Eric Stemmelen, délégué national à la sécurité
Deux ans après les attentats commis dans les locaux du journal Charlie Hebdo en janvier et au Bataclan en novembre trop de zones d’ombre subsistent sur les décisions prises à l’époque par les responsables politiques du ministère de l’intérieur et par les hauts fonctionnaires pour ne pas s’empêcher de penser que ce ne sont pas des erreurs d’appréciation mais des fautes qui ont été commises.
Charlie : les menaces n’ont jamais été prises au sérieux et par conséquent la sécurité n’a jamais été assurée comme elle devait l’être :
Depuis 2006 et la publication des caricatures de Mahomet, Charlie faisait l’objet de menaces islamistes, menaces concrétisées en 2011 par le jet d’un cocktail molotov.
En mars 2013, non seulement Stéphane Charbonnier plus connu sous le nom de Charb apprend que sa tête est mise à prix pour crime contre l’Islam dans le luxueux magazine « Inspire » rédigé en anglais et publié depuis 2010 par AQPA (Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique) au Yémen. Ce n’est pas l’UCLAT (Unité de Coordination et de Liaison Antiterroriste) du ministère de l’Intérieur qui prévient Charb et les autres services de police compétents (Préfecture de Police et Service de la Protection (SDLP) anciennement connu sous le nom de SPHP –Service de la Protection des Hautes Personnalités) comme cela aurait du être le cas. Pas du tout, c’est Charb lui-même, alerté par une de ses relations professionnelles qui prévient la police ! Non seulement le SPHP ne met pas en place une équipe de protection rapprochée conséquente à savoir 6 ou 7 policiers mais pire, réduit à 2 fonctionnaires la sécurité personnelle de Charb 6 mois après cette menace grave et précise. Sans aucune concertation avec le SDLP, la Préfecture de Police de Paris retire en septembre 2014 la voiture de police qui était de faction devant les locaux du journal et enlève les barrières de sécurité. Tout ceci est la conséquence de décisions prises sans aucune considération et analyse sérieuse de la menace.
La suppression des gardes statiques et des barrières relève de la seule appréciation du Préfet de Police et du service placé sous ses ordres , la Direction de l’Ordre Public et de la Circulation (DOPC) de la Préfecture de Police : les responsables de ces malheureuses décisions sont clairement identifiés : le Préfet de Police et le Directeur de la DOPC car ce genre de décision est nécessairement pris au plus haut niveau de la Préfecture de Police.
Par contre la décision d’accorder, de réduire ou de supprimer la protection rapprochée ( au minimum 3 policiers en permanence) ou l’accompagnement de sécurité (1 ou 2 policiers) pour une personnalité est une décision politique et non pas technique.
En effet l’arrêté du 12 août 2013 signé Manuel Valls, ministre de l’Intérieur ne souffre d’aucune ambiguïté : c’est le ministre de l’Intérieur en personne qui décide. En l’occurrence le même Manuel Valls qui peut donner délégation de pouvoir (et non de signature) à son directeur de cabinet Thierry Lataste en l’occurrence. Le directeur général de la Police nationale peut lui aussi avoir pris cette décision à la seule condition qu’il ait la délégation de pouvoir. Or comme ce type de décision qui concerne les personnalités françaises mais aussi étrangères est hautement sensible , il est quasiment certain que la décision a été prise au niveau du ministre de l’Intérieur et de son cabinet.
Cette décision doit être datée et signée : plus de deux années après l’attentat de Charlie on ne sait toujours pas qui a pris la décision de transformer la protection rapprochée de Charb en simple accompagnement de sécurité et pour quelles raisons ! En vérité personne ni au Parlement ni dans les médias n’a jamais posé cette question pourtant élémentaire et qui est qu’on le veuille ou non une des causes essentielles des assassinats commis par les frères Kouachi dans les locaux de Charlie.
Le pouvoir en place a promis la vérité aux français : on ne l’a toujours pas.
Dans tous les cas, il est certain que:
- ne pas assurer ni une protection rapprochée à Charb ni une protection des bâtiments alors que c’est Al-Qaida qui a proféré des menaces de mort précises n’est pas une erreur d’appréciation mais une faute gravissime dont on connaît les conséquences.
- ne pas connaître les auteurs des décisions, plus de deux ans après l’attentat, est franchement scandaleux,
- aucun mais absolument aucun responsable politique ou opérationnel du ministère de l’Intérieur n’a démissionné, n’a été sanctionné ni ne s’est même excusé comme si personne n’était responsable d’une succession de décisions catastrophiques. On notera quand même que Manuel Valls a été promu Premier Ministre et que Thierry Lataste a été promu , directeur de cabinet du Président de la République François Hollande!.
- les parlementaires de gauche et de droite n’ont pas jugé bon de constituer une commission d’enquête qui aurait pourtant été bien utile car les menaces terroristes islamistes ne datent pas d’aujourd-hui. En France il faut remonter au minimum 20 ans en arrière avec l’affaire Khaled Kelkal en 1995 et bien évidemment avec l’affaire Mohammed Merah en 2012.
- Ce qui s’est passé à Charlie est tout sauf une surprise et pourtant que de légéreté et d’incohérences dans les décisions prises par les responsables politiques et policiers du ministère de l’intérieur !
Le Bataclan: la honte ! :
Autant les décisions prises à Charlie n’ont pu que favoriser la commission des crimes commis par les frères Kouachi et sont donc constitutifs de fautes successives, autant les décisions prises quelques mois après, lors de l’attaque du Bataclan constituent à la réflexion et le mot n’est pas trop fort une véritable honte.
