Intervention de Nicolas DUPONT-AIGNAN
Parlement russe, lundi 16 mars 2015
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Je suis très heureux et très honoré de me trouver parmi vous aujourd'hui et je tiens à en remercier chaleureusement le Président de la Commission des Affaires Etrangères de la Douma, Monsieur POUCHKOV, ainsi que les autorités russes dans leur ensemble.
C'est en tant que parlementaire français indépendant, candidat à l’élection présidentielle de 2012 et président du parti gaulliste Debout la France, que j'ai répondu à cette invitation à m'exprimer devant vous. Je viens vous parler de cette grande majorité silencieuse du peuple français, qui croit en la belle relation franco-russe et qui refuse les manipulations destinées à semer la zizanie entre nos deux grandes nations.
Etre gaulliste, à mes yeux, c'est se battre pour le principe fondamental et fragile qui régit notre monde et est inscrit dans la Charte des Nations Unies : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le droit du peuple français bien sûr, qui fut à l'origine du combat fondateur mené par le général de Gaulle contre l'Occupant nazi. Mais pareillement, le droit de tous les peuples, et bien sûr celui du peuple russe, l'une des grandes nations de notre planète.
Cet attachement aux nations, a été à travers l'histoire en permanence menacé par l'impérialisme. Ainsi, malgré les idéologies et les impérialismes du siècle passé, le Général de Gaulle avait, en vertu de cette conviction fondamentale, pressenti l'avènement du monde multipolaire. Ce monde qui 50 ans après est devenu le nôtre. Quelle clairvoyance de la part de celui qui a toujours parlé de et à la « Russie », plutôt que d' « URSS » !
Et quelle cruelle ironie de l'histoire, alors même que vous, Russes, avez eu le courage d'en finir pacifiquement avec l'empire soviétique pour renouer avec votre génie national, d'avoir vu en même temps les autres nations d'Europe s'égarer en sens contraire dans une organisation, l'Union européenne, supranationale et antidémocratique ! Cette dernière n'a bien entendu rien à voir avec la belle idée de rapprochement des peuples européens, née des lendemains des deux guerres mondiales. Une Europe que le Général de Gaulle, justement, voyait « de l'Atlantique à l'Oural ».
Cette Union européenne si mal nommée porte logiquement, hélas, une responsabilité écrasante dans le gâchis qui s'étale aujourd'hui sous nos yeux. De manipulations en mensonges, elle a réussi le tour de force d'échouer à réconcilier l'Ouest et l'Est, à diviser le continent dans une stérile fâcherie entre voisins et cousins et, partant, à consacrer un peu plus la totale impuissance de l'Europe dans les affaires du monde.
Sur l'Ukraine, la question qui fâche, halte au feu ! Je me permettrai d'être franc et clair : je me félicite des accords de Minsk 2 qui devraient permettre, je l’espère, de sortir rapidement de cette impasse. Oui, il faut une Ukraine à la fois neutre (c'est à dire définitivement hors de l'OTAN) et fédérale. C'est à cette condition que son intégrité territoriale à l'est pourra être durable. La tenue rapide d'élections libres, l'échange de tous les prisonniers, l'amnistie et la levée des sanctions, forment un tout.
Enfin, quoi qu’en dise Bruxelles, la France devra très vite lever les sanctions et, pour honorer sa parole, livrer les Mistral, ces symboles de la belle coopération entre nos deux pays.
Eminemment politique, le gâchis en Ukraine est aussi économique : non pas seulement parce que la France et la Russie en pâtissent commercialement, mais d'abord et surtout parce que la brouille sur l'Ukraine profite de manière absurde aux concurrents de l'Europe.
Voilà le résultat de cette diplomatie de l'Union soi-disant européenne qui ne représente pas les européens : des Européens fâchés entre eux sans raison insurmontable, la Chine qui en bénéficie au plan économique, tandis que certains aux Etats-Unis mettent de l'huile sur le feu, croyant revivre les traumatismes de la menace soviétique et du mur de Berlin. Le général de Gaulle ne manifestait pas d'hostilité envers les Etats-Unis, comme on a trop souvent voulu le croire. Non, il exprimait simplement, à juste titre, la ferme volonté que la France soit traitée à égalité et que son indépendance soit toujours respectée. Car ce n'est pas faire offense au peuple américain que de lui dire que les Européens sont majeurs et vaccinés et qu'ils sont les mieux placés pour savoir ce qui est bon pour eux-mêmes. Cela exige aussi davantage de cohérence de la part des grandes nations européennes, comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie, qui doivent dégager les crédits nécessaires pour assurer leur propre sécurité en toute indépendance de l'OTAN.
