Personne ne pourra dire qu’ils n’avaient pas été mis en garde. Depuis des jours et des semaines, conseils, avertissements, menaces, anathèmes et malédictions pleuvaient comme des hallebardes sur les électeurs britanniques. Plus ou moins discrètement, plus ou moins grossièrement, plus ou moins finement, il n’était grand de ce monde, je veux dire du monde occidental, du monde mondialisé, du monde économiquement orthodoxe et politiquement correct, qui ne se crût permis de s’inviter dans chaque foyer d’outre-Manche et de s’ingérer dans les affaires intérieures du Royaume-Uni. Obama, Merkel, Hollande, Renzi, Tusk, Christine Lagarde, Schaüble, le FMI, la Banque centrale et bien entendu Juncker, tous jouaient la même partition, tous chantaient sur le même ton, tous sont intervenus dans le même sens et le même registre. Bien entendu, Eton, Oxford, Cambridge, la Bourse, la Banque, les multinationales, la City, l’Establishment faisaient chorus. De ce côté du Channel, les gens qui ont le droit à la parole, les gens qui savent, les princes autoproclamés et les petits marquis qui nous gouvernent, tous ceux qui se sont tant trompés et nous ont tant trompés, les grands partis, les grands journaux, les grands médias, l’ENA, le Siècle et Alain Minc n’étaient pas en reste pour agiter tous les vieux épouvantails, pour évoquer les spectres de la peur, et semer la panique dans l’espoir de récolter le « oui » tant attendu par David Cameron, apprenti-sorcier dépassé par sa propre manœuvre. Le Brexit, ce n’était rien de moins que la fin de la Grande-Bretagne et la fin de l’Europe, puisque c’est le nom mensonger dont vous persistez à affubler l’Union européenne, cette étrange construction à laquelle vous prétendez donner un toit quand ses fondations menacent déjà ruine.
Le peuple britannique s’est prononcé, massivement, clairement, librement. Jaloux de son indépendance, légitimement fier de son passé, attaché à sa souveraineté, il avait déjà réussi, seul dans l’Union européenne, et à contre-courant de l’idéologie dominante, à conserver sa propre monnaie, la maîtrise de son budget, le contrôle de ses frontières. Depuis quelque temps, il s’inquiétait pourtant des conséquences sur son niveau de vie, de protection sociale et de salaire mais davantage encore sur son équilibre, sur son homogénéité, sur son identité, des évolutions en cours. Il craignait d’être contaminé par cette redoutable maladie de langueur et de renoncement qu’est la bruxellose. Il ne voyait pas en vertu de quelle légitimité 32.000 fonctionnaires surpayés et autant de lobbyistes, sept cent cinquante députés élus sur une base nationale pour constituer de bric et de broc un simili-Parlement international, vingt-huit commissaires non élus et le président d’une Commission au fonctionnement opaque décideraient de son mode de vie, de son alimentation, de ses coutumes, de ses droits et substitueraient progressivement leur autorité à celle de son Parlement et de sa justice. Consulté sur ce qu’il entendait faire de son avenir, il a voté, et il a voté contre vous.
Oui, contre vous, contre vos ancêtres, contre vos pareils, contre tous les installés, contre tous les doctrinaires, contre tous les libéraux qui n’ont donné, qui n’ont accordé, qui n’ont concédé leur droit de vote ou pour mieux dire qui ne s’en sont laissés arracher l’exclusivité que sous la pression de l’histoire. C’était, disaient-ils, une grave imprudence et une erreur qui se paierait cher que d’étendre au peuple tout entier, ignorant, impulsif et crédule, un privilège qu’il était si sage, si judicieux et surtout si commode de réserver à l’élite. Oui, à cette élite qui, par force, a dû s’accommoder de la démocratie et du suffrage universel mais qui dans le fond de son cœur n’a pas cessé de lui préférer l’entre-soi comme elle préfère les arrangements de sa petite cuisine au souffle des vents du grand large.
En refusant de s’engager plus avant sur le chemin d’une union plus étroite avec la technocratie européenne, le peuple anglais a choisi la liberté. En refusant de se laisser ficeler par les réglements obscurs et obliques des Lilliputiens du Berlaymont, le Gulliver britannique a sauvegardé son ouverture sur le monde. Les accords commerciaux qu’il passera tôt ou tard avec la Chine, l’Inde, l’Amérique latine, l’Afrique et naturellement avec la Russie puis les Etats-Unis l’affranchiront de la tutelle des gnomes de Francfort ou de Bruxelles. Une fois encore, la mère des démocraties montre la voie et donne l’exemple. Elle ne se laissera pas confisquer sa victoire comme d’habiles et cyniques manipulateurs ont escamoté le résultat du referendum français de 2005.
Il y a quelques jours en Italie, hier en Grande-Bretagne, l’heure est venue du réveil des peuples. Dimanche prochain en Espagne devrait sonner le glas des vieux partis qui ont failli. Bientôt ce sera au tour de la France de voter, et de mal voter, mais cette fois vous ne parviendrez pas comme dans un passé récent à ignorer et vous n’oserez pas dissoudre le peuple.