Le 13 novembre 2015, 3 terroristes perpétuent un massacre pendant 3 h dans la salle de spectacle du Bataclan à compter de 21 h 30.
Le Préfet de Police, autorité civile compétente sur Paris,prend des décisions parfaitement légales mais franchement illégitimes et inadmissibles :
1. Apprenant l’attaque du Bataclan survenue après celle du Stade de France et les fusillades dans les rues de Paris, le Préfet de Police ne demande pas au Directeur Général de la Police Nationale de réunir la Force d’Intervention de la Police Nationale (FIPN) qui permet de mettre sous l’autorité du RAID, en cas de prise d’otages à Paris la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) de la Préfecture de Police . Or en janvier 2015, la FIPN avait été constitué dans le cadre de la prise d’otages à l’Hyper Casher de la Porte de Vincennes. Ce qui était valable en janvier ne l’était plus en novembre ! C’est ainsi que le RAID, le service le plus compétent de la Police Nationale en matière de prise d’otages n’a pas été désigné comme directeur des opérations au Bataclan. C’est à cette occasion que l’on se rend compte que le Directeur Général de la Police Nationale porte bien mal son nom puisqu’il n’est pas le directeur des services de police de Paris et des départements de la petite couronne (25% des effectifs de la police française)!.
2. Dans les minutes qui suivent l’attaque arrivent très vite sur place quelques policiers dont le commissaire d’une Brigade Anti-Criminalité et son chauffeur, lesquels n’écoutant que leur courage et leur devoir entrent armés de leurs seules armes de poing à l’intérieur du Bataclan et réussissent à tuer un des terroristes ce qui permet à 300 otages de sortir. Quelques minutes après l’arrivée des premiers policiers, 8 soldats de l’opération Sentinelle équipés de gilets pare-balles et de fusils d’assaut se trouvent également présents. Se produit alors une chose incroyable et franchement incompréhensible : les militaires ne reçoivent pas l’ordre de leur hiérarchie d’intervenir, ils refusent même, de prêter leurs FAMAS aux quelques policiers présents démunis d’armes de guerre. La hiérarchie militaire expliquera que les militaires étaient à la disposition des autorités civiles. Or les policiers sur place ont une carte professionnelle dite de police qui est en fait une carte de réquisition des autorités civiles et militaires. Mais il se trouve qu’en France et particulièrement à Paris, le policier présent sur place fut-il commissaire est en pratique dépourvu de tout pouvoir de réelle décision. C’est donc et il faut être très clair sur ce point, le Préfet de Police et son représentant à la salle de commandement de la Préfecture de Police qui ont refusé de faire appel aux militaires présents en oubliant que la France, d’après les propos du Président de la République et du Premier Ministre , était en état de guerre, que la légitime défense ne s’applique pas qu’à soi même mais existe aussi pour autrui en application de l’article 122-5 du Code Pénal ,en oubliant surtout la notion d’urgence dans ce qui n’est pas une prise d’otages classique mais une tuerie de masse.
Il faut attendre plus d’une heure pour que la force d’intervention rapide ( le mot rapide est à mettre en parallèle avec le temps d’une heure !) de la BRI et le RAID arrivent . Ce n’est qu’à 0h 20 que l’assaut est donné soit près de 3 heures après le début de l’attaque.
Et pendant ces longues heures, les terroristes qui ne sont plus que 2, massacrent 90 personnes y compris avec des actes de torture et de barbarie (égorgement, eviscération, énucléation ….).
Et pendant tout ce temps là les 8 militaires de l’opération Sentinelle reçoivent l’ordre de ne pas intervenir : ce jour là le respect de la lettre du règlement militaire a été une catastrophe. Les autorités civiles et militaires qui ont donné cet ordre ont fait la preuve de leur incompétence et finalement n’étaient pas dignes de leurs fonctions.
3. Mais ce n’est pas malheureusement pas tout, les autorités de la Préfecture de Police ont aussi pris une autre décision elle aussi catastrophique : le 13 novembre, de façon fortuite, 45 gendarmes du Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN) hautement spécialisés comme le RAID dans le domaine des prises d’otages, étaient présents à la caserne des Célestins à quelques centaines de mètres du Bataclan. Comme Paris est dans la zone de compétence de la police et non de la gendarmerie, le Préfet de Police qui là aussi a le pouvoir de réquisition, a choisi d’appliquer le règlement et préférait attendre l’arrivée de la BRI et du RAID plutôt que de solliciter l’intervention des gendarmes. On connaît le résultat : une centaine de morts. C’est le deuxième scandale de la soirée encore plus grand que celui de la non intervention des 8 soldats de l’opération Sentinelle.
Ce jour là les compétences des uns et des autres ont été respectées à la lettre et tant pis pour les victimes qui ont attendu en vain l’intervention des 45 gendarmes du GIGN et des 8 soldats de Sentinelle alors que tout le monde savait qu’un massacre avait méthodiquement lieu.
Ce jour là, les décisions prises par les autorités civiles et militaires sont tout simplement honteuses
Les attentats sur Charlie et au Bataclan mettent en pleine lumière l’incompétence évidente de certains décideurs qui sont arrivés au sommet de la hiérarchie en gagnant manifestement leurs galons dans les salons et sous les ors de la République en application du principe bien connu : l’allégeance est supérieure à la compétence.
De toute façon, dans ces deux affaires tragiques pour les victimes et pour la France, personne mais absolument personne n’a reconnu son incompétence, ses erreurs, personne n’a démissionné ni n’a été viré ni ne s’est excusé.
C’est peut être cela le plus choquant : la certitude d’avoir eu raison et l’absence totale de regret et de remords !