si on le prenait au pied de la lettre, ne nous promet que purges, saignées, punition, pilules amères, retour en arrière. Vers 1944, avant la Sécurité sociale ? Vers 1936, avant la semaine de 40 heures ? Vers 1884, avant la reconnaissance officielle du syndicalisme ?
Professionnel de la politique depuis trente-cinq ans et plus connu jusqu’ici pour sa modération, que certains qualifiaient même de pusillanimité, que pour ses audaces contre-révolutionnaires, M. Fillon est trop avisé pour ignorer que, ordonnances ou pas, son programme de 2016 volerait au vent de la révolte populaire s’il persistait à vouloir l’imposer en 2017.
Aussi bien, – Le Figaro, journal qui ne lui veut plus que du bien nous l’apprend – l’ancien Premier ministre, depuis quelques jours, « consulte », « peaufine », « affine », « adoucit », « clarifie », « arrondit ». C’est dire qu’il est le premier à savoir qu’il n’appliquera pas, tel quel, le mirifique programme qui lui a permis de l’emporter sur ses rivaux dans le cadre d’une consultation restreinte et qui ne tiendrait pas une minute face au suffrage universel. La seule question qui se pose désormais est donc moins de savoir si M. Fillon reviendra sur ses engagements que de savoir quand il le fera, avant ou après l’élection présidentielle, avant ou après avoir déchaîné la guerre sociale.
P.S. N’aurions-nous échappé au « meilleur d’entre nous » que pour avoir droit au « premier de la classe » (politique) ? C’était pure merveille d’assister au one man show que nous a donné Emmanuel Macron, si content de lui-même, si creux et si plein de lui-même, extasié enfin de se voir si beau dans le miroir de sa popularité. Les narcisses, si l’on en croit les amateurs de jardins, fleurissent entre février et mars. Erreur, si l’on s’en fie à celui que l’on a vu éclore hier à la porte de Versailles.