Par JEAN-PAUL BRIGHELLI, Délégué National à l'Ecole publique de Debout la France
"Une guerre", a dit Manuel Valls. Très bien, j'accepte le terme, parce qu'il n'y en a pas d'autres. Alors, donnons-nous des armes : dans l'Éducation nationale, ce sera un "livret de la laïcité". Jolie trouvaille. Si j'avais mauvais esprit, je dirais qu'il était temps. Mais je ne le dirai pas, parce qu'il n'est plus temps : face au feu ennemi (et nous savons malheureusement que ce n'est pas une métaphore), on ne se défend pas avec de bonnes intentions. C'est ce que montrent dix ans d'avertissements restés lettre morte.
Des rapports à la pelle
Ainsi, dès 1987, Gilles Kepel, éminent islamologue, sortait Les Banlieues de l'islam (Gallimard). En 2004, Jean-Pierre Obin, inspecteur général mandaté par le ministère, visitait une centaine d'établissements sensibles et rédigeait un rapport si brûlant que le ministre de l'époque – François Fillon – le rangea dans un placard : sidéré par la mise à l'écart d'un document essentiel, Alain Seksig, que je ne présente plus aux lecteurs de ces chroniques, contacta une vingtaine d'intellectuels divers qui publièrent ledit rapport en le commentant (L'École face à l'obscurantisme religieux, Max Milo, 2006).
La même année, sous le pseudonyme d'Emmanuel Brenner, Georges Bensoussan publiait Les Territoires perdus de la République (Mille et une nuits). Deux ans plus tard, en 2006, j'alimentais moi-même le débat avec Une école sous influence (éd. Jean-Claude Gawsewitch/Folio). Rue de Grenelle, Gilles de Robien avait succédé à François Fillon : peine perdue ! En 2012, Gilles Kepel, sollicité par le très sérieux Institut Montaigne, sortait Les Banlieues de la République – en l'occurrence Clichy-sous-Bois et Montfermeil -, édité par Gallimard, dans lequel il décrivait avec un grand luxe de détails chiffrés les effets cumulés de la concentration d'immigrés, de jeunes issus de l'immigration, et du chômage endémique. Le même Kepel, qui, il y a deux jours, affirma que le raid sur Charlie Hebdo était un "11 Septembre culturel".
Angélisme
En 2012, la gauche arrive au pouvoir. Elle commande au HCI (Haut Conseil à l'intégration) un rapport qui s'avérera tout aussi accablant et lucide, dirigé par Alain Seksig. Peillon le préface, puis le range dans un tiroir, et le gouvernement dissout le HCI, qui avait si bien travaillé. Ai-je tort d'y voir la longue main de l'ineffable Jean Baubérot, qui avait en son temps critiqué très fort le rapport Obin : l'angélisme et le camp du Bien veillent ensemble.
Ils savaient donc. Ils n'ont pas voulu agir. Pire : ils ont multiplié les concessions. Comme si l'on éteignait les incendies en y versant de l'essence.
Ah, si ! La loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires allait dans le bon sens, mais les divers gouvernements qui se succédèrent refusèrent de l'étendre aux universités. Depuis, les incidents s'y multiplient.
Le refus des communautarismes
Revenons aux fondamentaux de la République. Peu après la nuit du 4 août 1789, qui institua l'abolition des privilèges, le comte de Clermont-Tonnerre, grand aristocrate éclairé, lança à la tribune : "Il faut tout refuser aux juifs comme nation et tout accorder aux juifs comme individus." C'était fonder la République dans le refus des communautarismes – et les Juifs de France se coulèrent si bien dans le moule républicain qu'il fallut la Shoah pour les reconstituer en tant que communauté. Mais, depuis les années 1980, nous avons lentement laissé s'instaurer une division de la nation en groupuscules concurrentiels, cette pseudo France Black-Blanc-Beur de 1998 qui, deux ans plus tard, conspuait l'équipe de France face à l'Algérie, comme je le rappelle par ailleurs.
