FIGAROVOX/TRIBUNE – Damien Lempereur et Brice Wartel estiment que, plus que Panama, Bruxelles a «institutionnalisé» l’évasion fiscale. L’Union européenne a permis aux grandes entreprises de payer leurs impôts là où elles le souhaitent plutôt que là où elles réalisent leurs bénéfices.
Damien Lempereur est avocat et délégué national de Debout la France.
Brice Wartel est avocat au Barreau de Paris.
«Haro sur le baudet, ce pelé, ce galeux dont venait tout leur mal!» Le Panama est l’âne des Animaux malades de la peste chez La Fontaine. Coupable, sans aucun doute, mais également pratique pour dissimuler bien d’autres paradis fiscaux beaucoup plus proches et tout autant nuisibles pour nos finances publiques. On blâme à juste titre le Panama parce qu’il permet à de grandes entreprises et de riches particuliers de réaliser des bénéfices dans un pays pour payer leurs impôts dans un autre. Mais pourquoi n’adresse-t-on pas le même reproche au Luxembourg et à l’Irlande, qui fournissent en quelque sorte le même service?
La réponse tient dans une formule quasi magique: la «concurrence libre et non faussée», chère à l’Europe de Bruxelles. Grâce à la «liberté d’établissement», toute entreprise peut s’installer où elle le souhaite en Europe pour fournir ses produits et services partout dans «l’Union». Sur le papier, c’est l’ouverture sur le grand marché européen bénéfique à toutes les entreprises dynamiques. En pratique, depuis les années 1990, c’est aussi le moyen de s’installer là où les impôts sont les plus faibles et d’y concentrer tous ses bénéfices.
Rien n’est plus révélateur que la carte des implantations européennes des grandes entreprises.
Google France, Google Allemagne, Google Pays-Bas et leurs autres sociétés supporteraient toutes les charges tandis que Google Irlande percevrait tous les bénéfices. Or les profits sont évidemment réalisés en France ou en Allemagne bien plus qu’en Irlande (dont le PIB est douze fois inférieur à celui de la France).
Amazon Luxembourg, qui ne paierait pratiquement pas d’impôts à son Etat d’accueil.
L’Union européenne a «institutionnalisé» l’évasion fiscale en permettant aux grandes entreprises de payer leurs impôts là où elles le souhaitent plutôt que là où elles réalisent leurs bénéfices.
Il est si fréquent de créer, en toute légalité, des sociétés au Luxembourg que le terme «LuxCo», pour «Luxembourg company», est entrée dans le langage courant des affaires, comme un passage obligé. A en croire la presse, grâce à la «liberté d’établissement», McDonalds et Starbucks paieraient elles aussi leurs impôts au Luxembourg parce qu’elles y auraient concentré leurs bénéfices. Grâce à la «concurrence libre et non faussée», McDonalds paierait donc proportionnellement moins d’impôts qu’un restaurateur ; Starbucks, moins d’impôts qu’un bistrot ; et Amazon, moins d’impôts qu’un libraire!
Beaucoup d’entreprises internationales utilisent un système «d’optimisation fiscale» pour éviter de payer des impôts dans l’Union européenne – avec la bénédiction de la Commission de Bruxelles. Le tour de passe-passe est toujours le même: faire apparaître les charges dans les Etats à la fiscalité normale, comme l’Allemagne, et concentrer les bénéfices dans les paradis fiscaux européens. Les salariés et les fournisseurs sont payés par la société allemande ou française, les bénéfices reviennent à la société luxembourgeoise ou irlandaise. Un jeu d’enfant quand l’entreprise est suffisamment grande.
Attention, ce n’est pas de la fraude, du moins pas au sens juridique, car tout cela est parfaitement légal. S’il est possible d’échapper à l’impôt légalement, pourquoi s’en priver?
Après les travailleurs détachés, c’est donc la fiscalité détachée!
L’Union européenne a «institutionnalisé» l’évasion fiscale en permettant aux grandes entreprises de payer leurs impôts là où elles le souhaitent plutôt que là où elles réalisent leurs bénéfices. De même que les travailleurs détachés supplantent les salariés soumis aux charges et au droit du travail français, les grandes entreprises supplantent les TPE et les PME parce qu’elles sont largement dispensées d’impôt.
Si les impôts sur les entreprises en France sont trop élevés, il faut le dire et les abaisser pour toutes les entreprises – pas seulement pour celles qui ont la faculté de s’implanter dans plusieurs pays, et en profite pour choisir leur fiscalité. En attendant, Bruxelles fait reposer le poids de l’impôt sur les PME.
Le Panama nous vole, c’est sûrement vrai, mais au moins il n’est pas hypocrite.