Un an après les attentats contre Charlie Hebdo de très nombreuses questions se posent et n’ont toujours pas eu de réponses de la part du ministre de l’intérieur. Je ne vais pas revenir ici sur les faits mais je vais m’attacher à poser les questions précises sur le fonctionnement des services de police et sur les prises de décision qui ont abouti à la catastrophe que l’on connaît.
Le journal Charlie Hebdo, depuis la publication des caricatures de Mahomet en 2006 avait reçu des menaces de mort. En 2012, 2 individus sont arrêtés pour menaces de mort à l’encontre de Stéphane Charbonnier dit Charb et de la rédaction du journal. En mars 2013 Charb voit sa tête mise à prix publié dans le trimestriel « Inspire » rédigé en anglais lancé en 2010 par Al Qaida dans la péninsule arabique (AQPA). Cette menace très précise est reprise dans le journal Metro News le 3 mars 2013 et c’est Charb lui même qui prévient la police française (et non l’inverse !). Une protection rapprochée de 3 policiers (seulement !) lui est accordée. 6 mois après cette protection lui est retirée et est remplacée par un simple accompagnement de sécurité (2 policiers). A l’été 2014, Charlie déménage rue Nicolas Appert dans le 11 ème arrondissement de Paris. En septembre 2014 la voiture de police de permanence devant les locaux du journal est retirée ainsi que les barrières de sécurité et il ne reste plus que des rondes et patrouilles aléatoires devant les locaux du journal. 4 mois après les frères Kouachi attaquent !.
Devant cet enchainement de mesures de sécurité qui n’ont fait que diminuer alors que les menaces augmentaient on est en droit d’interpeller le ministre de l’intérieur pour faire toute la lumière sur cette affaire avec les questions suivantes :
- A quel niveau de sécurité (allant de 4 « menace latente » à 1 « attentat imminent ») L’UCLAT (unité de coordination et de liaison anti terroriste) a t-elle évalué les menaces pesant sur Charlie et sur Charb en particulier ? A priori être sur une liste de personnes à abattre en compagnie de Salman Rushdie et Lars Vilks (toujours vivants) constitue, dans un monde normal, une menace grave et imminente (en se rappelant que la fatwa émise à l’encontre de Chapour Bakhtiar, Premier Ministre du Shah d’Iran a duré 11 ans jusqu’à son assassinat en 1980 en France).
- Le Service de la Protection (SDLP) en charge de la sécurité de Charb a t’il fait un examen approfondi de l’analyse de la mission de sécurité en fonction des menaces connues de tous notamment à cause de leur auteur bien connu à savoir Al Qaida ?
- Y a t’il eu coordination entre els mesures prises par le SDLP et la Préfecture de Police?: la réponse est de toute façon négative puisque la sécurité rapprochée de Charb a été diminuée à une date différente de celle des bâtiments ce qui est une erreur manifeste.
- L’audit de sécurité conduit par la mairie de Paris et la Préfecture de Police (Service d’Information et de Sécurité dépendant directement du Préfet de Police) a t’il recommandé aux journalistes de Charlie de changer les dates de réunion hebdomadaire de la conférence de rédaction ? (mesure de sécurité indispensable et qui n’a aucune incidence financière) ?
- Depuis 1994, la distinction entre accompagnement de sécurité générale pour une personnalité et protection rapprochée existe dans les textes officiels : les arrêtés du ministre de l’intérieur, le dernier en date signé Valls date du 12 août 203. Une protection rapprochée donc 3 policiers armés au minimum (plus le conducteur) est accordée aux personnalités menacées sur décision du ministre de l’intérieur et de lui seul. Ce n’est pas la police qui décide (ni le directeur général ni le chef du SDLP) mais le ministre de l’Intérieur lui même qui peut augmenter, diminuer ou supprimer cet accompagnement de sécurité ou cette protection rapprochée. Dans le cas de Charb ce n’est pas 3 policiers armés donc 4 avec le conducteur de la voiture de sécurité mais au moins 7 qu’ils fallait affecter à sa protection rapprochée ce qui fait un effectif de 15 (avec les relèves). Le SDLP a les moyens d’affecter une vraie protection rapprochée à Charb comme il le fait avec l’emploi du Groupe d’appui aux hautes personnalités (GAHP) quand Salman Rushdie vient en France, c’est à dire une vraie protection vu le niveau de menace. Or jamais le dispositif policier n’a été adapté à ce niveau. Pire il est passé de 3 policiers à 2 (voir à 1 puisque le collègue de Franck Brinsolaro le jour de l’attentat était parti faire des courses) ! Manuel Valls a t-il pris cette décision de diminuer la sécurité de Charb ou un de ses collaborateurs ou un haut fonctionnaire devant tous avoir délégation de pouvoir et non de signature car si c’était le cas la décision serait entachée d’irrégularité donc susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat ?
