Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Le moins que l’on puisse dire est que ça n’a pas traîné.
Dans la journée de mardi dernier, 4 avril, des avions militaires syriens qui survolent la localité syrienne de Khan Cheikoun, tenue par l’opposition syrienne, lâchent leurs bombes sur la ville, puis sur un hôpital. Au sol, plus de cinq cents personnes sont contaminées par ce qui est apparemment un puissant gaz neurotoxique du genre sarin. Plus de quatre–vingt périssent, dont vingt-sept enfants. Des photos de ces petites victimes innocentes, immobiles pour toujours dans l’attitude où les ont figées leurs dernières convulsions, la bouche et les yeux encore ouverts sur l’atrocité de la guerre et de l’humanité, font aussitôt le tour de la planète.
Mercredi 5 avril, le président des Etats-Unis et son ambassadrice à l’ONU expriment une réprobation et une indignation largement partagées, voire amplifiées, notamment, par les chancelleries occidentales. Le Conseil de sécurité est immédiatement saisi, sans que pour autant on puisse en attendre des décisions effectives auxquelles la Russie et la Chine opposeraient, rituellement, leur veto.
Dans la nuit du 6 au 7 avril, une volée de cinquante-neuf missiles «de croisière »Tomahawk s’abat sur la base aérienne d’Al Chayaate, proche de Homs, d’où étaient partis pour leur raid meurtrier les Soukhoï gouvernementaux. Quelques avions sont détruits et une demi-douzaine de soldats paient de leur vie le « crime de guerre » commis par le régime de Bachar el Assas. Le président américain, qui a décidé de ces représailles, dénonce le président syrien « qui a arraché leur vie à des hommes, des femmes et des enfants sans défense ». Il appelle « les nations civilisées » à mettre fin au carnage et au massacre qui depuis six ans ensanglantent la Syrie.
Justice est faite, prompte, brutale, expéditive, dans la meilleure tradition de ce bon vieux Far West. Donald est arrivé, comme Zorro, il a tiré plus vite que son ombre, comme Lucky Luke, il a jugé, condamné et aussitôt exécuté sa sentence comme le légendaire et symbolique juge Lynch. Que penser d’un geste qui a valu à M. Trump, à travers le monde plus d’applaudissements qu’il n’en avait recueillis depuis son entrée à la Maison-Blanche mais qui suscite peut-être plus de questions qu’il n’apporte de solutions ?
Dieu seul, s’il existe, sonde les reins et les âmes. Faute d’un scanner des consciences, nous ne saurons jamais si l’impulsif M. Trump, qui fait d’ordinaire étalage d’autres viscères et d’autres organes qu’il met sans excès de pudeur sur la table, a d’abord obéi à un élan spontané de son cœur. Il est cependant permis de se demander si, en gonflant ses muscles et en sortant son gros bâton, le « commandant en chef » des forces armées américaines n’a pas voulu faire d’une pierre trois coups : marquer sa différence avec son prédécesseur, cette mauviette, cette poule mouillée, qui n’avait pas osé punir la violation d’une « ligne rouge » qu’il avait lui-même définie ; épater un visiteur de marque, le camarade Xi Jin Ping, de passage outre-Atlantique ; faire urbi et orbi, à l’usage de tous les bons entendeurs, une démonstration de force.
L’Amérique est de retour. Oncle Sam joue les tontons flingueurs. On va voir qui c’est Raoul, pardon, Donald. Le vainqueur de novembre dernier avait pourtant répété tout au long de sa campagne que ce n’était plus ni à lui ni à son pays qu’il revenait de jouer les shérifs et les gendarmes du monde. Or, non seulement il vient d’intervenir de façon spectaculaire dans le ciel d’un Etat souverain, sans l’accord de celui-ci, mais il ne pouvait se réclamer du moindre mandat international, alors qu’il prétend reprocher comme un Barack Obama ou un François Hollande à la Russie d’avoir procédé de même en Ukraine.
Le commandement russe en Syrie (et indirectement, par là même le régime de Damas) a été prévenu du raid américain juste à temps pour éviter toute confrontation indésirable dans le ciel du Proche-Orient, mais Trumpa-t-il mesuré toutes les conséquences possibles de son intervention et le risque de craquer une allumette de plus à proximité d’un baril de poudre ?
Je suis de ceux, probablement rares, qui ne voient pas en quoi il est plus inhumain d’utiliser le gaz que le napalm, la bombe, la voiture-suicide, le bûcher, la torture ou le couteau dès lors que le but et l’effet sont de massacrer des innocents. Quoi qu’il en soit de ce point, le président Trump, peu au fait des affaires du monde, a-t-il entendu parler d’une organisation criminelle appelée Daech ou ISIS qu’il est plus urgent et plus nécessaire de traquer, de châtier et de mettre hors d’état de nuire que le régime syrien. ? Ne pourrait-il saisir de ce problème et tenter d’associer à sa solution la Russie, la Turquie, l’Iran, les puissances européennes et ses alliés arabes ?
Dernière question, enfin, et non la moindre. On se souvient peut-être encore qu’en 2003, c’est sur la base de preuves inventées et mensongères que Bush le fils fit légitimer l’invasion de l’Irak. A première vue, indices et témoignages semblent désigner clairement les auteurs de l’horreur commise à Khan Cheikoun. La raison, le simple bon sens amènent cependant à se demander s’il est certain que l’armée et le régime syrien ont été assez imprudents, je dirai même assez insensés, et pour tout dire assez fous pour se livrer à une provocation qui ne pouvait ni passer inaperçue ni rester sans conséquences. L’avenir nous dira peut-être si le suspect numéro un était bien le coupable.