Par Henri Temple
Universitaire, avocat, philosophe politiste
Tout ce qui se passe et se passera en Grèce était écrit. Et tout ce qui s’y passe ces jours-ci peut arriver n’importe où en Europe. Pourquoi ?
1 La monnaie n’est pas un hochet pour des technocrates subjugués par les banques cupides, ou pour des politiciens ignares et avides, affidés aux USA.
a) La monnaie est définie depuis 2500 ans (Aristote, Éthique à Nicomaque, GF Flammarion, p. 246-252 ) par ses fonctions :
- moyen intermédiaire pour les échanges,
- unité de compte,
- réserve de valeur.
D’ailleurs la monnaie, comme toute chose, est définie par sa fonction et par sa nature: c’est ce qui conduit à toute définition. Seuls veulent nier les choses ou en changer le nom : les ignorants, les sots, les fous, les cyniques (tous au demeurant aussi dangereux). Et notre classe politique, et ses «économistes officiels», en regorge.
Les fonctions de la monnaie sont encore inchangées aujourd’hui (J.E Stiglitz, prix Nobel d’économie, Principes d’économie moderne, De Boeck, Bruxelles, 2002). Qui se croit assez fort pour bouleverser des théorèmes découverts il y a 2500 ans ? Va-t-on aussi changer les lois de Thalès, Archimède, Euclide, Pythagore ? Vous avez vu les regards de Delors, Lamy, Barroso, Junker, Barnier, Juppé, Raffarin, Baroin, Macron (et son gourou Attali) ? Vous avez entendu Chirac, Sarkozy, Hollande ? Vont-ils eux aussi nous laisser leurs théorèmes, les en croyez vous capables ? Je ris, jaune, vous l’aviez déjà compris.
b) Car ces fonctions invariables de la monnaie ne s’exercent qu’à trois conditions (H.Temple, Théorie générale de la nation, L’Harmattan, 2014, p.202 et s.). Et si ces conditions ne sont pas respectées il ne saurait y avoir de monnaie, mais un simple symbole politique, un artefact, une chimère, voués à l’échec.
Les conditions nécessaires (malheureusement trop peu connues) pour une monnaie sont au nombre de trois :
- La maîtrise de l’émission, sans quoi l’instrument de mesure perd son sens et sa proportionnalité avec la richesse effectivement produite dans une nation donnée, sauf à emballer l’inflation. Cette émission fut, pendant des siècles, une mission régalienne. Or, on connaît trop peu le phénomène plus récent de fabrication et d’émission de monnaie par les banques (crédit, titrisation, spéculation, etc…), qui n’est plus guère maîtrisé, désormais, par personne. Cette fausse monnaie bancaire (ainsi que la considérait Maurice Allais) conduit à des enrichissements démesurés et immoraux, humiliants pour les travailleurs utiles à la société. Et donc socialement et politiquement corrosifs.
- La proportionnalité du signe monétaire avec les produits courants (effet facial) : passer à une unité de compte 6,56 fois supérieure à l’ancien signe monétaire a généré des hausses énormes de prix, dont ont été victimes les salariés/consommateurs les plus modestes et les familles
- L’adaptation aux besoins d’un système économique et social ouvert au commerce international. La Grèce en est la parfaite et pitoyable illustration ; mais la France, l’Espagne ou l’Italie fournissent aussi des bons exemples. Longtemps attractif du fait de sa gestion cambiaire rigide (à l’allemande), l’euro a été victime de sa fonction réserve : il a été de ce fait surévalué, ce qui a conduit à la destruction irréversible d’une grande partie de l’industrie ou de l’agriculture européenne (particulièrement grecque), victimes des prix trop chers en euros.
Dès lors, pour tenter de maintenir les budgets de l’Etat et des régimes sociaux qui ne sont plus abondés par les entreprises en difficulté, les gouvernements, soucieux d’éviter l’émeute, empruntent de plus en plus. Jusqu’au gouffre final.
Ainsi se venge le dictionnaire sur les illettrés qui ont voulu ignorer le sens du mot monnaie.
2 Alors les perroquets qui répétaient, depuis 15 ans, les fadaises pour lesquelles il suivaient de brillantes et juteuses carrières, commencent, depuis quelques jours, décontenancés, à bafouiller leurs catéchismes européens. Et à y ajouter des mensonges.
