Samedi soir, Franz-Olivier Giesbert, ancien directeur du Point, dans le cadre de son émission sur France 5, Les Grandes Questions, parlera d'autorité dans la Cité, dans les cités et à l'école. L'actualité dramatique récente a mis le projecteur sur la ville de Nice, d'où la présence de Christian Estrosi. Et les très nombreux incidents autour de la minute de silence qui a fait suite aux attentats terroristes (la BBC a décidé de ne pas utiliser ce mot, sans doute ne veut-elle se fâcher avec personne) ont incité le présentateur à m'inviter moi-même.
Autorité et discipline
On connaît le double sens du mot discipline – à la fois matière enseignée et ordre nécessaire à la transmission du savoir. Il en est de même pour autorité, à la fois capacité à faire régner l'ordre et ensemble des bons auteurs (c'est l'étymologie du mot, auctor/auctoritas) qui font autorité dans une discipline. J'ai commis dans le temps des anthologies de littérature qui rassemblaient justement les textes de ces "bons auteurs" – en ce qui concernait le français tout au moins. L'auctor, c'est à la fois l'auteur, le modèle, le conseiller, le protecteur. Il est l'autorité derrière laquelle on peut en confiance construire sa pensée.
Or, c'est justement ce qui a été défait par trente ans de gabegie scolaire. Trente ans de pédadémagogie, où l'on s'est penché avec complaisance vers l'enfant pour lui demander son avis, son sentiment, pour exalter – c'est écrit en toutes lettres dans la loi Jospin de 1989 – sa liberté d'expression. Qui s'étonnera que nombre d'enseignants, dans une foule de disciplines, soient aujourd'hui confrontés à un discours qui se ramène à "c'est votre avis, ce n'est pas le mien" ? La Shoah, c'est votre avis. Darwin, c'est votre avis. Les attentats du 11 Septembre, c'est votre avis. Et à Charlie, ils l'avaient bien cherché.
Indécence et inconscience. Qui va expliquer à ces enfants perdus que leur avis compte pour du beurre, en regard de celui des bons auctores ? Qui proposera de les couper d'un environnement létal pour les ramener à plus d'humanité ? Certainement pas le gouvernement de François Hollande, qui a décidé d'en finir avec les internats d'excellence, la seule mesure sauvable des années Sarkozy. Alors qu'il faudrait les multiplier. Plutôt que de maintenir, à tout prix, des ghettos scolaires dans des ghettos sociaux.
Vertus du silence
La première plaie de l'école d'aujourd'hui, c'est l'extrême difficulté à obtenir le silence. En collège en particulier, il n'est pas rare que l'on perde vingt minutes à créer un silence relatif, sans cesse entrecoupé d'éclats de voix, de bavardages qui ne se cachent pas, de consultations de portables, de stylos tripotés jusqu'à ce qu'ils tombent à terre, de prises de parole non sollicitées – en général sur des sujets qui n'ont rien à voir avec le cours. Ce que les imbéciles qui conseillent le ministre appelleraient un cours vivant (mais aucun n'a d'expérience pédagogique réelle) est en fait une expérience mortelle, réitérée à chaque heure. Si l'on compte que les dix dernières minutes sont essentiellement consacrées à ranger les affaires dans les cartables, à jeter un coup d'oeil sur sa montre, à reconsulter son portable, afin d'être mieux prêt à bondir dès que la sonnerie retentira, une heure de cours se réduit en moyenne à 20 minutes utiles. Au mieux.
Faut-il rappeler, encore et encore, qu'un nouveau frère, dans la franc-maçonnerie, est astreint à une année de silence ? Que Pythagore en exigeait cinq de ses disciples – le temps qu'ils trouvent une question intelligente à poser ? Le silence est une vertu essentielle pour que la parole du maître se déploie avec pertinence et efficacité. Mais comment l'obtenir tant qu'on supplie les élèves de s'exprimer ? Alors même que tout ce qui sort de ce citron est un ramassis de poncifs, d'idées reçues, de superstitions, de conversations parentales déformées – une bouillie qui veut encore faire croire qu'elle est une pensée…
Rétablir l'autorité des maîtres
Ce n'est pas avec des propositions "angéliques et pusillanimes, cosmétiques dans le meilleur des cas, tandis que certaines sont clairement anti-laïques" (ce n'est pas moi qui le dis, c'est un député et un sénateur PS, ainsi qu'un ancien grand-maître du grand Orient, tous trois membres de l'Observatoire de la laïcité qui protestaient contre son angélisme), que le ministre rétablira une autorité gravement compromise. Ce n'est pas en proposant de renforcer l'enseignement des langues rares (l'arabe, a-t-elle précisé – le latin et le grec sont passés de mode, ce sont des civilisations qui ne comptent pas) ou en éclatant au collège ce qui tenait encore à peu près debout (dans le droit fil du lycée "rénové" par Luc Chatel) que Mme Vallaud-Belkacem rétablira un semblant d'autorité. Les mesures proposées, de l'aveu même de la journaliste Marie Piquemal dans Libération, "risquent d'irriter les enseignants, tant elles paraissent loin du quotidien des classes". Faut sortir de la Rue de Grenelle, madame le ministre !
Chanter la Marseillaise ou imposer un uniforme peut et doit se faire, mais c'est anecdotique. Il faut rétablir des horaires disciplinaires réels, rendre au français, dont elle prétend faire la promotion, les centaines d'heures qu'un point de vue strictement comptable a supprimées depuis vingt ans, remettre la transmission au centre du système, et en revenir aux auteurs – dans toutes les disciplines, d'Épicure à Darwin, en passant par Voltaire.
P.-S. : La dernière mode, sur la twittosphère, est de répudier Voltaire, islamophobe comme chacun sait (il y a peu, il était antisémite : décidément, c'est un cumulard), et autres auteurs babtous (si vous ne savez pas, cherchez !) Alors que je saluerais très volontiers une initiative visant à distribuer à tous les élèves de collège et de lycée l'Essai sur la tolérance et le Dictionnaire philosophique, au nom desquels on n'a jamais tué personne – bien au contraire. On peut toujours rêver. En attendant, écrasons l'infâme.
Jean-Paul Brighelli
Délégué national à l'Instruction publique