Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Un ancien Premier ministre –tiens tiens ! – cinq ministres, seize députés, cinq sénateurs, quinze présidents ou vice-présidents de conseils départementaux, quatre-vingt-dix-sept maires ou maires adjoints, trente-deux directeurs de compagnies publiques, des centaines d’élus locaux, poursuivis, arrêtés, incarcérés, condamnés, pour détournement de fonds publics, fraude fiscale, blanchiment d’argent sale, tel est le bilan pour la seule année 2015.
A l’aune de ces chiffres impressionnants, certains prendront conscience de l’ampleur du mal et des ravages de la corruption, cette gangrène qui touche les milieux dirigeants, contamine la classe, ou faut-il dire la caste politique et, de proche en proche, infiltre, démoralise et pourrit l’ensemble de la société, et ils s’en affligeront ou s’en affoleront. D’autres, optimistes, prendront la mesure de l’intensité et des résultats spectaculaires de la lutte engagée depuis peu contre les coupables, si haut placés qu’ils soient, de ces malversations, de ces délits, de ces atteintes à la probité et, de proche en proche, à l’intérêt, à la cohésion et au moral de la nation. Ceux-là se réjouiront et verront dans le nouveau cours de la justice une raison de ne pas désespérer de l’homme et de l’avenir.
Rien de tout cela, à vrai dire, n’aurait été possible si l’un des plus hauts magistrats du pays, le procureur en charge du Parquet national anticorruption, et si le chef de l’Etat lui-même n’avaient conjugué leurs efforts pour lutter contre le crime en col blanc et le terrasser. La première, Laura Codruta Kövesi, protégée par le statut qui garantit son indépendance, n’a pas hésité à poursuivre le frère de l’ancien président de la République ou à mettre en examen l’ancien Premier ministre qui l’avait pourtant nommée à son poste. Le second, Klaus Johannis, un protestant austère, issu de la minorité allemande de Transylvanie, a refusé de confier la direction du gouvernement à ce même ancien Premier ministre ou à son successeur, chef du Parti social-démocrate majoritaire, mais condamné pour fraude électorale et poursuivi pour détournement d’argent public. Rien, surtout, n’aurait été acquis sans le soutien massif, sans la mobilisation sans précédent, sans les gigantesques manifestations, contre les fraudeurs, les voleurs, les pourris, du peuple tout entier. Du peuple roumain.
Car tout cela, -qu’est-ce que vous alliez croire ? – ne s’est pas passé sur les bords de la Seine, à Paris, en France, mais sur les rives du Danube, à Bucarest, en Roumanie. Et ce ne sera pas trop du Danube pour nettoyer les écuries des modernes Augias.
Dieu sait en effet si la corruption, héritée entre autres de quatre siècles de domination ottomane, semblait indélébilement inscrite dans les gènes de nos amis roumains. Dieu sait si, depuis la chute dramatique du couple Ceaucescu, ce cancer semblait avoir métastasé une société qui cumulait les lourdeurs, les vices et les perversions de la bureaucratie communiste et les débordements de toutes sortes d’un libéralisme incontrôlé. Du reste, si, dix ans après l’adhésion de leur pays à l’Union européenne, plus d’un million de Roumains – 5% de la population, un actif sur dix – en grande partie les plus jeunes, les plus dynamiques, les plus diplômés, ont quitté la terre natale pour gagner l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, ce n’est pas seulement pour y trouver un emploi, de meilleurs niveaux de vie et de salaire, mais aussi pour échapper à un monde étouffant et méphitique de passe-droits, de privilèges, de combines, de copinages, de pots-de-vin, de dessous de table, pour respirer ailleurs un air plus pur.
Dieu – et le diable – savent aussi que les défenseurs et les profiteurs du « système », aussi accrochés à leurs prébendes que jadis, nous dit-on, la vérole au bas-clergé, ont tout fait pour rester les maîtres du jeu. Il a fallu la démonstration de force, pacifique mais résolue, de manifestants descendus par millions dans la rue, pour faire capoter la misérable astuce de l’actuelle majorité social-démocrate visant à adapter le seuil des poursuites judiciaires au montant des détournements reprochés à son chef. Il devrait en être de même, dans les mêmes conditions, d’une ultime manœuvre du même acabit.
Candidat à l’élection présidentielle française, Nicolas Dupont-Aignan, nous le savons, mais les Français sont encore trop nombreux à l’ignorer, entend déclarer inéligibles à vie les hommes politiques condamnés pour corruption. Imaginez un Parlement où ne seraient plus admis à siéger, citons au hasard Jean-Noël Guérini, Claude Guéant, Sylvie Andrieu, Maryse Joissains, Patrick Balkany, Jean-Christophe Cambadélis, Serge Dassault… et quelques autres. La force et le prestige de la démocratie représentative en seraient-ils diminués ?
Nous en sommes encore loin. On regrette de devoir le dire, mais la France, depuis des années, s’est trop longtemps dispensée de faire le ménage dans les recoins obscurs de sa vie politique, là où se cachent les loups, les araignées et les cloportes. La France, qui si longtemps, a fait la leçon au monde, est désormais montrée du doigt, à juste titre, dans ces pays proches du nôtre où une vie privée irréprochable est exigée de ceux qui aspirent à mener une carrière publique. L’exemple, aujourd’hui, nous vient d’où on ne l’attendait pas. Est-ce trop demander à la France que d’être aussi propre que la Roumanie ?