- Bernard Cazeneuve, en prenant ces fonctions a t-il été mis au courant par le chef du SDLP de la distinction fondamentale entre accompagnement de sécurité et protection rapprochée ? l’a t-on informé des menaces sur Charlie et Charb en particulier ? L’a ton informé que la sécurité avait été grandement diminuée à la fois par le Service de la protection et par la Préfecture de Police ?
- Un ministre ne peut pas tout savoir. C’est la raison pour laquelle depuis 2008 une mesure fondamentale existe, mesure confirmée dans l’arrêté du Ministre de l’intérieur Valls (article 14 de l’arrêté du 12 août 2013) à savoir qu’une commission d’évaluation des risques doit se réunir systématiquement pour accorder, augmenter, diminuer ou annuler une mesure d’accompagnement de sécurité générale ou de protection rapprochée. Cette commission ne donne qu’un avis consultatif mais obligatoire au ministre qui décide et la cour des comptes dans son audit du SPHP conduit en 2010 précisait que les décisions devaient être formalisées par un écrit daté et signé pour éviter justement les instructions verbales ou non signées. Cette commission qui éclaire le choix du ministre est composée des plus hautes autorités du ministère de l’intérieur. En faisaient ainsi partie les directeurs généraux de la police (Baland), de la gendarmerie(Favier), le Préfet de Police (Boucaud), le chef du SDLP (Aureal) et le chef de l’UCLAT (Garnier) . Cette commission était présidée dans les textes par le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur en l’occurrence Thierry Lataste inconnu du grand public mais devenu depuis directeur de cabinet du Président de la République. Or tous ces hauts responsables ont tous été choisis par Manuel Valls.
Se posent ainsi 3 questions fondamentales suivies de 3 hypothèses :
- Cette commission s’est elle réunie pour recommander la diminution de la sécurité de Charb ?
- Le ministre Valls a t il suivi cette recommandation ?
- Qui a décidé nominativement, par écrit et quand de diminuer la sécurité de Charb?
*Soit la commission s’est réunie et a recommandée de maintenir une protection rapprochée pour Charb et le ministre (ou celui qui a délégation de pouvoir et non de signature mais qui ?) n’a pas suivi cette recommandation : hypothèse peu vraisemblable et qui doit entrainer la démission du ministre vu le résultat.
*Soit la commission a recommandé la diminution de la sécurité de Charb et le ministre a suivi et dans ce cas il faut démissionner tous les membres de cette commission pour incapacité notoire
*Soit la commission ne s’est pas réunie et un haut fonctionnaire a pris la décision : irrégulière déjà car ne respectant pas les textes et de toute façon catastrophique et là aussi une sanction s’impose.
Nous n’avons aucune réponse du ministère de l’intérieur et en particulier de Manuel Valls devenu Premier ministre mais parfaitement au courant du processus décisionnel ni de Thierry Lataste au cœur du dispositif ni de Frédéric Aureal chef du SDLP qui sait exactement comment cette décision a été prise, par qui et quand.
Depuis un an, personne ne s’est excusé ni n’a démissionné. Tout le monde se serre les coudes en détournant l’attention sur les manquements de l’information de l’UCLAT (et encore est-ce bien le cas ?).
Il faut qu’Ingrid Brinsolaro veuve de Franck le malheureux policier du SDLP envoyé par ses chefs exécuter une mission à très hauts risques , dépose plainte au pénal pour espérer voir la vérité tant promise émerger peut être un jour.
Dans cette affaire Il y a eu tellement d’erreurs, tellement de fautes, tellement d’incompétences qu’il faut bien considérer qu’il s’agit vraiment d’une bavure d’Etat dont les responsables quels qu’ils soient doivent rendre compte aux familles des victimes, à la justice et finalement au peuple français.
Eric Stemmelen,
Délégué national à la sécurité