Depuis les événements tragiques du 7 janvier 2015, le rôle d’Internet dans la construction des filières djihadistes est revenu sur le devant de la scène. On pouvait en percevoir la substance dans chacune des interventions du Premier ministre mais ce 27 janvier, François Hollande a sonné la charge et franchi le Rubicon : la lutte contre Internet a finalement été déclarée.
Son « plan global de lutte contre le racisme et l’antisémitisme » passera par la sécurité, l’éducation et la « régulation du numérique ». En enjoignant les grands opérateurs à « ne plus fermer les yeux », on commence à pointer du doigt des responsables par omission et on les menace d’être « considérés comme des complices de ce qui se diffuse ».
Au lendemain des attentats de Paris, l’ensemble de la classe politico-médiatique appelait à raison à ne pas faire d’amalgame entre islam et terrorisme. Paradoxalement, l’amalgame entre Internet et terrorisme a lui été rapidement fait. Certes, il y a des messages de haine, des délits d’appel à la haine et des filières djihadistes, il faut en traquer et punir sévèrement les auteurs. Mais le média n’est pas le message…
Comme toute les révolutions, Internet apporte son lot de doutes et de dangers, mais également d’espoirs et de progrès. En son temps, l’invention de l’imprimerie fût une formidable avancée technologique qui permit, par exemple, la diffusion au plus grand nombre de L’Encyclopédie des Lumières, a contrario, elle a aussi permis plus tard de répandre l’idéologie nauséabonde de Mein Kampf. Doit-on pour autant blâmer l’imprimerie ? La réponse est non. Internet, comme l’imprimerie en son temps, est un moyen et non une fin.
La principale mesure de la « grande régulation du numérique » consiste à rendre les intermédiaires techniques responsables des activités des utilisateurs. Désavoué par un rapport de l’ONU de 2011, cette conception d’Internet provoque « des atteintes sévères à l’exercice de la liberté d’opinion et d’expression ». Cette simple mesure, presque anodine, mène inexorablement à une censure privée de la part des opérateurs pour se couvrir juridiquement. Après les lois HADOPI (2009), LOPPSI 2 (2011), la nouvelle LPM (2014) et avec la menace que représente le TAFTA, les attaques incessantes contre Internet nous montrent le désir de nos dirigeants de « mettre au pas » non pas le Net, mais le contenu du Net, voire de le mettre au service de leurs intérêts, comme si l’on ouvrait les courriers postés.
Le Patriot Act à la française évoqué par certains politiques commence à poindre et les révélations d’Edward Snowden ont mis en évidence que cette loi d’exception fût in fine un moyen d’espionner les citoyens par le gouvernement américain. Le gouvernement français est déjà classé troisième au monde en matière de demande d’information sur les utilisateurs de Google. A-t-on vraiment envie de placer un outil liberticide aussi puissant entre les mains de nos dirigeants ?
La lutte contre les dérives d’Internet est depuis longtemps un prétexte pour tous ceux, et en particulier les gouvernements, qui n’acceptent pas qu’il existe un espace de liberté (avec ses qualités et ses défauts) qui ne soit pas sous leur contrôle, qui ne soit pas tenu comme le sont les grands médias par un moyen ou un autre, pour museler ce formidable outil qui est en train de révolutionner le XXIe siècle.
Alors bien sûr, il faut combattre le racisme, l’antisémitisme, le fondamentalisme islamique et le terrorisme. Cela doit passer par le renforcement des moyens de la police et de la justice afin de leur permettre de faire leur travail, par le renforcement des brigades spécialisées dans la cybercriminalité, par l’évolution de notre arsenal législatif pour l’adapter en permanence à la cybercriminalité.
Cela doit passer par le renforcement de l’école républicaine, par la lutte contre le communautarisme, par le retour d’une vision politique, économique, sociale, morale permettant d’emmener notre pays et d’y faire adhérer tous les Français.
Mais on ne combat pas un obscurantisme par un autre obscurantisme. Et donc nous ne pouvons pas accepter que le gouvernement transforme les fournisseurs d’accès et les gérants de réseaux en supplétifs de police, ni que l’Etat se décharge de ses missions de respect de la loi et de l’ordre public en instaurant un climat d’autocensure qui tournera très vite à la censure généralisée. Internet ne doit pas être le bouc-émissaire des fractures françaises et du manque de courage des gouvernements qui n’assument pas le travail de refondation généralisée du modèle français.
Tout comme il ne faut pas cesser de se battre pour défendre la neutralité du Net et garantir la confidentialité des échanges, nous estimons qu’il faut lutter pour que le Web reste un formidable outil de liberté. La tragédie de Charlie Hebdo au cours de laquelle 17 personnes sont mortes pour notre liberté ne doit pas être un prétexte pour limiter la liberté d’expression. La justice est la seule à être habilitée à trancher entre ce qui relève de la liberté d’expression de ce qui relève du délit. Les publications sur Internet doivent être soumises aux mêmes règles que n’importe quelle autre publication, ni plus, ni moins.
Dans le pays de Voltaire, on n’assassine pas les opposants retrouvés grâce à une surveillance généralisée des réseaux. Dans le pays de Rousseau, on ne fouette pas les blogueurs outrageants. Dans le pays de Diderot, on ne coupe pas Internet pour empêcher les citoyens de s’exprimer. C’est donc tout naturellement que dans le pays des lumières, nous ne voulons pas de votre « régulation du numérique » car l’Internet doit rester libre !
* Nicolas Calbrix est président de Debout les jeunes, Franck Boisgibault est vice-président de Debout les jeunes en charge du numérique et Thomas Garot est délégué national de Debout les jeunes en charge du projet.