Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
« Brexit means Brexit » : Brexit, ça veut dire Brexit. En faisant son entrée au 10 Downing street après que David Cameron se fut pris les pieds dans les tapis de ses trop subtiles combinaisons, Theresa May avait énoncé un engagement sans la moindre ambiguïté. Elle respecterait le vote franc, clair et net émis par 52% des suffrages exprimés le 23 juin dernier. La question du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne était tranchée : entre l’arrimage de la Royal Navy aux pontons de Bruxelles et le splendide isolement, le peuple britannique avait choisi le grand large.
De fait, tout en se hâtant avec la précautionneuse lenteur qu’expliquent assez la complexité du problème et le respect de l’importante minorité hostile au Brexit, le nouveau Premier ministre a encore confirmé le 2 octobre dernier devant le Congrès du Parti conservateur qu’elle lancerait en mars prochain la longue procédure d’un divorce difficile et orageux mais qu’elle juge finalement bénéfique aux intérêts du Royaume et conforme au vœu de la majorité de ses compatriotes.
Pourtant, dès le lendemain du referendum, de nombreuses voix s’étaient élevées outre-Manche pour contester non seulement le bien-fondé mais bel et bien la validité des résultats de la consultation. Des cortèges s’étaient formés et avaient défilé, notamment dans les rues des beaux quartiers de Londres, pour demander, que dis-je pour exiger l’annulation du scrutin. Non que celui-ci eût été entaché de la moindre fraude ou de la moindre irrégularité – nul ne le prétendait – mais parce qu’il paraissait scandaleux aux yeux des manifestants que les électeurs n’eussent pas voté comme il convenait. Eh quoi, disaient en chœur les traders, les lords, la gentry, les hipsters, les millenials, les old fellows d’Eton, d’Oxford et de Cambridge, la Banque, la Bourse, la City et l’Ecosse, nous subirions la loi des pauvres, des humbles, des laissés pour compte, des pensionnés aux retraites indignes, des chômeurs non indemnisés, des salariés précaires, des contrats zéro, des ouvriers concurrencés par les travailleurs détachés, des pêcheurs, des agriculteurs, et pour tout dire des ploucs ! Cela ne sera pas. Et d’en appeler, au nom d’un très explicite mépris de classe, du verdict des urnes, tel que l’avait rendu un peuple naturellement ignorant et sot à son infirmation par quelque instance supérieure, donc sensible aux arguments d’une minorité par essence éclairée et plus apte que le peuple à décider de ce qui est bon pour celle-là et accessoirement pour celui-ci.
On a pu constater, en France et aux Pays-Bas, en 2005, de semblables réactions et l’on y a vu les institutions européennes et les gouvernements « nationaux » se mobiliser avec succès pour détourner, contourner ou tout simplement bafouer et annuler l’arrêt rendu par le peuple. Quelle ruse, quelle ficelle, quel recours allaient inventer les élites d’outre-Manche pour revenir sur une décision qui semblait acquise et actée ?
La réponse est tombée en milieu de semaine. La Haute Cour de justice britannique a stipulé qu’il revenait au seul Parlement de Westminster, nonobstant le choix populaire, d’autoriser ou d’empêcher le gouvernement (« la Couronne ») de revenir sur les accords internationaux conclus en 1972. Or, nul ne saurait ignorer, à commencer par les hauts magistrats, que ce même Parlement, à la majorité des quatre cinquièmes, est favorable au statu quo…
Il est vrai que l’Angleterre est reconnue comme « la mère des Parlements », donc de la démocratie représentative et que la pratique du referendum n’est pas inscrite dans sa tradition multiséculaire. Pour autant, la légitimité des mandataires, comme dans toute démocratie, ne leur vient-elle pas de leurs seuls mandants et n’ont-ils pas l’obligation, lorsque ceux-ci, refusant de prêter allégeance aux arguments de l’élite, ont aussi clairement exprimé leur opinion, de s’y soumettre ? Eh oui, c’est aux humbles, aux anonymes, bref aux ploucs, que ces beaux messieurs doivent de siéger sur les bancs étroits de la Chambre des Communes.
Rien n’est encore joué. La Cour suprême peut casser l’arrêt de la Haute Cour de justice. Le gouvernement de Sa Majesté peut en appeler – un comble ! – à la Cour européenne de justice. Le Parlement actuel, sensible à la popularité de Theresa May, ou un nouveau Parlement issu d’élections anticipées peuvent confirmer la mise en route du processus initié par le vote du 23 juin. Ils peuvent redouter la colère et le ressentiment d’un électorat qui verrait son vote foulé aux pieds comme l’a été celui des électeurs français après le referendum de 2005.
Au fait, ne peut-il venir à l’esprit des honorables parlementaires qui tiennent leur légitimité pour supérieure à celle du peuple que si celui-ci est à ce point faillible, c’est peut-être en les élisant qu’il a commis une erreur ?
Dominique Jamet