Qu'un Premier ministre utilise à maintes reprises le même mot de "communauté", que les médias reprennent désormais sans sourciller, m'inquiète au plus haut point. Non seulement nous avons renoncé à assimiler les étrangers, mais nous sommes parvenus à amener des Français à se voir comme des étrangers. Le refus d'intégration a fait le terreau de l'intégrisme.
Il faut d'urgence appliquer la laïcité, toute la laïcité. Je suis loin d'être le seul à le réclamer. Il ne faut plus rien céder, parce que tout atermoiement serait interprété comme une reculade, et il faut annuler les concessions faites ces dix dernières années, parce qu'on a cru acheter l'islamisme en lui offrant toujours plus de territoires.
Le voile ne doit pas être interdit seulement dans les sorties scolaires, mais dans tous les lieux institutionnels – à commencer par l'enseignement supérieur. L'exigence du hallal dans les cantines doit cesser : on peut proposer un menu alternatif, mais de là à changer les règles, il y a une marge. Il n'est plus pensable de laisser les élèves, dans une classe, se trier en groupes étanches – Noirs, Beurs, filles, garçons, comme autant de chiens de faïence. On doit sanctionner très durement toutes les intimidations pour obliger des élèves récalcitrants à se plier à la charia. Ces derniers jours, des élèves musulmans qui affichaient "Je suis Charlie" ont été roués de coups dans divers points du territoire. On peut être musulman, juif ou chrétien au fond de son coeur sans arborer sans cesse, et partout, les signes extérieurs de sa foi. Cette ostentation ne me paraît d'ailleurs guère conforme à ce que je sais de la religion. Qui peut croire que Dieu les préfère barbus ou en babouches, ou enfouies sous des voiles funèbres ?
Aux racines du mal
Mais surtout, il faut abolir la loi Jospin de juillet 1989, sur laquelle s'appuient tous ces fondamentalistes pour oser balancer, en cours, des énormités. Les oreilles des enseignants ont sifflé partout en France ces derniers jours : la dernière rumeur en date fait des assassinats de Charlie et de Vincennes l'oeuvre du Mossad, et de toute façon, comme l'ont affirmé des dizaines de milliers d'élèves, "c'est bien fait pour eux, ils n'avaient qu'à ne pas caricaturer le Prophète". Elle aussi qui leur permet de refuser de se rendre dans les piscines, de contester les enseignements les plus ordinaires (essayez de dire "Darwin" dans certaines classes !), et d'imposer le jeûne à des enfants.
Que dit la loi Jospin ? Que "dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression" (article 10). Le législateur a cru bon d'ajouter que "l'exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement". Ah, oui ? Cette directive n'est pas appliquée. Et la "liberté d'expression" nous a permis d'entendre, dès l'école primaire parfois, des horreurs répugnantes.
Fermer les portes
D'ailleurs, deux mois après la promulgation de la loi, en septembre 1989, survenait la première affaire de voile. Jospin, courageusement, demanda son avis au Conseil d'État, qui refusa de trancher. Et c'est ce dynamiteur de laïcité, mondialiste et altermondialiste comme l'ancien trotskyste qu'il était, que des militants sincères ont pleuré au soir du 2 mai 2002 ? Sans compter que c'est cette même loi Jospin qui met l'élève "au centre du système" – et non plus le savoir. C'est cette même loi qui affirme que "les parents d'élèves sont membres de la communauté éducative" – et ils demandent à être toujours plus présents.
L'école-sanctuaire qu'avait voulue Jean Zay est aujourd'hui une passoire par où s'infiltrent les rumeurs les plus folles, les esprits les plus dérangés, les pratiques les plus mortifères. Il est temps de refermer les portes, celles de l'école comme celles de l'Europe, de remettre les apprentis djihadistes au travail, et de remplir les cervelles creuses avec Voltaire et Diderot – ça les changera des émissions de la télé-poubelle.
Ecr.l'inf.
"Écrasons l'infâme" : c'est ainsi que Voltaire concluait souvent ses lettres.
Source :
http://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-paul-brighelli/brighelli-refaisons-de-l-ecole-un-sanctuaire-laique-14-01-2015-1896387_1886.php