Par Jean-Paul Brighelli
Voilà quarante ans que je me bats pour que l'école de la République retrouve sa capacité à aider les plus démunis comme les plus aptes. Quarante ans que je constate un effritement de toutes les valeurs sur lesquelles s'était construit notre pays : la vraie égalité, qui consiste à pousser chacun, quelle que soit son extraction, au plus haut de ses capacités; n'est plus qu'un leurre ; la transmission des savoirs, si essentielle pour qu'une génération apprenne à vivre à la suivante, a été remplacée par l'appréciation de compétences si minimaliste que j'en ai honte pour ceux qui les ont inventées ; l'exigence et la discipline, si essentielles à cette transmission, ont été remplacées par une permissivité que l'on croit être une liberté, alors qu'elle est l'antichambre de tous les esclavages modernes.
À qui Marine Le Pen dit-elle merci ?
Invité par Ruquier en juin dernier pour son livre Marine Le Pen vous dit merci (Plon), Jean-François Kahn s'est fait agresser (je cherche un terme plus amène et ne le trouve pas) par l'un de ces petits ayatollahs de la pensée unique qui pullulent autour du PS – Aymeric Caron pour ne pas le nommer. Le camp du bien ne supporte pas qu'on le critique puisqu'il est le bien. Eh bien, je voudrais ajouter un codicille à son livre – pour la partie éducation.
Marine Le Pen dit merci aux politiques éducatives de l'UMPS – comme le dit fort bien Natacha Polony, bien malin qui discernerait encore une différence entre l'Union des minables patentés et celle des pitres solidaires. Politique du laisser-aller et du laisser-faire, à gauche, au nom de la "liberté" de l'enfant – sans voir que toute liberté donnée précocement est une servitude à moyen terme. Politique de l'incompréhension et des restrictions budgétaires, à droite – une droite qui n'a à peu près jamais compris que c'est à l'école que les coeurs se gagnent, pas à la Corbeille. Mais si de Gaulle affirmait que la politique de la France ne se joue pas à la Bourse, nous savons désormais qu'elle est décidée à Bruxelles, ou à Berlin – pas à Paris. Et la politique éducative, depuis vingt ans, suit les recommandations européennes – en dernier lieu les diktats du protocole de Lisbonne.
Que la Gauche ait trahi, je ne suis pas le seul à le dire – Michel Onfray tend de plus en plus à me disputer la palme du réactionnaire, étant entendu que la gauche qualifie de réac (Finkielkraut, Michéa, Polony, Onfray, et, plus modestement, votre serviteur) tout ce qui ne pense pas comme elle. Et cela fait du monde. Que la droite n'ait rien compris, c'est une autre évidence. François Fillon s'est laissé embobiner par les pédagogistes mis en place par Lionel Jospin et Jack Lang, et a décrété ce "socle de compétences" qui se réduit chaque année à des minima misérables sous prétexte que définir un programme par le haut serait illusoire : disons-le haut et clair, il faut demander la Lune pour l'avoir. L'ambition raisonnable, pour l'école, est de réclamer aux élèves tout ce qu'ils peuvent donner – et ils peuvent donner beaucoup. Leur demander le minimum intellectuel, c'est aspirer – c'est évident – à maintenir en tête ceux qui sont arrivés en classe avec un bagage familial considérable. La gauche puis la droite ont cherché à tuer l'espérance des classes les plus modestes – qui se tournent aujourd'hui ailleurs, on peut les comprendre. Alors, oui, Marine Le Pen peut dire merci à Jack Lang, à Lionel Jospin, à Philippe Meirieu. Sans eux, où serait-elle aujourd'hui ? Ma foi, elle aurait stagné dans ces 5 % qui sont le fonds de commerce de l'extrême droite française depuis quarante ans – sauf coup de pouce mitterrandien.
Un programme et une volonté
J'ai tenté il y a quelques jours de définir les priorités – mais il en est tant d'autres… Ce qui compte, c'est d'avoir la volonté d'en finir avec ce sentiment d'accablement qui amène tant de bons enseignants à baisser les bras, à faire profil bas, et le dos rond, à n'enseigner plus de face, mais de biais. Ce qui compte, c'est d'avoir une ambition nationale pour tous – pour les déshérités comme pour les héritiers, parce que la gangrène de l'acculturation gagne de plus en plus ceux que l'on croyait épargnés, par la naissance ou leurs talents propres.
Ce qui compte – voilà que je me lance dans l'anaphore, comme Sarkozy en 2007 ou Hollande en 2012 -, c'est de savoir ce que nous voulons : une école qui réenfante et réenchante la République, et la nation, ou un système scolaire à la traîne de Singapour et de Shanghai, nouveaux modèles d'efficience. Je ne suis pas de ceux qui vont chercher ailleurs des modèles. Je me fiche pas mal de ce que réalise la Finlande – et encore faut-il faire la part des légendes dans les prétendus succès scolaires des pays nordiques. Je me soucie de ce que sait faire la France.
Déjà, j'entends les sarcasmes d'Aymeric Caron et de tous les petits maîtres de l'internationalisme libéral qui prétendent pourtant gueuler au nom d'un prolétariat dont ils ignorent tout et dont le déferlement, qui pour l'instant en reste au stade électoral, ferait frissonner d'horreur les bobos douillets qui hantent la ville-monde parisienne. Mais je m'en fiche : qu'ils hurlent, pourvu qu'ils nous laissent imaginer la France et l'école de demain, loin des oukases de ces apprentis sorciers démapédagogues qui ont fichu en l'air trois générations – et s'étonnent que lesdites générations leur demandent des comptes dans les urnes.
Il y a moins d'un mois, dans Marianne, Jacques Julliard déposait le bilan de François Hollande, soulignant que l'histoire retiendrait que c'est à l'école que le président de la République avait infligé les plus graves déconvenues. Il énumérait les mesures à rendre d'urgence – pas très différentes de celles que je proposais la semaine dernière – et concluait en disant : "Je vote à la présidentielle pour le candidat qui adoptera ce programme de salut public." Eh bien, je voterai pour Nicolas Dupont-Aignan. Parce qu'il incarne aujourd'hui la droite ligne, la rigueur et la volonté, et non les tours de souplesse dorsale de tous ceux qui, à droite et à gauche, s'agenouillent pour mieux ramper.