Le sommet annuel de GAIA-X s’est tenu en Italie mi-novembre. Ce groupe de travail pour bâtir un acteur majeur du Cloud européen était sponsorisé par … Microsoft, Amazon, Huawei et Alibaba, acteurs surpuissants intégrés à des centaines d’autres, eux de pays membres de l’union, sur ce chantier. Ceci n’a pas manqué d’être critiqué bien évidemment pour un regroupement posé comme un fleuron dit européen.
GAIA-X est un consortium visant à construire un maillage et des offres de services sectorielles pour assurer l’hébergement en cloud souverain des données européennes, de leurs traitements et ce, moins de dix ans après les premiers échecs cuisants comme ceux de CloudWatt (Orange-Thales) et de Numergy (SFR-Bull) certes à une toute autre échelle.
Notons que la France, en parallèle, soit en sécurité d’un échec possible de GAIA-X ou à l’inverse en pure perte pour occuper le terrain, s’est lancée dans un cloud souverain dénaturé (voir notre article sur le label Cloud de confiance) et une certification SecNumCloud, clouds souchés sur les solutions étasuniennes des GAFAM, sous licence, protégeant du CLOUD Act sur le papier, et ce de façon assumée par notre exécutif.
Que restera-t-il de ces deux branches de clouds dits souverains: une fusion ? Une seule, avec du temps et des moyens encore perdus ? Aucune les GAFAM ayant gagnés et les instances trans-nationales s’étant couchées arguant un succès ?
Les acteurs européens amenés à collaborer dans ce GAIA-X, créé sous l’impulsion initiale des allemands, suivis ensuite par les français, se retrouvent en minorité d’appareil face à des acteurs mondiaux intégrés sans vergogne aux travaux qui, en plus des sociétés sponsors sus-citées, sont, pour les plus significatives, les Google, Apple, Oracle, Salesforce et le tant décrié Palantir, proche et fournisseur de services pour les renseignements américains (NSA, CIA, FBI, …).
Scaleway, filiale d’Iliad (plus connue pour l’offre aux particuliers de sa marque “Free”) a simultanément à ce sommet signifié son renoncement à poursuivre son adhésion à GAIA-X pour 2022.
Cet acteur indique, dans un article de l’Usine Nouvelle, en substance, qu’il préfère concentrer ses ressources vives sur leurs offres plutôt que de perdre du temps dans des chantiers en commun, semble-t-il, dominés par des géants du numérique intégrés au consortium.
Quant aux acteurs français, beaucoup s’adossent au GAFAM : OVHcloud avec Google, il y a un an, Orange avec Microsoft (Huawei en cloud public aussi) et Thales avec Google (une structure où le “français” resterait majoritaire, Google n’étant pas certifié par l’ANSSI) . Outscale la filiale de Dassault Système semble résister à ces partenariats néanmoins avec des technologies incontournables Cisco et Intel.
DEBOUT LA FRANCE demande :
– d’acter qu’il n’est pas trop tard de vouloir bâtir un acteur pour concurrencer des sociétés privées américaines elles autosuffisantes, ancrées et monopolistiques (aidées par leur état) sans monter une usine à gaz d’une multitude d’acteurs à coordonner et qui commercialement restent des concurrents entre eux.
– à ce que tous les utilisateurs étatiques et privés utilisant ces solutions (GAIA-X mais aussi du Cloud de Confiance français) dominent la notion de réversibilité pour pouvoir basculer le plus rapidement possible leurs données, leurs actifs applicatifs d’une plateforme à l’autre. Ceci est, dans les faits, très compliqué par justement “fidélisation” forcée.
– d’avoir une solution de repli en cas extrême de conflit armé, de fermeture du robinet numérique unique bien qu’à ce jour la mondialisation d’internet, des réseaux, des protocoles, des équipements rend la vulnérabilité totale et pour tous sauf éventuellement pour la Chine sur elle-même.
– que les acteurs français soient très vigilants vis-à-vis de prises de pouvoir dominantes d’offres ou de choix , de la part des allemands, de la part des acteurs extracontinentaux, américains et asiatiques.
-que soit lancé un programme franco-français (public/privé) et ce, sous l’égide de l’INRIA pour monter une saine communauté protégée pour créer des infrastructures et des services cloud suffisants pour remplacer les solutions des GAFAM souvent surdimensionnées pour la grande majorité des besoins d’applications basiques de gestion (pas de gros volumes, de célérité, de services d’IA). Du bon sens pour ne pas choisir une Rolls, une motorisation V12, pour aller à la boulangerie du coin de rue …
– d’être, et il n’est jamais trop tard si l’on est rigide sur le degré d’ouverture, un acteur majeur de l’informatique quantique toujours sur tout un cycle de recherche, d’industrialisation, de production de commercialisation pour nos propres besoins nationaux sans chercher à créer des offres mondiales et donc réserver la consommation de puissance de calcul ou de services aux GAFAM de façon non systématique. Là nous serons aussi capables de rivaliser sur des sujets comme l’IA si notre recherche et des sociétés de façon indépendante savent créer de la valeur protégée et pérenne.
Ainsi, combien d’années-hommes seront perdues par un tel consortium, GAIA-X, sur lequel même des membres acquis doutent grandement ? Combien de talents gâchés ou happés, d’entreprises détournées de leur propre combat de R&D et commercial car accaparées à essayer d’exister dans un tel mammouth ? N’est-ce pas là un piège, le piège de ce type de montages ? Quelles compromissions entre acteurs de cultures et de nations différentes forcées de collaborer (cas des IPCEI Cloud et du plan industriel de soutien doté de 1,8 Mds€) dans un creuset factice, l’Union Européenne et surtout inégalement partageurs ? Quelle part de nos impôts, d’argent public et privé volatilisés pour des bénéfices captables à termes par l’étranger par de tels procédés que nous finançons pour offrir sur un plateau les résultats ?
Bref, concentrons-nous pour créer une alternative Cloud à la hauteur de nos besoins locaux et nationaux et excellons sur les domaines encore ouverts avec les cinq maîtres mots : souverainisme (à la maille de notre nation), méfiance, combativité, excellence, protection. Presque une honte de citer cela tellement notre cerveau est ramolli, lavé par la doxa et l’abandon au communautaire, mondialiste et dangereusement bipolarisant de l’Occident contre l’Orient …
Lionel Mazurié
Délégué National au Numérique