Le défi qui est posé aux Européens est en réalité d'une simplicité proverbiale : laisseront-ils la Chine et les Etats-Unis dominer le XXIème siècle, ou seront-ils au contraire capables, à travers un projet de coopération ambitieux, de faire valoir leur point de vue et leurs intérêts ? C'est l'esprit, précisément, du projet d'Europe de coopérations a la carte de l'Atlantique à l'Oural, de l'Europe réellement européenne. Voilà pourquoi il faut bâtir un pacte de sécurité européen évitant une nouvelle course aux armements, qui ravirait les faucons des deux nouveaux empires, satisfaits de voir leur seul concurrent se déchirer en son cœur. Il faudra aussi délimiter strictement les contours de l'OTAN et acter impérativement le principe du
respect de la parole donnée. Les moyens financiers tant de la Russie que des nations d'Europe occidentale pourront alors être investis dans des coopérations scientifiques, techniques et industrielles, utiles à tous nos peuples.
La place de l'Europe dans les affaires mondiales est bien entendu fondamentale pour chaque nation européenne, pour la France, la Russie et pour toutes les autres. Mais, en réalité, elle l'est tout autant sinon davantage pour le reste de la planète. Car l'Europe a des valeurs et une responsabilité historiques dont notre monde ne peut pas se passer, sous peine d'être régi par deux empires (américain et chinois) qui ont certes leur grandeur, mais aussi leurs faiblesses. Ainsi, ce n'est pas seulement notre avenir individuel qui est en jeu, mais celui de tous ceux qui nous entourent, celui de l'Humanité tout entière.
La preuve s'étale sous nos yeux : hélas, le monde va mal. Au Moyen-Orient, l'urgence est criante. Sans la réintégration de la Syrie et de l’Iran dans le concert des nations, Daesh continuera à trroriser la région, à massacrer les Chrétiens d'Orient et à propager ses métastases jusqu'en Afrique et en Europe même ! Nous avons affaire à un phénomène authentiquement totalitaire, qui va jusqu'à détruire l'héritage commun de l'Humanité, sa culture universelle, et dont le nihilisme ne reculera devant rien ! Où sont passés les belles âmes des droits de l'homme ? Pourquoi toujours deux poids deux mesures ? Seule l'action unie de la communauté internationale, au sein de laquelle une grande Europe forte comprenant la Russie, pourra vaincre ce cancer. De même, il faudra une résolution et une unité sans faille pour sortir enfin la Libye du chaos, panser les plaies à vif de l'interminable conflit israélo-palestinien, pacifier le Yémen, etc.
Le vrai danger pour le monde est en Irak, non pas en Ukraine.
Seule une complète réintégration de la Russie dans le concert international, conjuguée à l'affirmation d'une Europe européenne, permettra de le vaincre.
Circonscrire les incendies hérités de décisions hasardeuses est urgent et indispensable, mais n'épuise pas tous les défis qui sont aujourd'hui posés au monde. Loin de là ! S'il faut guérir, il faut aussi construire. Tant de chantiers sont devant nous, Européens, qui attendent notre action résolue et durable…
La coopération internationale culturelle et scientifique a également besoin des Européens pour faire vivre la diversité linguistique, protéger et valoriser le patrimoine de l'Humanité ; mais aussi faire fructifier les échanges éducatifs, artistiques et technologiques qui sont une mine de création et de nouvelles conquêtes, pacifiques celles-là, pour l'Humanité de demain.
Pour bâtir ce monde meilleur, la grande Europe de demain aura un besoin impérieux de la France et de la Russie, deux grandes nations qui ont encore tant à dire et à faire. Oui, il faudra que la France, quant à elle, se retrouve elle-même, qu'elle renoue là encore avec la vision du Général de Gaulle. Il voulait une France fière, puissante, progressiste et humaniste.
C'est cette France-là, la « France éternelle » chère au Général, qui doit de nouveau s'affirmer en Europe.
L'histoire l'a montré, nos deux pays gagnent à s'allier comme en 1914 – et je n'oublie pas les 8500 Russes tombés sur le front occidental ! – et perdent lorsqu'ils s'éloignent l'un de l'autre comme au début de la seconde Guerre mondiale. Je n'oublie pas le sacrifice russe pour vaincre le nazisme : voilà pourquoi le 9 mai tous les européens doivent se rassembler à vos côtés.
Je laisserai le dernier mot au général de Gaulle lui-même, dont l'oeuvre à mes yeux toujours bien vivante nous aura accompagnés tout au long de ce discours : « Pour la France et la Russie, être unies, c’est être fortes, être désunies, c’est être en danger. C’est une condition indispensable du point de vue de la géographie, de l’expérience et du bon sens. »
Vive la Russie et vive la France !
Je vous remercie.