Il est « septentrionalement correct » d’accabler les grecs et Tsipras : «Timéo Danaos et debita ferentes»
Certes les Grecs n’ont pas joué le jeu d’un état moderne. Certes Tsipras est agaçant. Si agaçant qu’on a fini par oublier qu’il n’est là que depuis janvier 2015. Mais est-il en quoi que ce soit responsable de la situation économique et sociale actuelle en Grèce ? Situation qui a été engagée depuis que le PASOK (Simitis) des copains de Hollande est venu aux affaires en 1996, et qu’il n’a eu de cesse, jusqu’en 2004, que de se donner le « rôle historique » de faire entrer la Grèce dans l’Euro. Après Simitis, la droite de Karamanlis a chaussé ses bottes, et ce n’est que Papandréou (PASOK ) qui a fini par confesser, en 2010, que ses prédécesseurs avaient menti. Et depuis 2012 la Grèce a changé 4 fois de gouvernements : les spasmes de la fin.
Mais ce drame grec, qui pourrait préluder celui de l’Euro et de l’Europe, a des coupables qui sont bien loin d’être tous Hellènes.
- Il y a d’abord, dit-on, la banque US Goldmann-Sachs. Chargée d’auditer les comptes de la Grèce pour certifier, au prix de truquages, que la Grèce respectant les critères de convergence de Maastricht, pouvait accéder au graal de la monnaie unique. Qui l’a choisie ? Qui a contrôlé ses missions, ses méthodes et les résultats exposés? Qui va engager en justice la responsabilité (des dizaines de milliards de dollars) pour les fautes lourdes de cette banque ?
- Mais il y a aussi le FMI (qui avait déjà fabriqué de toutes pièces la crise financière asiatique en 1980) qui n’a pas contrôlé le travail de G-S lors de l’accession à l’euro, et a continué à financer la Grèce (soutien abusif, ce qui est un deuxième cas de responsabilité judiciaire). On peut ajouter, la BCE, l’eurogroupe…
- Et les trois derniers présidents français, dont les fautes nous accablent d’une ardoise de près de 50 milliards de soutiens financiers imbéciles à la Grèce, que nous ne reverrons jamais : les chômeurs, les agents de l’Etat, les contribuables, les électeurs apprécieront cette onéreuse moussaka .
Et il y a, désormais, le plus difficile à supporter : les bafouillages des perroquets qui continuent à occuper la volière médiatique, mais dont le ramage, appris et répété cent fois, sonne à présent si faux qu’il en sont eux mêmes déstabilisés. Surtout ne pas dire la vérité, feindre de confondre sortie de l’euro et sortie de l’Europe, mentir éhontément en rabachant que la sortie de l’euro :
- serait catastrophique pour la Grèce,
- serait sans incidence sur l’Europe
Alors que c’est pratiquement le contraire.
La leçon grecque ne fait que commencer. L’Italie ? Personne ne pourra l’aider vu sa taille économique. Et le précédent athénien par lui-même en dissuadera. Mais elle fera aussi inévitablement défaut (v. les travaux de Steve Keen, sur les politiques de restrictions budgétaires).
Et la France également : si Hollande veut acheter la paix sociale en empruntant 200 milliards supplémentaires par an, au train où vont les choses, notre pays bien aimé se retrouvera en 2017 avec 2500 milliards d’euros de dette. Cynique ? Stupide ? Incompétent ? Irresponsable ? L’Histoire (ou des Tribunaux spéciaux) instruira son procès et celui de toute la caste dirigeante depuis 25 ans. Il faudra alors se souvenir du début du processus ; car nous devrons bien connaître la façon dont ils ont déconstruit leur Europe, pour que nous puissions reconstruire la nôtre différemment, avec intelligence et vertu.
Le Traité de Maastricht, pour cause imminente du Traité de Marrakech (l’OMC d’inspiration US) prohiba les préférences commerciales, même sous régionales, et abattit un des deux piliers de l’édifice européen : la préférence communautaire, retirée du texte du Traité de Rome. Dans les salons bilderbergiens on a alors bidouillé l’idée US scientifiquement débile de remplacer la préférence par une monnaie unique : il fallait un hochet sonore pour détourner l’attention. Superbe résultat….