Malgré les forces françaises de l’opération Barkhane, l’ONU (Minusma[1]) et le G5 Sahel (Mali, Burkina-Faso, Niger, Mauritanie, Tchad) les groupes armés terroristes intensifient leurs actions…..
Il ne se passe pas une semaine sans que les armées engagées dans la lutte contre les salafistes djihadistes ne fassent état de pertes conséquentes de militaires dans la zone subsaharienne où s’est installée une résurgence de l’idéologie d’Al-Qaïda. La France paie également un lourd tribut à cet engagement au Mali[2]. Les forces maliennes et nigériennes engagées dans l’Est du Mali viennent de perdre, à la mi-novembre, une vingtaine de soldats dans une attaque terroriste. Il s’agit d’un sérieux revers dans le combat mené contre ses groupuscules djihadistes. Malgré les récents succès affichés par l’armée française lors d’une opération conduite en coopération avec les forces maliennes, nigériennes et burkinabé à la frontière du Burkina-Faso et du Mali, les actions terroristes s’intensifient au Mali et s’étendent aux pays voisins (Niger et Burkina-Faso). Dans ce contexte, la communauté internationale commence à s’interroger légitimement sur la dégradation de la situation sécuritaire dans la bande sahélo-saharienne.
Pour mémoire, la France s’est déployée au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane depuis 2013. Cela représente, aujourd’hui, un engagement d’environ 4 500 hommes, 200 blindés, 6 avions de combat et une vingtaine d’hélicoptères (dont des hélicoptères d’attaque Tigre) pour un coût annuel estimé à 700 millions d’euros.
Les troupes régionales compteraient 7 000 militaires maliens, 4 000 soldats du G5 Sahel et 8 000 hommes de la Minusma.
Les djihadistes seraient, quant à eux, de l’ordre de 2 000[3] au Sahel, dont environ 1 400 au Mali.
Comment, avec près de 25 000 hommes déployés sur le terrain, n’arrive-t-on pas à réduire une poignée de terroristes ?
Les causes sont multiples, mais peuvent se résumer à quelques constats :
– Les djihadistes opèrent en mode guérilla, par des attaques surprises sur les positions tenues par les forces maliennes ou par des embuscades sur les troupes en déplacement, souvent avec usage de mines ou d’engins explosifs improvisés (IED[4]).
– Les terroristes sont constitués de petits groupes éparses et hétéroclites (Aqmi, Ansar Dine, Mujao, Macina et Sema…) qui se mêlent à la population, rendant leur identification très difficile, et qui disparaissent immédiatement après une attaque, et surtout avant que les forces Barkhane puissent apporter un réel soutien.
– La zone d’action des djihadistes correspond à un territoire considérable (vaste comme l’Europe) qu’il est impossible de contrôler de manière permanente, malgré une bonne répartition sur le territoire des troupes maliennes.
– L’appui aérien des forces Barkhane au profit des troupes maliennes ou régionales est insuffisant, car ces dernières ne disposent pas de dispositif de guidage au sol pour répondre efficacement à des situations difficiles au contact de l’ennemi.
– La coordination de l’ensemble des forces engagées n’est pas assurée par un commandement unique, ce qui ne facilite pas l’interopérabilité des différentes forces dans la conduite opérationnelle.
Le contrôle du théâtre d’opération sahélien est loin d’être comparable en moyens à celui mis en œuvre par l’armée américaine en Afghanistan…
Le résultat est là. En Afghanistan, l’aviation de chasse et d’appui était en vol en permanence, grâce à d’impressionnants moyens engagés (nombre d’appareils de combat et d’avions ravitailleurs en vol), ce qui permettait un appui dans des délais extrêmement brefs auprès des formations engagées au sol. Tant que la coalition a pu disposer de cette imposante structure de commandement et de contrôle aérien opérationnel américaine, adaptée à une opération de cette envergure, les résultats ont été au rendez-vous. Ce n’est plus le cas aujourd’hui compte tenu du désengagement des troupes américaines en Afghanistan.
Cela n’a jamais été le cas au Sahel, puisque les troupes déployées n’ont jamais bénéficié d’un tel outil opérationnel.
Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer et accepter que les djihadistes puissent continuer à sévir. Il faut seulement admettre que l’opération Barkhane durera plus longtemps que prévu et que les modes d’actions pour annihiler les actions terroristes devront tenir compte de cette réalité. Dans le contexte actuel, vouloir chasser définitivement les djihadistes du Sahel serait un objectif utopique, les réduire sensiblement et, de facto, empêcher leur expansion vers des pays voisins paraît plus réaliste.
Pour autant, l’opération Barkhane ne peut s’enliser au regard des enjeux qu’elle représente pour la France, pour l’Afrique et pour la communauté internationale dans sa lutte contre le terrorisme.
Si le Président François Hollande s’est engagé, avec l’aval de la communauté internationale, dans cette opération au Sahel, force est de constater que les moyens pour y réussir ne sont pas toujours au rendez-vous.
En effet, les armées régionales ne sont pas en capacité de résoudre seules ce conflit dans lequel la France les a plongé. Financièrement, l’Afrique n’a pas pu réunir les fonds nécessaires au soutien de ses troupes, ce qui ne lui permet pas, notamment, de se doter de forces armées bien équipées. Un certain agacement voit le jour dans cette partie de l’Afrique qui regarde d’un mauvais œil l’évolution incertaine d’un conflit que les États sahéliens n’ont pas toujours appelé de leurs vœux. Le Président Nigérien et la plupart des Chefs d’États au Sahel n’hésitent plus à faire valoir aujourd’hui que la responsabilité de ce conflit incombe à la communauté internationale et, en particulier, à la France. La guerre en Libye contre le colonel Kadhafi a conduit à une dilapidation d’importants stocks d’armes qui se sont essaimés dans le Sahel et sont tombés aux mains des djihadistes.
La France va donc devoir s’engager plus avant pour se sortir de cette impasse. Si Emmanuel Macron réaffirme régulièrement l’engagement de la France au Sahel, il n’en demeure pas moins que la situation est loin d’être simple.
La relative faiblesse de notre dispositif de projection en opération extérieure, doit conduire à s’interroger : La France peut-elle se lancer seule dans une opération de cette envergure en Afrique, sans l’appui des américains en matière de renseignement et de contrôle aérien sur l’ensemble du théâtre d’opération ?
Pour nous, gaullistes, qui prônons l’indépendance nationale et la grandeur de la France, la réponse est irrémédiablement oui. Le renseignement et la capacité de réponse immédiate dans le domaine aérien sont cruciaux si nous voulons conserver une certaine autonomie dans notre capacité d’action militaire au niveau international.
Une participation européenne significative au conflit semble, aujourd’hui, plus qu’improbable, même si quelques éléments Estoniens, Britanniques ou Danois sont venus depuis compléter le dispositif français.
Ce triste constat confirme que l’engagement plus avant de la France dans ce conflit aurait du s’accompagner, en préalable, de la recherche d’une coopération européenne active, voire internationale, dans la mesure où une opération était déjà en cours au Mali depuis janvier 2013 (opération Serval).
La réalité européenne montre ses limites, alors que le défi est majeur et commun : “réduire les groupes armés terroristes (GAT) en les empêchant de reconstituer des zones refuges “.[5]
Encore, faut-il que nos armées puissent disposer de moyens modernes (satellites militaires, drones d’observation et drones de combat, …etc.) en quantité suffisante. Mais, cette problématique strictement franco-française nous éloigne de nos actuels constats sur la lutte contre des terroristes dans le Sahel…Seuls les mois à venir nous dirons si l’objectif de vaincre les combattants islamistes sur le sol africain pourra être atteint.
François Rondot
Délégué national adjoint au développement de l’Afrique et à la Méditerranée
[1] Minusma ::Mission (Multidimensionnelle) Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali
[2] Depuis le début de l’opération 21 soldats français sont tombés au Sahel
[3] De sources militaires relayées par AFP et affichées sur le site du ministère des armées
[4] IED : Improvised Explosive Device
[5] Dossier de presse opération Barkhane Ministère des armées juillet 2019