Tout en affirmant ne pas vouloir remettre en cause les langues officielles et la souveraineté des nations et sous-couvert d’un pseudo libre-service des pays signataires infirmé d’ailleurs par le rapport qui en explique l’usage, cette Charte adoptée par le Conseil de l’Europe le 5 novembre 1992, utilise le vocable de « groupes » ethniques qu’elle distingue au sein de la nation. Elle demande qu’une part substantielle des enseignements soit réservée aux langues régionales dans tous les secteurs et à tous les niveaux, du primaire au supérieur. Elle affirme explicitement que ces langues pourront être utilisées pour toutes les procédures judiciaires et dans toutes les démarches administratives. Elle implique une aide financière publique aux médias en langues régionales ainsi qu’aux activités et équipements visant à les promouvoir. Elle encourage les coopérations transfrontalières, ainsi entre la Catalogne et le Roussillon, pour nous limiter à cet exemple.
Cette Charte fut signée par le gouvernement Jospin en mai 1999, alors que le Conseil d’Etat s’était prononcé contre sa ratification, mais ne fut jamais ratifiée car le Conseil constitutionnel, saisi par le président de la République, Jacques Chirac, avait estimé que certaines dispositions étaient contraires à notre Constitution car portant « atteintes aux principes d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ».
L’histoire se précipite depuis peu. En pleine crise des bonnets rouges qu’il essayait de désamorcer, Jean-Marc Ayrault a annoncé à Quimper, le 13 décembre dernier, la ratification imminente de cette Charte, à la grande satisfaction des lobbies locaux comme le Club des Trente et l’Institut de Locarn. Quelques heures plus tôt, le groupe socialiste avait déposé dans l’urgence une proposition constitutionnelle sur le sujet, le terrain ayant été arrosé parallèlement par les écologistes et les radicaux de gauche. Cette proposition vise à voir comment le Congrès se prononcera. Il est en effet nécessaire de passer par celui-ci pour modifier notre Constitution et d’y obtenir la majorité des trois cinquièmes (députés et sénateurs). Le 15 janvier, l’Assemblée Nationale a adopté le texte en commission. Elle en débat actuellement en séance plénière. En cas d’échec, le gouvernement aura beau jeu de reculer en attribuant la faute aux parlementaires car on peut douter qu’il décide de recourir, dans le contexte actuel, à l’autre voie possible pour modifier la Constitution, celle du référendum, qui lui vaudrait sans doute un nouveau camouflet. Un grand nombre de nos compatriotes ne sont déjà pas dupes et, pour les autres, ils seraient édifiés par une campagne référendaire.
Entendons-nous, il ne s’agit aucunement pour nous de contester la richesse que constituent pour la France les langues et cultures régionales. Elles ont fait son histoire et ont toute leur place dans son avenir. Notre pays n’a d’ailleurs pas eu besoin de cette Charte pour en appliquer une partie du contenu par plusieurs lois, décrets et arrêtés adoptés depuis soixante-dix ans. La révision de juillet 2008 a même inscrit dans la Constitution que les « langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». L’argument selon lequel ces langues risquaient de disparaître a pu jadis être fondé. Il ne l’est plus. Aujourd’hui, des établissements proposent des enseignements en langues régionales dans chacune de nos régions qui en possèdent une et il en existe même qui fonctionnent exclusivement dans ces langues. Plus de 600 postes ont été ouverts au CAPES à leur titre. Près d’un demi-million de jeunes Français bénéficient de cours dans ces langues et ce chiffre est en progression constante. Par ailleurs, l’Etat et les collectivités locales autorisent déjà, sous certaines conditions, les documents bilingues et l’espace public breton, roussillonnais ou corse, pour ne retenir que ces exemples, est jalonné de panneaux de signalisation bilingues. Le latin et le grec ancien, en voie d’extinction dans l’enseignement, et dont nul n’osera prétendre que l’apport à notre civilisation est moindre que celui des langues et des cultures régionales, sont bien davantage menacés.
Il faut surtout insister sur les immenses dangers que cette Charte recèle, sans même parler du coût titanesque de son application (recrutement de fonctionnaires bilingues, traduction des actes,…), alors que les finances publiques sont déjà dans le rouge et que le taux des prélèvements fiscaux atteint des niveaux sans précédent. Á y regarder de plus près, davantage encore que les langues régionales, ce sont leurs locuteurs que la Charte protège. Il s’agit bien de leur permettre d’en requérir l’usage au quotidien, y compris dans leur vie publique. Si l’État et ses collectivités territoriales ne satisfont pas le requérant, ils seront condamnables. La déclaration préalable de présentation de la loi visant à la faire voter croit utile de préciser que la République restera une et indivisible et que la Charte ne donnera lieu à aucun droit collectif. Manifestement, le rédacteur, conscient lui-même du danger, essaie de rassurer maladroitement les parlementaires réticents pour entraîner leur adhésion. Certaines voix heureusement minoritaires réclament déjà la co-officialité systématique, voire l’extension des langues régionales à tout le territoire ! La proposition de loi contient même, avec la bénédiction de plusieurs apprentis-sorciers parlementaires, une ouverture ambiguë vers les minorités migrantes, les émigrés, danger que ne comportait pas la Charte qui, lorsqu’elle évoquait les minorités, entendait minorités d’implantation, comme les Allemands du Slesvig et du Holstein danois. Un comble !
Derrière ces demandes et plus encore derrière l’insistance de certains eurocrates à voir cette Charte ratifiée, se trouve la volonté d’affaiblir les Etats pour permettre un dialogue direct entre Bruxelles et de petites unités ethnolinguistiques faciles à manœuvrer. A ceux qui nous traiterons de complotistes, nous répliquerons qu’il ne s’agit-là que du vieux rêve de l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes (UFCE) née en 1949 qui se trouve à l’origine directe de… la Charte.
Celle-ci menace la République une et indivisible, l’Etat-nation et la cohésion nationale en méconnaissant l’histoire de la construction de la France, assimilée à celle des pays voisins. Et à ceux qui nous traiterons aussi de passéiste, nous répondrons sereinement mais fermement qu’ils le sont bien davantage. La Charte marque une véritable régression, une contre-révolution historique, juridique, philosophique, politique et sociale. Elle affaiblira un peu plus le français dont toutes les études sérieuses montrent le recul alors que sa maîtrise est un facteur-clé de l’intégration et de l’ascension sociale ; elle entravera inévitablement l’assimilation nationale ; elle renforcera les replis régionalistes et communautaristes ; elle entraînera une balkanisation de la France et ressuscitera les féodalités au moment où notre pays a rarement eu autant besoin d’unité pour affronter les défis d’aujourd’hui et demain. Potentiellement, elle nous ramènera avant l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 qui imposa l’usage exclusif du français dans les documents officiels. Comme le disait Mirabeau, la Révolution de 1789 a fait une nation d’un « agrégat inconstitué de peuples désunis ». Nos apprentis-sorciers vont nous ramener à l’Ancien Régime et à son cortège de féodalités, fourriers idéaux d’une mondialisation financière et inhumaine, là où les Etats-nations en sont les meilleurs freins.
Eric Anceau
Délégué national de Debout la République à l’assimilation et à la cohésion nationale