M. Le Ministre, Cher Collègue,
Lisant vos propos dans Valeurs Actuelles (n°4214), les quelques compliments que je vous en ferai ne signifient pas que j’approuve cette présidence incongrue, mais n’impliquent pas non plus que je désavoue par avance le fait que vous ayez accepté de tenter de ressusciter l’école de la Nation, que visiblement vous aimez. Comme moi d’ailleurs.
Vous souvenant sans doute de ce qu’Aristote attendait de l’école (les fameuses paidèia hellènes qui ont vécu 20 siècles), vous avez souhaité que la rentrée se fasse en musique, sollicitant quelques rares chorales scolaires ou autres. Oui, vous avez eu raison car le chant permet à la fois d’expulser les tensions, mais aussi de discipliner le corps, créer un lien collectif, découvrir des nuances insoupçonnées. A la musique, Aristote, la plus grande intelligence de tous les temps, ajoutait à son programme idéal : la sémantique, la logique, la rhétorique, l’histoire et la gymnastique. Et surtout pas de spécialisation ou professionnalisation trop hâtive.
L’école est empoisonnée par des dérives dogmatiques insensées, imposées, depuis 40 ans, par des gourous incultes et prétentieux, imposant un déconstructivisme mortel. Vous avez donc raison de vouloir reconstruire. A mettre au crédit que l’on vous fera immédiatement, vous insistez fort justement sur la maîtrise de la lecture sans laquelle l’enfant sera handicapé et proscrit toute sa vie. Vous rétablissez les classes bilangues mais, seulement “autant que vous le pouviez, le latin et le grec”. J’aurais préféré l’inverse car le latin ou le grec- qui devraient pouvoir être choisis indépendamment l’un de l’autre- ne sont pas des formations utilitaristes comme les bilangues, mais des gymnastiques intellectuelles plus remarquables que les envahissantes et sèches mathématiques, formant à l’esprit de finesse, et donnant accès aux racines, aux valeurs et à l’histoire de l’Europe. Vous voulez rétablir un lien de confiance entre les enseignants, leur administration et les familles: qui pourrait le regretter ? Sans trop insister (on vous jugera sur pièce) vous dites encore vouloir faire appliquer la loi dans l’école et à ses portes. Serez-vous suivi par la justice ? Vous désirez porter les élèves vers l’excellence et en faire des êtres humains accomplis. Toutefois il faut s’entendre sur le sens des mots. Car vous ne faites qu’effleurer bien des sujets sensibles et, aux questions abruptes du journaliste, on vous sent très prudent. Voire réticent.
Or la question majeure qui se pose est celle de la finalité de l’école: deviendront les écoliers après la sixième puis après le Bac ; puis dans la Cité ? Quels êtres humains ayant épanouis leurs dons, quels travailleurs, quels citoyens ?
Je vous pose alors trois questions, vous fais une suggestion, avant de vous interroger sur l’état de nos sociétés.
Les trois questions ont trait à l’apprentissage des outils de la pensée (sémantique, logique); à notre vraie et belle histoire de France dont la jeunesse hérite et qu’elle portera; et à la compréhension du monde et de la France où notre jeunesse vit et vivra. Car c’est ainsi – et ainsi seulement – que nos enfants sauront maîtriser le raisonnement et le discours écrit ou oral, leur sens critique, leur créativité, et leur aptitude à ”vivre ensemble” (comme disait Renan). Le socle de leur maturité personnelle et de l’harmonie sociologique. Peut-être d’ailleurs y pensez-vous déjà sachant que nos routines calcifiées et nos tensions culturelles rendront votre tâche ardue.
Ma suggestion serait de placer le Bac à la fin de la première (foin des normes bruxelloise sur les cursus). La terminale ne sert plus à grand-chose, on y maintient des élèves souvent trop âgés pour finalement leur donner un bac devenu la sanction de la fin du secondaire plus qu’un sésame pour l’université. Car vous ne parlez pas du mur de béton sélectif contre lequel 50 % de la jeunesse va broyer ses illusions au cours du premier cycle de fac…Entre le Secondaire raccourci et le Supérieur créez donc des cycles d’auto évaluation et d’auto orientation de deux ans pour le jeune adulte, confronté à des matières spécialisées, ses aptitudes, la longueur des cycles, leur caractère pratique ou théorique. Ce ”mur” génère un gaspillage insensé de moyens humains et financiers dans le Supérieur (au détriment de la recherche) et provoque de graves fêlures chez ceux qui en sont victimes. Attention : votre président a laissé entendre qu’il voudrait rétablir une sélection à l’entrée de l’Université. C’est un sujet explosif; et donc qui explosera.
Enfin, mais vous n’y pouvez rien, se pose l’odieuse question des inégalités qui sont désormais devenues des injustices. Car ce monde ubérisé, de diplômés chômeurs, de travailleurs pauvres qui attend les enfants de la République, où seuls les riches et les pistonnés auront droit au bonheur minimum, pourrait ne faire apparaître l’école idéale que comme l’antichambre du cauchemar planifié par le financiarisme et le mondialisme.
Henri Temple
Délégué national à l’indépendance de la France